Axian, Telecel, MTN, Airtel… Derrière les leaders, les « petits » opérateurs bousculent la hiérarchie

Malgré des années de consolidation, le marché africain des télécoms regorge toujours d’opportunités d’expansion. Tour d’horizon des principaux deals en cours.

Au grand dam d’Africell, Nairobi a racheté pour un peu plus de 50 millions de dollars à Helios Investment Partners les parts (60 %) que ce dernier détenait dans Telkom Kenya. © Waldo Swiegers/Bloomberg via Getty Images

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Publié le 18 octobre 2022 Lecture : 8 minutes.

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Télécoms : la revanche des outsiders africains

MTN, Orange, Vodacom, Airtel… Parce qu’ils sont présents sur de nombreux maillons de la chaîne de valeur des télécoms, les mastodontes africains font parfois oublier que d’autres acteurs plus modestes comme Axian, Tizeti ou N+One font tout autant bouger les lignes du secteur et pourraient, à terme, rivaliser d’égal à égal avec le quatuor dominant.

Sommaire

Mai 2021. Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, et son administration jubilent. La première partie du processus de privatisation du marché des télécommunications vient de se clore avec l’attribution d’une première licence d’opérateur mobile, concédée pour 800 millions de dollars (662 millions d’euros à l’époque), à un consortium mené par le groupe kényan Safaricom (filiale de Vodacom).

Au moins temporairement, nombre d’observateurs y voient la réalisation d’un point d’équilibre, les principaux acteurs s’étant finalement répartis de manière satisfaisante toutes les parts du gâteau en Afrique.

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Axian, acteur insatiable

Le statu quo fait pourtant rapidement long feu puisque, dès le mois de décembre 2021, Jeune Afrique révèle que le groupe Axian, dirigé par Hassanein Hiridjee, est en passe de conclure un accord définitif, pour environ 100 millions de dollars (près de 88, 4 millions d’euros à cette date), avec les actionnaires de Mattel, deuxième opérateur du marché mauritanien, derrière Mauritel, filiale de Maroc Télécom. Las ! Quelques semaines plus tard, une mésentente de dernière minute sur l’étalement des paiements fait capoter la vente.

Il en faut plus pour décourager le challenger des télécoms à l’appétit insatiable. En avril 2022, Axian prend possession, en association avec l’homme d’affaires Rostam Azizi, des filiales du groupe Millicom en Tanzanie (Tigo Tanzania) et à Zanzibar (Zantel). Fruit de près d’un an de travail, le deal aurait été scellé contre un chèque d’environ 100 millions de dollars (près de 90,5 millions d’euros) et la reprise des dettes.

Les télécoms sont gourmandes en capital, nous devons absolument écraser nos coûts fixes

Pour le groupe malgache de la famille Hiridjee, il s’agit d’une étape décisive. Avec 14 millions de clients à la téléphonie mobile, les deux sociétés réunies deviennent le premier actif de télécoms du consortium centenaire – également présent dans l’énergie, la finance et l’immobilier. Pour la première fois, il s’implante sur un marché anglophone.

En 2020, l’activité des télécoms (Réunion, Mayotte, Comores, Madagascar, Sénégal et Togo) représentait 400 millions de dollars (334,2 millions d’euros à cette date) sur un chiffre d’affaires global de 1,1 milliard. Cette nouvelle présence en Tanzanie apporte d’un coup au groupe 350 millions de dollars supplémentaires et un nouveau marché pour renforcer son expertise dans le domaine du mobile money. Le projet pourrait mobiliser jusqu’à 500 millions de dollars (502 millions d’euros) d’investissement au cours des cinq prochaines années.

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Changement d’échelle

Ce changement d’échelle oblige Axian, désormais sixième plus gros opérateur panafricain, selon ses calculs, à renforcer sa gouvernance. Mais ses actionnaires ne semblent pas pour autant décidés à ralentir le rythme de croissance externe. « Les télécoms sont gourmandes en capital, nous devons absolument écraser nos coûts fixes », explique Hassanein Hiridjee. Au début de février dernier, le holding a levé 420 millions de dollars, principalement auprès d’IFC, bras privé de la Banque mondiale, de British International Investment (ex-CDC Group), de l’allemand DEG et de l’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF).

