Albadé Abouba : « Je ne veux pas être le président d’une région mais celui de tous les Nigériens »

Candidat du Mouvement patriotique pour la République (MPR-Jamuhria) à la présidentielle, l’ancien ministre de Mahamadou Issoufou compte bien se faire une place entre le parti au pouvoir et une opposition plus radicale.

Albadé Abouba, candidat du Mouvement patriotique pour la République à la présidentielle. © Thierry Zoccolan / AFP

Albadé Abouba, candidat du Mouvement patriotique pour la République à la présidentielle. © Thierry Zoccolan / AFP

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 8 décembre 2020 Lecture : 8 minutes.

Il y a cinq ans quasiment jour pour jour, Albadé Abouba et son tout jeune Mouvement patriotique pour la République (MPR-Jamuhria, qu’il venait de créer après son départ du Mouvement national pour la société du développement) avaient décidé de soutenir Mahamadou Issoufou au premier tour de la présidentielle. Cette fois, il fera cavalier seul.

Le 27 décembre, l’ancien ministre de l’Intérieur de Mamadou Tandja, devenu par la suite ministre de l’Agriculture et de l’Élevage d’Issoufou, s’alignera au premier tour du scrutin face à Mohamed Bazoum, Seini Oumarou, Ibrahim Yacouba ou encore Mahamane Ousmane.

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Pour Jeune Afrique, le natif de Kao, dans la région de Tahoua, détaille ses ambitions, dresse le bilan du dernier mandat de Mahamadou Issoufou et explique ses priorités pour le pays qu’il espère bien diriger « au nom de tous les Nigériens ».

Jeune Afrique : Beaucoup de critiques ont été émises sur le fichier électoral et la Commission électorale nationale indépendante. Selon vous, le Niger est-il prêt à organiser les élections ?

Albadé Abouba : Les opérations électorales ont en tout cas été lancées, selon un calendrier qui a été adopté après des concertations qui ont bel et bien eu lieu, même si une partie de l’opposition les a boycottées.

Les locales ayant lieu avant la présidentielle, elles vont nous permettre de tester le fichier biométrique et de voir s’il est suffisamment crédible. Il faudra être vigilant. Il faudra également prendre en compte les risques sécuritaires et sanitaires qui pourraient perturber les opérations de vote.

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La première préoccupation des Nigériens est la sécurité et nous devons leur garantir. Quant à la problématique de la Covid-19, le Niger a la chance d’avoir pour le moment un faible taux de contamination, mais cela reste important de le prendre en compte.

Le favori de la présidentielle, Mohamed Bazoum [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, PNDS] est en pré-campagne depuis plusieurs mois. Craignez-vous d’avoir pris du retard ?

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Non, cela ne m’inquiète pas. Nous n’avons pas pris de retard puisque la campagne ne s’ouvrait que le 5 décembre, selon les dispositions du code électoral. Bien sûr, certains partis ont décidé de ne pas respecter cette date et d’anticiper en organisant des tournées de proximité ou des visites de terrain. C’est leur choix, même si je considère que ce n’est pas normal. Les instances organisatrices des élections auraient sans doute dû les rappeler à l’ordre, voire être plus fermes et prendre des sanctions. Elles ont choisi de ne pas le faire. Peut-être, en cela, ont-elles failli à leur mission.

Je pense qu’il aurait pu y avoir une déclaration d’amnistie pour un certain nombre de personnes, dont Hama Amadou

L’un des principaux prétendants, Hama Amadou, a vu sa candidature rejetée par la Cour constitutionnelle. Auriez-vous souhaité qu’une solution politique soit trouvée et qu’il puisse concourir ?

Il a été disqualifié au titre de l’article 8 du code électoral, en raison de sa condamnation à un an de prison ferme. C’est un homme politique expérimenté, il savait que cela pouvait arriver, même si, bien sûr, les décisions juridiques peuvent parfois comporter une dose de politique.

Je pense pour ma part qu’il aurait pu y avoir une déclaration d’amnistie pour un certain nombre de personnes, dont Hama Amadou, ce qui lui aurait permis de participer à la présidentielle. Cette décision n’a malheureusement pas été prise, ce que je regrette.

