RDC – Bataille rangée à l’Assemblée : comment les tensions entre pro-Tshisekedi et pro-Kabila ont dégénéré

Les tensions entre les partisans de Félix Tshisekedi et de Joseph Kabila ont atteint un niveau inédit, avec des affrontements jusque dans l’enceinte du Parlement. Récit de ces folles journées qui ont suivi l’annonce de la rupture de la coalition.

Un blessé lors des affrontements entre députés pro-Kabila et pro-Tshisekedi au Parlement congolais, à Kinshasa, le 8 décembre 2020. © Reuters (capture d’écran vidéo)

Un blessé lors des affrontements entre députés pro-Kabila et pro-Tshisekedi au Parlement congolais, à Kinshasa, le 8 décembre 2020. © Reuters (capture d’écran vidéo)

Publié le 9 décembre 2020 Lecture : 4 minutes.

Les images, surréalistes, ont fait le tour de la toile. Une véritable bataille rangée entre des députés pro-Kabila d’un côté et pro-Tshisekedi de l’autre. Des chaises volent, certains élus brandissent des barreaux de ces chaises qu’ils viennent de fracasser pour frapper leurs collègues députés. Un homme, le visage en sang, est évacué à bout de bras tandis que la rixe fait rage. Ce mardi, le hall d’entrée du Palais du peuple a été le théâtre d’un bien triste spectacle.

La veille, déjà, les députés en étaient venus aux mains dans l’enceinte même de l’hémicycle. Des élus de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) se sont rués sur l’estrade, renversant les bureaux où siègent habituellement la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, et ses vice-présidents.

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Guerre ouverte

Depuis que Félix Tshisekedi a annoncé, le 6 décembre, la fin du mariage de raison qui le liait à Joseph Kabila depuis son arrivée au pouvoir, les tensions déjà vives entre les membres du Front commun pour le Congo (FFC, de l’ancien président congolais) et de Cap pour le changement (Cach, la coalition présidentielle à laquelle appartient l’UDPS) ont tourné à la guerre ouverte.

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le dépôt, samedi, d’une pétition demandant la destitution de Jeanine Mabunda et plus généralement des membres de l’actuel bureau de l’Assemblée. Plus de 250 députés nationaux ont apposé leur nom au bas de ce texte, lancé à l’initiative de l’UDPS. Sur ce total, une centaine d’élus sont issus de partis membres du FCC…

Dans le camp de l’ancien président congolais, on affirme que beaucoup de ces signatures ont été obtenues par la corruption. « Nous avons des preuves audio, vidéo et écrites que 7 000 dollars ont été distribués à chaque député en échange des signatures », a notamment affirmé Didier Manara, président du groupe parlementaire du Parti pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila), sans pour autant produire lesdites preuves.

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Jeanine Mabunda avait malgré tout décidé de convoquer une séance plénière, pour ce lundi. Mais les pétitionnaires, opposés à cette démarche, ont tout fait pour que celle-ci ne se tienne pas, brandissant l’article 31 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, qui stipule que « lorsque le président de l’Assemblée nationale est mis en cause » les députés ne peuvent être convoqués que par le « bureau d’âge », constitué du doyen de l’Assemblée et des deux députés les plus jeunes. Et c’est Jean-Marc Kabund-a-Kabund, président intérimaire de l’UDPS, qui a lui-même été destitué de ses fonctions de premier vice-président de l’Assemblée en mai dernier après qu’une pétition a été lancée contre lui, qui a pris la tête des « frondeurs ».

Ce lundi, tandis que des manifestants se rassemblent à l’extérieur du Palais du peuple, le ton monte à l’intérieur : les députés font le coup de poing, grimpent sur l’estrade, bousculent les assesseurs et renversent le mobilier.

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Dans la soirée, Jeanine Mabunda fait publier un premier communiqué par le bureau qu’elle préside. Elle y annonce la suspension de toutes les activités parlementaires jusqu’à nouvel ordre.

Deux plénières convoquées

Mais c’était sans compter sur la détermination des pétitionnaires, qui ont obtenu du secrétaire général de l’Assemblée nationale – dont le camp Mabunda affirme qu’il a été « enlevé » – qu’il convoque une plénière pour le mardi 8 décembre, à 11h. Un seul point à l’ordre du jour : installation du fameux « bureau d’âge » et l’examen donc des pétitions visant le bureau de Jeanine Mabunda.

Mise devant le fait accompli, cette dernière décide alors de revenir sur sa décision de suspendre l’activité parlementaire et de convoquer à son tour une plénière pour le jour même, mais une heure plus tôt, à 10h.

Comme l’on pouvait s’y attendre, la confrontation entre les deux camps, chacun voulant tenir « sa » plénière, a immédiatement tourné à la foire d’empoigne. Les affrontements entre députés, auxquels leurs gardes du corps ont parfois prêté main forte, ont duré plusieurs heures.

À l’extérieur du bâtiment, Jean-Marc Kabund s’en prend verbalement à des policiers. « Présentement, là, dans le bureau de Mabunda, il y a des sacs de machettes ! » lance-t-il au commissaire général de la police nationale congolaise, Dieudonné Amuli, l’accusant de prendre le parti des pro-Kabila et de « tirer sur les Combattants » – en référence aux militants UDPS massés devant les grilles de l’Assemblée.

Jeanine Mabunda sera finalement exfiltrée de l’Assemblée. « Nous déplorons plusieurs blessés et une hôtesse du bureau de Jeanine Mabunda a été sexuellement abusée », accuse l’un de ses proches.

Le FCC appelle à la « mobilisation générale »

Les députés pétitionnaires ont, eux, fini par se réunir. Ils étaient, à les en croire, « 279 députés au total ». Le « bureau d’âge » a été installé et une date a été fixée pour l’examen et le vote des pétitions visant Mabunda et ses vice-présidents : le jeudi 10 décembre.

« Ce qui s’est passé est un coup d’État constitutionnel ! », déplore Lambert Mende, l’un des caciques du FCC. Le front pro-Kabila a cependant prévu de participer à cette fameuse séance. « La mobilisation est générale », affirme Mende à Jeune Afrique.

Le vote de ce jeudi sera crucial dans la crise institutionnelle qui vient de s’ouvrir. Il dira si Félix Tshisekedi peut compter ou non sur une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale. Dans son discours de dimanche, le chef de l’État avait laissé entendre que si cette nouvelle majorité en sa faveur était introuvable, une dissolution de l’Assemblée nationale serait envisagée.

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