L’Égypte achève sa présidence de l’Union africaine, avec un bilan dominé par ses priorités nationales

Au terme de son mandat de un an à la tête de l’Union africaine (UA), Le Caire aura réussi à renouer avec l’Afrique… Mais sans lever tous les malentendus. À l’heure du passage de témoin à Pretoria, Jeune Afrique dresse le bilan.

De g. à dr., au premier rang	: Abdel Fattah al-Sissi, Moussa Faki Mahamat, Paul Kagame, et Abiy Ahmed. © Tiksa Negeri/REUTERS

De g. à dr., au premier rang : Abdel Fattah al-Sissi, Moussa Faki Mahamat, Paul Kagame, et Abiy Ahmed. © Tiksa Negeri/REUTERS

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Publié le 8 février 2020 Lecture : 6 minutes.

L’Égypte ne veut plus entendre dire qu’elle ne serait pas africaine. Interrogés sur leur sentiment d’appartenance au continent, ses diplomates protestent invariablement en évoquant Gamal Abdel Nasser et son rôle crucial dans les indépendances. Les plus férus de culture classique convoquent l’historien grec Hérodote, qui décrivait l’Égypte comme « un don du Nil ».

Des références qui datent et qui ne font pas oublier près d’un demi-siècle d’éclipse – sous les présidents Anouar al-Sadate et Hosni Moubarak – durant lequel Le Caire a davantage regardé vers le Moyen-Orient et l’Occident que vers l’Afrique. « Cela a été rectifié depuis 2014 [date de l’élection d’Abdel Fattah al-Sissi] », assure Ehab Badawy, ambassadeur de la République arabe à Paris et ancien porte-parole du président égyptien.

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Il en veut pour preuve le nombre croissant de déplacements de Sissi sur le continent. La présidence de l’Union africaine (UA), échue à l’Égypte en 2019 alors qu’elle avait été suspendue de l’organisation après le renversement du président Mohamed Morsi, en 2013, se voulait le symbole de cette réorientation stratégique vers le Sud.

« La question libyenne, la crise du Nil, les menaces qui pèsent sur la liberté de circulation en mer Rouge… Toutes ces problématiques ont incité l’Égypte à jouer un rôle plus important sur le continent. Sans oublier la présence de Daesh en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, et son expansion du Niger au Tchad, et peut-être demain jusqu’en Égypte », égrène Ahmed Kamel al-Beheiry, chercheur au Centre Al-Ahram d’études politiques et stratégiques, au Caire. Pour autant, les objectifs égyptiens durant cette année passée à la tête de l’UA n’avaient rien de grandiose.

La Libye et le Soudan, deux crises majeures aux frontières de l’Égypte

« Nous avons travaillé sur un nombre volontairement réduit de priorités au sein de l’UA », explique l’ambassadeur. Son collègue à Addis-Abeba, Osama Abdel Khalek, cite, parmi les mesures à mettre au crédit du Caire, l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale (Zleca), l’amélioration des méthodes de travail au sein de l’UA, ou encore la création, dans la capitale égyptienne, du Centre de l’UA pour la reconstruction et le développement post-conflit.

Sur le plan géopolitique, l’Égypte a été obligée de regarder vers le continent, en raison de crises majeures à ses deux frontières africaines – au Soudan et, surtout, en Libye. Il y a un an, à Addis-Abeba, le passage de relais entre Sissi et le Rwandais Paul Kagame survenait au lendemain d’une réunion du Comité de haut niveau sur la Libye, où l’UA et l’ONU promettaient de travailler ensemble à la résolution de la crise. Las ! 2019 aura été une nouvelle année zéro avec l’offensive du maréchal Haftar sur Tripoli, déclenchée à peine un mois et demi après les serments faits à Addis.

Un combattant fidèle au gouvernement de Tripoli, lors des combats contres les troupes du général Haftar, en avril 2019 (archives). © Mohamed Ben Khalifa/AP/SIPA

Un combattant fidèle au gouvernement de Tripoli, lors des combats contres les troupes du général Haftar, en avril 2019 (archives). © Mohamed Ben Khalifa/AP/SIPA

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La même année marque le déraillement complet du processus politique. Dans le maelström libyen, l’Afrique a éprouvé bien des peines à s’exprimer d’une seule voix et à promouvoir sa médiation. La faute à qui ? Au sein même de l’UA, ce sont Moussa Faki – président de la Commission de l’UA – et la présidence du Comité sur la Libye qui se plaignent de la marginalisation de l’Afrique… pas la présidence égyptienne elle-même.

De là à imaginer que l’Égypte, qui ne cache pas son soutien au maréchal Haftar, n’a rien fait pour favoriser une médiation portée par le continent, il n’y a qu’un pas. Franchi un peu trop rapidement au goût d’Ehab Badawy. « Ce n’est pas sur un rôle de l’UA, que nous présidons, que nous allons avoir des réserves », répond le diplomate.