S’il doit aussi intensifier ses investissements au Sénégal, où il est associé à Yérim Sow et à l’homme d’affaires français Xavier Niel, ainsi qu’au Togo, où il est associé à Emerging Capital Partners (ECP), Axian cherche encore de nouvelles cibles. Le conglomérat négocie actuellement la reprise au Niger de Zamani, détenu par des investisseurs locaux, qui eux-mêmes ont pris la suite d’Orange en 2019. Commencé en avril, le processus mené, comme pour toutes les autres transactions du groupe, par le cabinet Oversees, dirigé par Stéphane Bénichou, n’est toujours pas officialisé. À Niamey, Zamani est quant à lui conseillé par le cabinet Linkstone Capital, de Pape Diouf.

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Telecel, un challenger à la peine

Pendant ce temps, à Nouakchott, un autre challenger pense à son tour pouvoir s’emparer de Mattel. Le groupe franco-libanais Telecel, avec le soutien du français Stoa, a en effet été tout proche de conclure le deal avant que des problèmes de financement ne précipitent, en juillet, la fin des négociations. Contrôlé par un trio composé du Français Hugues Mulliez, du Belge Nicolas Bourg et du Libanais Mohamad Damush, Telecel est présent en Centrafrique et à Gibraltar. Il fait actuellement partie des acteurs les plus ambitieux de la consolidation des télécoms africaines, aux côtés d’Axian mais aussi d’Africell – qui a lancé ses opérations en Angola en avril, et revendique déjà 5 millions d’abonnés.

Au Kenya, le groupe, qui affirme disposer d’une enveloppe de 700 millions de dollars pour investir dans de nouvelles opérations, était, selon nos informations, en discussion avec Helios Investment Partners pour la reprise des parts (60 %) que l’investisseur détient dans Telkom. C’était compter sans l’annonce par ce dernier de la conclusion d’un accord avec les pouvoirs publics en septembre. En tant qu’actionnaire minoritaire du troisième opérateur du pays, l’État a en effet décidé d’appliquer son droit de préemption et déboursé un peu plus de 50 millions de dollars pour récupérer l’actif. Contacté par Jeune Afrique, Telecel n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Telecel assure travailler sur trois autres opérations de fusion-acquisition sur le continent

Sur les rives ghanéennes, à Accra, le même Telecel tente de convaincre le régulateur de lui laisser reprendre 70 % de la filiale locale de Vodafone. Mais à l’heure où sont écrites ces lignes, la National Communications Authority (NCA) maintient la transaction en suspens, jugeant que les attentes en matière réglementaire ne sont pas encore remplies. Telecel s’affiche néanmoins confiant et assure travailler avec le ministère ghanéen des Télécommunications, la banque centrale du pays ainsi que le régulateur afin de « finaliser toutes les exigences réglementaires liées à cette transaction », a affirmé Mohamad Damush dans un communiqué. L’opérateur assure par ailleurs travailler sur trois autres opérations de fusion-acquisition sur le continent.

Des opportunités non confirmées

Après l’échec du processus entamé par Telecel à Nouakchott, nul ne sait qui parviendra à amener Mattel dans son giron. Selon nos informations, Orange a repris les discussions, via sa filiale sénégalaise Sonatel, avec les deux actionnaires mauritaniens et Tunisie Telecom pour la reprise des 51 % détenus par ce dernier, mais le jeu reste très ouvert.

L’opérateur français, également présent au Mali et au Maroc, deux autres pays frontaliers de la Mauritanie, avait déjà essayé de s’offrir Mattel entre 2012 et 2015. Les hésitations de l’État tunisien n’avaient pas permis au projet d’aboutir. Après une période difficile, Mattel a retrouvé un résultat net positif en 2019. À la fin de 2021, il détenait environ 30 % du marché de la téléphonie mobile, grâce à une croissance portée par l’augmentation de la consommation de data de ses clients.

