En Algérie, que sont devenues les figures du Hirak cinq ans après ?

Abdelouaheb Fersaoui, Karim Tabbou, Mohamed Tadjadit, Abdelkrim Zeghileche, Brahim Laalami… En 2019, ils faisaient partie de ces anonymes dont les noms ont émergé avec le mouvement du Hirak. Un engagement qui leur a coûté cher, mais qu’aucun d’entre eux ne regrette aujourd’hui.

Manifestation durant le mouvement du Hirak, à Alger, en mars 2021. © Farouk Batiche/dpa via Zuma Press/REA

Manifestation durant le mouvement du Hirak, à Alger, en mars 2021. © Farouk Batiche/dpa via Zuma Press/REA

Publié le 22 février 2024 Lecture : 5 minutes.

Il y a cinq ans, le 22 février 2019, naissait en Algérie un mouvement de contestation inédit qui allait conduire à la démission du président Bouteflika après vingt ans de règne. Ce jour-là, malgré l’interdiction de manifester en vigueur depuis dix-huit ans, des millions d’Algériens ont investi la rue dans les grandes villes pour exprimer leur rejet d’un possible cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, après des appels lancés sur les réseaux sociaux.

Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Étouffé par les restrictions sanitaires, ciblé par le régime et miné par des dissensions idéologiques internes et des difficultés à évoluer vers de nouvelles formes d’expression et d’organisation, le mouvement de contestation s’est essoufflé. Mais certains de ses visages connus n’ont pas pour autant renoncé au changement.

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Abdelouaheb Fersaoui qui dirigeait le Rassemblement actions jeunesse (RAJ), une organisation à la pointe de la contestation populaire, jusqu’à sa dissolution en février 2023, était l’un de ces visages. En dépit des incertitudes qui planent sur le pays à moins de dix mois du prochain scrutin présidentiel, il n’abandonne pas sa quête d’une solution pour redynamiser la mobilisation.

« Un rapport de force inédit »

En octobre 2019, ce quadragénaire a été arrêté. Il a purgé sept mois de détention pour « atteinte à l’intégrité du territoire et incitation à la violence » avant d’être libéré en mai 2020, après sa condamnation en appel à un an de prison, dont six mois avec sursis. Sous la direction d’Abdelouaheb Fersaoui, le RAJ a ensuite pesé dans l’organisation de la conférence qui a réuni, en 2021, un grand nombre d’acteurs, politiques et de la société civile, actifs dans le mouvement populaire de contestation pour capitaliser sur les deux ans du Hirak, susciter la jonction des énergies et sortir avec une feuille de route. L’échec de cette initiative n’a pas entamé sa détermination d’en découdre avec le régime.

« Le Hirak a constitué un rapport de force inédit dans la rue qui a duré des années, mais qui n’a pas été accompagné par un prolongement politique. Le résultat est visible aujourd’hui, avec la remise en cause des acquis démocratiques arrachés par des luttes précédentes », confie-t-il à Jeune Afrique. La commémoration du cinquième anniversaire de la contestation populaire, qui coïncide avec les préparatifs du scrutin présidentiel prévu en fin d’année, présente selon lui une opportunité pour « créer un rapport de force qui peut mobiliser politiquement le peuple, à condition que la classe politique envoie un signe d’espoir. Un front, le plus large possible, peut-être constitué autour de ce rendez-vous électoral, non pour soutenir l’agenda du pouvoir ou pour rejeter en bloc ces élections, mais pour ouvrir un débat en exigeant des préalables à une vie politique normale et les conditions du suffrage universel qui sont aussi des mesures d’apaisement. À commencer par la libération des détenus politiques et d’opinion et leur réhabilitation. »

« Insensible à la contrainte judiciaire »

Sur ce point, les autorités algériennes ne semblent pas disposées à lâcher prise. Mi-février 2024, Karim Tabbou, un visage tout aussi populaire du Hirak, s’acquittait pour la énième fois de son obligation de signature hebdomadaire sur le registre de contrôle judiciaire. Lui aussi a été détenu pendant neuf mois dans le cadre de son implication dans le mouvement de contestation populaire, avant de bénéficier d’une libération conditionnelle en juillet 2020. En décembre de la même année, il a été condamné en appel à un an avec sursis. Une sentence qui lui a permis de ne pas retourner en prison. Mais depuis mai 2023, le militant politique, qui fêtera en juin prochain ses 50 ans, est à nouveau sous contrôle judiciaire.