Hama Amadou était de fait le leader de l’opposition et la question de sa stratégie se pose désormais. Lui avez-vous parlé ?

Je n’ai pas été particulièrement en contact avec lui depuis la décision de la Cour constitutionnelle. J’ai constaté comme tout le monde qu’il ne s’était pas exprimé et qu’il était même en séjour à l’étranger, au Nigeria. Il ne m’appartient pas de me substituer à lui et de me prononcer sur sa stratégie politique pour le premier tour de la présidentielle.

Une autre polémique est née autour de la nationalité nigérienne de Mohamed Bazoum, qu’une partie de l’opposition conteste. Qu’en pensez-vous ?

J’aurais préféré qu’elle n’existe pas et que ce débat n’ait pas été soulevé. Cela dit, au-delà de cette opinion personnelle, ce n’est pas à moi de trancher, mais aux aux instances juridiques nigériennes de statuer.

Je porte une part du bilan de l’action gouvernementale. Je ne vais pas me désolidariser

Vous avez été ministre de Mahamadou Issoufou jusqu’à votre récente démission. Quel bilan dressez-vous de son dernier mandat ?

Quand on participe à un gouvernement, on doit respecter une sorte de co-responsabilité. J’ai fait partie d’une équipe ministérielle et je porte donc une part du bilan de l’action gouvernementale. Je ne vais pas me désolidariser de tel ou tel pan de l’édifice construit ces dernières années au côté du président Mahamadou Issoufou. C’est un ensemble que je dois assumer.

Beaucoup estiment qu’un des points noirs du bilan est l’insuffisance de la lutte contre la corruption…

Il y a effectivement un constat qui doit être fait : le Niger fait partie de ces pays, que certains regroupent dans le Tiers-Monde, qui doivent faire davantage pour lutter contre la corruption. Il n’est sans doute pas le pire, mais il a des progrès à faire dans tous les secteurs, d’abord pour sa population mais aussi vis-à-vis des partenaires internationaux qui nous apportent leur aide. Pour cela, il nous faut prendre exemple sur ce qui a fonctionné ailleurs, au Rwanda, au Ghana ou au Botswana par exemple.

Récemment, un scandale a éclaté au sein du ministère de la Défense, où des sommes importantes auraient été l’objet de détournements. Que pensez-vous de cette affaire ?

Je ne souhaite pas m’exprimer dans le détail sur un dossier qui est encore entre les mains de la justice nigérienne. Des noms ont été cités et relayés par les médias, mais il faut respecter la présomption d’innocence.

Cela dit, il est évident qu’il faudra assainir le secteur de la défense mais aussi d’autres au sein desquels on a laissé proliférer certaines pratiques. Ce devra être une des priorités du prochain président et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai mis en tête de mon programme politique la nécessité de rétablir les bonnes pratiques et la bonne gouvernance dans les institutions de la République.

Un certain nombre d’opérateurs économiques ont été cités. S’ils étaient condamnés, devrait-on leur interdire de passer tout marché avec l’État dans le futur ?

Encore une fois, il faut respecter la présomption d’innocence. Mais, s’il est avéré que des personnes ont fraudé, elles seront bien sûr condamnées et des mesures devront alors être prises en conséquence, en particulier quand cela touche à la défense et à la sécurité, la première préoccupation des Nigériens.

Issoufou Katambe, le ministre de la Défense, a récemment proposé un doublement des effectifs de l’armée, qui pourraient passer à 50 000 hommes. Êtes-vous sur la même longueur d’onde ?

Je ne crois pas que la problématique sécuritaire puisse se résumer à une question d’effectifs. Je crois pour ma part qu’il faut surtout mieux former et mieux équiper nos troupes. Bien sûr, notre territoire est immense et il faut un nombre suffisant d’hommes. Mais c’est leur professionnalisation qui compte. Dans les pays développés, on observe plutôt une tendance à la réduction des effectifs et, quand nos grands partenaires nous envoient des hommes, ce sont des forces spéciales. Le Niger doit lui aussi faire en sorte de « spécialiser » ses soldats.

