La démocratie serait-elle incomplète sans une limitation des mandats présidentiels ?

Depuis quelques années, le débat sur le nombre de mandats effectués par les chefs d’État agite l’opinion publique africaine. Et nombreux sont ceux qui établissent une corrélation entre la limitation de la durée au pouvoir et la gouvernance idéale. À tort, selon Rachid Ndiaye.

Des opposants à Faustin-Archange Touadéra manifestent contre un troisième mandat du président centrafricain, à Bangui, le 27 août 2022. © Barbara DEBOUT/AFP

Des opposants à Faustin-Archange Touadéra manifestent contre un troisième mandat du président centrafricain, à Bangui, le 27 août 2022. © Barbara DEBOUT/AFP

Rachid Ndiaye ministre guineen de la Communication © Rachid Ndiaye (Guinee), ministre de la Communication, ancien journaliste puis conseiller du president Alpha Conde. A Paris le 18.01.2018. Photo : Vincent Fournier/JA
  • Rachid Ndiaye

    Rachid Ndiaye, ex-ministre d’État de Guinée. Ex-conseiller spécial du président Alpha Condé.

Publié le 13 octobre 2023 Lecture : 6 minutes.

Dans certains pays africains dont les présidents ont passé plus d’une triple décennie à la tête de l’État, comme le Cameroun et la Guinée équatoriale, le sujet de la limitation du nombre de mandats a « plus de valeur que de sens », selon la formule du poète Paul Valéry. L’interrogation n’est valable que pour les échéances futures. A priori, on peut admettre que le verrouillage du nombre de mandats n’est pas le seul critère à l’aune duquel se mesure la vitalité d’une démocratie.

La France elle-même a connu deux réformes majeures dans ce sens : celle du 2 octobre 2000 menée par le président Jacques Chirac en période de cohabitation, qui fit passer par référendum la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans ; la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, intervenue sous Nicolas Sarkozy, qui prévoit notamment l’impossibilité pour le président de la République d’exercer plus de deux mandats consécutifs. Un sujet récemment mis à l’ordre du jour par l’ancien président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand affirmant regretter « ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire : la limitation du mandat présidentiel dans le temps … »

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Les États-Unis, eux, n’instaurent cette limitation qu’après l’adoption du vingt-deuxième amendement en 1947, ratifié en 1951, pour clore les trois mandats déjà effectués par le président Franklin Delano Roosevelt de 1933 à 1945. En revanche, comme l’a remarqué avec humour un sociologue américain, l’Amérique n’a pas limité l’accès exclusif des seuls protestants à la présidence de la République, puisque Joseph Robinette Biden Jr. est le deuxième président catholique de l’histoire des États-Unis, après John Fitzgerald Kennedy, élu en 1960.

Des partis omnipotents

En Afrique, nombre d’observateurs souhaitent que la mesure de limitation soit codifiée au sein des instances régionales (comme la Cedeao), continentale (telle l’Union africaine), voire onusiennes. Il y a quelques années, la bataille des opposants en Afrique consistait à mettre fin au règne du parti unique et de la prise de pouvoir par la force. Depuis la résolution de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) adoptée à Alger le 21 juillet 1999, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres ont décidé d’exclure désormais des sommets tout gouvernement qui se serait emparé du pouvoir à la faveur d’un coup d’État.

Cette jurisprudence, en principe, reste d’actualité. Car, sur un plan strictement formel, les coups d’État sont interdits dans l’Union africaine ! Mais dans la réalité, les deux impératifs (instauration du multipartisme et clause anti coup d’État) ont vite été oblitérés par les épreuves. Car l’instauration du multipartisme n’a pas mis fin à l’omnipotence de certains partis au pouvoir, historiquement en osmose avec l’État, comme on l’a vu avec le Parti démocratique gabonais (PDG), ou avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) au temps du président Félix Houphouët-Boigny, ni à l’hégémonie ethnique que le parti unique était censé combattre.

Tandis que l’évolution du jeu politique africain n’a pas empêché des militaires d’accéder au pouvoir via une transition directe, comme celle du général François Bozizé, putschiste en 2003, élu en 2005 en Centrafrique. Ou par une transition indirecte, comme celle du général Abdelaziz en Mauritanie, tombeur du président Maaouya Ould Taya en 2005, il mène une première transition de 2005 à 2007 avant de revenir au pouvoir du 6 août 2008 au 15 avril 2009, après avoir renversé un deuxième président, Sidi Mohamed Ould Abdallahi, pour accéder à la charge de président de la République élu du 5 août 2009 au 1er août 2019, suite à une période de transition de quelques mois.