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« L’opinion publique doit savoir que cette procédure bureaucratico-judiciaire m’a été injustement infligée à la suite de ma participation à un débat politique sur la chaine El-Margharibia », affirme Karim Tabbou. Porte-parole de l’Union démocratique et sociale (UDS), un parti non agrée, il avait alors violemment critiqué le régime algérien.

« Généralement, le contrôle judiciaire est ordonné par le juge pour surveiller la personne durant la période d’instruction, pour s’assurer qu’elle ne prenne pas la fuite et qu’elle n’entreprend rien de nature à nuire à l’enquête, à supprimer les preuves ou à contacter des témoins pour les influencer. Dans mon cas, c’est une émission télévisée accessible sur le site de la chaîne. Donc la raison la plus plausible de la mesure qui m’est imposée est de faire en sorte que je me lasse de ce combat et de cet engagement. Ils se trompent entièrement », promet l’homme politique qui assure être insensible à cette contrainte judiciaire.

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« Le peuple a fait ce qu’il avait à faire »

Retour à la case prison, en revanche pour Mohamed Tadjadit surnommé, « le poète de la révolution », en raison de ses textes qu’il déclamait dans les rues d’Alger lors des marches hebdomadaires, et sur la Toile. Cela lui a valu un an d’incarcération pour « atteinte à l’intérêt national avec interdiction de s’exprimer » en 2019. Mais il a continué à parler.

Son dernier live sur la débâcle de l’équipe nationale de football à la Coupe d’Afrique des nations lui a coûté un nouveau placement sous mandat de dépôt, ordonné par le juge d’instruction du tribunal de Rouiba. Décision confirmée, le 18 février 2024, par la chambre d’accusation près la cour d’Alger.

L’ancien détenu du Hirak, Abdelkrim Zeghileche, directeur de la webradio, Sarbacane, aujourd’hui fermée par les autorités, a choisi, lui, de rejoindre le parti politique de l’ex-magistrate Zoubida Assoul, l’Union pour le changement et le progrès (UCP). Une formation politique qui plaide en faveur d’une candidature consensuelle de l’opposition au prochain scrutin présidentiel. Abdelkrim Zeghileche pense que c’est à cause de la radicalisation de certains de ses membres que le Hirak a échoué. « Le peuple algérien a passé deux années dans la rue. Il a fait ce qu’il avait à faire. Demandez des comptes et méfiez-vous de ceux qui ont délibérément empêché l’organisation et la transformation de cette énergie en offre politique », ne cesse-t-il de clamer.

Quant à Brahim Laalami, un tailleur sorti seul à Bordj Bou Arreridj quelques jours avant les marches de contestation du 22 février 2019 en brandissant une grande pancarte contre la candidature à un cinquième mandat de Bouteflika, il est toujours en cellule et ne devrait la quitter qu’en 2031. Sauf s’il bénéficie, comme dans le cas de son incarcération en 2020 pour « offense au président » et « atteinte à corps constitué », d’une réduction de peine. Face à la pression qui pesait sur lui, Laalami a tenté de fuir le pays sur une embarcation de fortune en juin 2021. Mais il a été refoulé par les garde-côtes espagnols. En août 2023, il est condamné à huit ans de prison pour trafic de stupéfiants, accusation qu’il rejette et contre laquelle il a enchaîné, depuis, les grèves de faim.

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