Outre son projet de cession de Mattel, Tunisie Telecom pourrait aussi animer le marché en modifiant la structure de son capital. L’émirati TeCom-DIG, qui détient 35 % des parts de l’opérateur, paraît à nouveau décidé à les vendre. La filiale de Dubaï Holding, entrée au capital en 2006, a plusieurs fois tenté de céder ses parts. Un accord avait même été conclu en 2017 avec le groupe Abraaj, mais la faillite en 2018 de la société d’investissement dubaïote a fait échouer la vente. Tunis, qui contrôle 65 % de Tunisie Telecom, serait, selon une source, prêt à se défaire d’une partie de ses actions pour faciliter l’arrivée d’un nouveau partenaire stratégique au tour de table de l’opérateur public.

L’opérateur national Guinée Télécom (ex-Sotelgui) devrait être relancé au premier semestre de 2023

Plus à l’ouest, Alger a, il y a quelques semaines, totalement nationalisé Djezzy en reprenant les actions du groupe Veon, implanté aux Pays-Bas. Désormais, l’État – également actionnaire de Mobilis (Algérie Télécom Mobile) – contrôle deux des trois opérateurs mobiles du pays et pourrait, à terme, vouloir permettre à un nouvel acteur d’entrer sur le marché pour dynamiser la concurrence et l’innovation.

me constat au Ghana, où, depuis 2020, le gouvernement a repris le contrôle d’AirtelTigo, une coentreprise créée en 2017 par l’indien Bharti Airtel et le luxembourgeois Millicom International Cellular, pour 1 dollar symbolique. Si l’opérateur continue de garantir la continuité de ses services, aucune solution ne semble pour l’instant être mise sur la table pour la reprise de l’actif par un opérateur privé.

Une autre opportunité a fait parler d’elle en juin en Zambie, où des rumeurs émanant de la direction de l’entreprise ont un temps indiqué que Zamtel, opérateur public surendetté, était à vendre. L’annonce a depuis été démentie par un haut responsable du gouvernement. Reste que l’opérateur, qui traîne une dette de 500 millions de dollars due à l’entreprise libyenne LAP Green Networks, a besoin d’un sérieux refinancement.

Dans l’espace francophone, l’opérateur national Guinée Télécom (ex-Sotelgui) devrait être relancé au premier semestre de 2023. Dans les tuyaux depuis 2019, le projet avançait timidement depuis la chute du président Alpha Condé. Fin 2020, un audit des infrastructures de l’ex-opérateur public, qui a cessé ses activités en 2014, a été mené par le cabinet tunisien SFM Technologies afin d’identifier les équipements encore en état de fonctionner et d’imaginer un plan de relance.

En juin, Bamba Oliano, secrétaire général du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, a effectué une visite au sein de Guinée Télécoms, repreneur de Sotelgui en 2017, pour réaffirmer que le projet faisait partie de la feuille de route de son administration. Reste à savoir si l’ambition autrefois formulée par les autorités guinéennes d’accueillir un partenaire industriel au capital de Sotelgui est toujours d’actualité.

Les acteurs historiques à l’affût

Dans ce vaste mercato des télécoms, les géants du secteur paraissent in fine plus discrets que leurs challengers. Ils n’en demeurent pas moins à l’affût du moindre mouvement stratégique. Bien que concentré sur la croissance organique de ses différentes plateformes, MTN n’a pas hésité à se positionner, mi-juillet, comme candidat à une prise de contrôle de Telkom en Afrique du Sud.

Ce dernier, troisième opérateur du pays, revendique 400 000 foyers connectés à ses offres d’internet fixe et a également reçu une proposition de fusion avec le fournisseur de réseau 4G et 5G Rain. Tandis que l’investisseur sud-africain Toto Investment Holdings a proposé en août 432 millions de dollars pour la reprise des parts que le gouvernement détient dans Telkom, MTN a finalement abandonné les négociations le 19 octobre.

L’autre mastodonte africain, Orange, « n’a jamais caché son intérêt pour le marché nigérian », selon les mots de sa nouvelle directrice générale, Christel Heydemann. Le groupe français, depuis longtemps en quête d’un « mouvement stratégique » lui permettant d’occuper une place de leader incontesté, assume son intérêt pour la première économie du continent – ou pour l’Afrique du Sud. La récente visite d’une délégation d’Orange Afrique et Moyen-Orient à Abuja a fait couler beaucoup d’encre, sans qu’aucune information précise n’ait fuité. De quoi continuer à alimenter les débats dans un secteur qui, décidément, semble résolu à se redéfinir sans cesse.

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