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Mesure préventive

Ces processus de « civilisation » des régimes militaires sont souvent validés à la carte par la communauté internationale, à un moment où l’Occident, dans ses rapports avec l’Afrique, est plus préoccupé par la question de la stabilité que par celle de la démocratie. Pour beaucoup de candidats à l’alternance en Afrique, un pouvoir limité est une mesure préventive contre l’invincibilité de certains présidents, une tempérance imposée, perçue comme une avancée démocratique pour que des présidents défaillants ne s’éternisent au pouvoir. Pour les autres, il s’agit d’un moyen institutionnel de mettre fin à la perpétuation de présidences imbattables par les urnes, parce que la confusion entre le régime et l’État réduit substantiellement les capacités de l’administration à organiser un scrutin libre et honnête. D’où l’exigence de plus en plus affirmée de la mise en place des commissions électorales nationales indépendantes. Pourtant, des présidents à la tête des États ont cédé leurs fauteuils lors de scrutins électoraux organisés par l’État. Comme le Zambien Kenneth Kaunda en 1991, le Béninois Nicéphore Soglo en 1996, les Sénégalais Abdou Diouf en 2000, Abdoulaye Wade en 2012, l’Ivoirien Laurent Gbagbo en 2010 et le Gambien Yahya Jammeh en 2017 – à l’issue, néanmoins, pour ces deux derniers, de crises post-électorales profondes.

Les changements de règle relèvent d’abord de la Constitution. L’empereur français Napoléon Ier disait : «Il faut qu’une Constitution soit courte et obscure pour ne pas gêner l’action du gouvernement. » Dans l’actualité des changements politiques intervenus ces derniers temps, toutes les réformes ont été faites selon les règles prévues par la loi fondamentale. Ce qui est en cause, c’est l’opportunité constatée, pour des raisons partisanes, de changer ou non un texte constitutionnel. Comme le constatent les opposants au président Faustin-Archange Touadéra en Centrafrique, qui a adopté le 30 juillet 2023 une nouvelle Constitution instaurant un mandat présidentiel non limité. Il est difficile de faire le tri entre un vote de consentement et un vote subi, lorsque des jugements extérieurs considèrent de manière presque globale que, tout changement de Constitution africaine serait entaché de suspicion. En Côte d’Ivoire, le 30 octobre 2016, et en Guinée, le 22 mars 2020, le peuple s’est exprimé librement par voie référendaire en faveur de la modification de la loi fondamentale.

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Temps nécessaire et temps utile

Le danger aujourd’hui serait de tomber dans un nihilisme qui conduit à rejeter systématiquement tout ce qui vient de l’État, en pensant qu’un homme politique bien coté sur les réseaux sociaux serait plus crédible que l’institution étatique. En réalité, il est légitime de se poser la question : est-ce la longévité du mandat qui est la cause du mal ou la gouvernance elle-même, dans un contexte où aucun projet ambitieux ne se construit en dehors de la durée. Cette réflexion permet de trouver une voie médiane entre le temps nécessaire et le temps utile, tout en travaillant sur la fiabilité des instruments électoraux.

Dans les démocraties occidentales, la non-limitation de mandat ne serait pas un obstacle à l’alternance, puisque l’administration est en dehors du champ partisan – encore que l’attitude des partisans de Donald Trump contestant les résultats de la dernière élection américaine a créé un désordre aux États-Unis -, les électeurs ont les moyens juridiques de la sanction. Les militants et les états-majors des partis peuvent décider ou contraindre leur candidat ou président à renoncer à la course, comme on l’a vu avec le président François Hollande en 2017. Sans priver les électeurs de la possibilité d’élire, sur une longue durée, de grandes personnalités politiques dotées de projets crédibles pour leur propre pays.

Les Haïtiens ont réglé le problème par la suppression de l’armée nationale – une décision prise en 1995 par le président Jean-Bertrand Aristide, pour annihiler tout désir de coup d’État – et l’instauration, fondée sur l’article 134.3 de la Constitution, d’une disposition selon laquelle le président de la République « ne peut assumer un nouveau mandat qu’après l’intervalle de cinq ans. En aucun cas, il ne peut briguer un troisième mandat ». La suite est connue : après deux siècles d’indépendance, dans ce pays aujourd’hui sans président – le dernier, Jovenel Moïse, a été assassiné -, Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est aujourd’hui dirigée par des gangs !

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