Je pourrais même revoir le budget de la Défense à la hausse s’il le faut

Cela veut-il dire que, si vous êtes élu, vous garderez le budget de la Défense à son niveau actuel, que certains estiment trop élevé ?

Oui, et je pourrais même le revoir à la hausse s’il le faut. Sans sécurité, nous ne pourrons pas nous atteler aux autres chantiers. Il nous faut combattre nos ennemis de l’intérieur, rendre notre territoire plus sûr et, ensuite, nous pourrons nous attaquer efficacement aux problématiques de notre développement comme l’éducation et la santé.

Le Niger a-t-il les moyens de cette politique ?

Bien sûr, cela a un coût, mais nous avons des perspectives intéressantes pour utiliser et développer nos ressources. Je veux parler – pour n’évoquer que le domaine minier – du gaz, de l’uranium, de l’or ou encore, et peut-être surtout, du pétrole. Le projet d’oléoduc, construit avec nos partenaires chinois vers le Bénin, doit nous permettre de produire et d’exporter davantage. Il a pris du retard et aurait déjà dû être opérationnel mais il reste un symbole de notre potentiel.

Je ne veux pas être le président d’une région, mais celui de tous les Nigériens

Comme Mahamadou Issoufou, vous êtes originaire de la région de Tahoua. Votre principal objectif est-il de faire le plein de suffrages dans ce gros réservoir de voix ?

Il est vrai que, depuis longtemps, les Nigériens votent davantage pour une personne que pour un parti. C’est le cas dans la plupart des régions et notamment à Tahoua depuis de nombreuses années avec Mahamadou Issoufou, qui en est comme moi originaire. Cette année, il est absent. Vers qui vont se tourner les électeurs de Tahoua ? Je ne sais pas mais c’est une question secondaire à laquelle je préfère ne pas réfléchir.

Je suis dans tous les cas candidat d’un parti devant tous les Nigériens. Mon objectif, au soir de l’élection, n’est pas d’être celui qui aura recueilli le plus de voix à Tahoua, mais d’être celui qui aura comptabilisé le plus de votes dans tout le pays. Je ne veux pas être le président d’une région, mais celui de tous les Nigériens.

Vous avez été membre du MNSD jusqu’en 2015 et vous allez affronter son candidat, Seini Oumarou, au premier tour. Quel regard portez-vous sur l’ancien parti unique aujourd’hui ?

Permettez-moi d’abord de rendre un hommage à la mémoire de l’ancien président Mamadou Tandja, qui a été notre parrain politique au sein du MNSD [et qui est décédé le 24 novembre]. Je ne vais pas me prononcer sur l’actualité d’une formation dont je ne fais plus partie.

L’Histoire aurait pu nous éviter tant de dissensions au sein de notre famille politique, et peut-être fallait-il souhaiter que nous ne nous divisions pas. Un certain nombre de partis, dont le mien, n’auraient alors pas vu le jour. Les choses se sont passées différemment. Quelles sont les chances du MNSD actuel pour ces élections ? C’est à ses dirigeants qu’il faut poser la question.

Jeune Afrique l’a fait : Seini Oumarou espère porter le MNSD jusqu’au second tour…

Seini Oumarou est assez expérimenté pour être conscient de l’état du parti qu’il dirige. Dans tous les cas, ce sont les urnes qui nous donneront la seule véritable réponse.

Une partie de l’opposition, regroupée dans une coalition (CAP-21), s’est engagée à s’unir contre le parti au pouvoir lors d’un éventuel second tour. Êtes-vous également dans cette stratégie du « Tout sauf PNDS » ?

J’ai appris à me méfier des déclarations qui sont faites avant un premier tour. L’expérience nous a démontré que la réalité de l’entre-deux-tours peut souvent être différente de celle d’une campagne électorale.

Mon parti et moi-même avons été partenaires du PNDS. Nous sommes désormais candidats, non pas contre le parti au pouvoir, mais au nom de nos militants. Pour ce qui est des options stratégiques de second tour, nous donnerons notre position le moment venu, à haute et intelligible voix, mais pas avant.

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