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« L’Égypte a les positions que l’on connaît sur le conflit libyen, qui ne sont pas faciles à concilier avec le rôle de médiateur », oppose, dans les colonnes de Jeune Afrique, Jean-Claude Gakosso, ministre des Affaires étrangères du Congo, dont le président, Denis Sassou Nguesso, dirige le Comité de l’UA sur la Libye. « La prolifération des initiatives n’est pas souhaitable », rétorque à son tour Ehab Badawy.

L’Égypte n’a pas réussi à unifier la position africaine sur la Libye pendant sa présidence de l’UA

À Brazzaville, le 30 janvier, lors d’une nouvelle réunion du Comité de l’UA, Le Caire s’est contenté d’envoyer son vice-ministre des Affaires étrangères, Hamdi Loza. C’est d’ordinaire le titulaire du poste, Sameh Choukri, qui assiste aux réunions internationales sur la Libye. « L’Égypte n’a pas réussi à unifier la position africaine sur la Libye pendant sa présidence de l’UA, explique Ahmed Kamel al-Beheiry. Cet échec est le résultat de la concurrence des intérêts sur cette question. Les voisins immédiats de la Libye – Algérie, Tunisie, Niger, Égypte, Tchad et Soudan – ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une vision commune de la problématique. » Aussi, l’intérêt national égyptien semble bien l’avoir emporté sur la volonté de porter une solution multilatérale à l’échelle du continent.

Le barrage de la Renaissance en Éthiopie, dossier soustrait à l’UA

Quant à la question du barrage de la Renaissance, pomme de discorde entre l’Égypte et l’Éthiopie depuis 2011, l’Égypte ne paraît pas plus en phase avec ses partenaires africains, et n’aura pas tiré profit de sa présidence de l’UA pour sortir de son isolement continental. « Nous n’avons jamais considéré que c’était une bonne chose de ramener cette question à la table de l’UA, objecte Ehab Badawy. Et nous avons toujours cru qu’il était possible de résoudre ce problème avec nos frères soudanais et éthiopiens. »

Cependant, les négociations patinent toujours dans l’attente d’une expertise de la Banque mondiale, acteur « neutre » du point de vue du Caire. En novembre 2019, Washington a commencé à jouer les médiateurs sur cette question.

Pour l’Éthiopie, qui a fait fi des protestations égyptiennes en poursuivant la construction du barrage, ce dernier est devenu un motif de fierté nationale. De son côté, Le Caire fait valoir que le projet menace la sécurité alimentaire de plus de 100 millions de ses citoyens, à 90 % dépendants du Nil. « L’Égypte n’a pas d’objections à ce que l’Éthiopie développe son réseau électrique, le désaccord porte sur la durée et la période de la fermeture du barrage, détaille Ahmed Kamel el-Beheiry. C’est parce que l’Égypte estime qu’elle n’est pas assez entendue sur le sujet en Afrique qu’elle a demandé une médiation américaine. » De ces tractations sur une question aussi cruciale pour le continent, l’UA a donc aussi été exclue.

Le site du grand barrage de la Renaissance, en 2013. © Elias Asmare/AP/SIPA

Le site du grand barrage de la Renaissance, en 2013. © Elias Asmare/AP/SIPA

Dans ce contexte, le lancement, début janvier, à Riyad, sous l’égide des Saoudiens, d’un Conseil des États arabes et africains bordant la mer Rouge et le golfe d’Aden a créé de nouveaux remous avec ­plusieurs États est-africains, dont le Kenya et… l’Éthiopie, qui perçoivent l’institution comme un outil d’influence saoudien dans une Corne de l’Afrique déjà fortement sujette aux ingérences extérieures. « Il y a une crainte que les pays africains ne soient entraînés dans les crises du Moyen-Orient, notamment celle qui oppose l’Arabie saoudite à la Turquie. Sans parler du Qatar, devenu très influent en Somalie », décrypte Roba Sharamo, spécialiste kényan de la Corne de l’Afrique à l’Institute for Security Studies.

L’histoire de l’UA retiendra-t-elle que c’est sous la présidence de l’Égypte, allié clé de Riyad et d’Abou Dhabi sur le continent et membre du Conseil, que ce dernier s’est créé, suscitant de nouveaux doutes sur les priorités régionales du Caire ? « Faut-il ­rappeler que les Chinois, les Français et les Américains sont physiquement présents dans la Corne de l’Afrique, alors qu’ils ne sont pas des pays riverains de la mer Rouge, contrairement à l’Arabie saoudite ? » balaie Ehab Badawy. Le même rappelle combien la sécurité de navigation en mer Rouge est cruciale pour l’Égypte, compte tenu des revenus qu’elle tire du canal de Suez.

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