Politique

Libye – Jean-Claude Gakosso : « L’Afrique doit parler d’une seule voix »

À la veille de la conférence de Berlin sur la Libye, le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville plaide pour une solution africaine au conflit. Une réunion consacrée à la crise libyenne se tiendra le 30 janvier prochain dans la capitale congolaise.

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Mis à jour le 18 janvier 2020 à 17:45

Le ministre des Affaires étrangères congolais Jean-Claude Gakosso aux Nations Unies, en septembre 2016. © AP Photo/Jason DeCrow

D’Alger à Berlin en passant par Tunis et Pretoria : depuis une semaine, le ministre Gakosso est toujours entre deux avions. C’est le dossier libyen qui occupe ces derniers jours son agenda, lui dont le président Sassou-Nguesso dirige le Comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la Libye. S’il salue « l’approche nouvelle d’Angela Merkel » qui a invité le Congo-Brazzaville et l’Union africaine à Berlin pour la conférence sur la Libye qui s’y tiendra dimanche 19 janvier, le ministre veut croire que c’est avant tout sur le continent que se trouvera la solution à la crise.

De retour d’une tournée africaine durant laquelle il a invité les pays-membres du Comité à une réunion sur la Libye à Brazzaville le 30 janvier, il est arrivé dans la matinée dans la capitale allemande où sa mission sera de faire entendre la voix de l’Afrique, selon lui insuffisamment prise en compte dans ce dossier. Entretien.

Vous êtes à Berlin pour participer à la conférence internationale sur la Libye. Quel sera votre message en Allemagne ?

Il y a une injustice, qu’on peut qualifier d’historique, à réparer. La Libye est bel est bien un État africain, c’est même l’un des pays fondateur de l’Union africaine. Mais malheureusement, depuis 2011, l’Afrique a été marginalisée dans les tentatives du règlement du conflit libyen. Son point de vue a souvent été sous-estimé. Or on ne voit pas comment régler le problème libyen sans impliquer les Africains, à commencer par les pays voisins que sont l’Égypte et l’Algérie, bien sûr, mais aussi la Tunisie, le Tchad, le Soudan et le Niger, qui subissent de plein fouet les conséquences de cette crise.

Et je pense aussi au Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, qui comprend dix pays dont les 6 pays limitrophes de la Libye. Il y a donc cette injustice à réparer. Mais Angela Merkel a appelé le président Denis Sassou-Nguesso pour l’inviter à Berlin et prendre part aux pourparlers qui vont débuter dans quelques heures. Je salue cette approche nouvelle de la chancelière allemande, qui donne de la considération aux Africains en les associant à la recherche d’une solution à l’épineux problème libyen.

Le point de vue de l’Afrique a souvent été sous-estimé sur le dossier libyen

Il y a près d’un an à Addis-Abeba lors du somet de l’UA, le Comité de haut niveau de l’organisation sur la Libye et l’ONU affichaient leur volonté de travailler ensemble sur le dossier libyen. Qu’est-ce qui n’a pas marché entre les deux institutions ?

Notre souhait ardent, c’est en effet que les Nations unies travaillent main dans la main avec l’Union africaine, mais pour l’instant les choses ne se sont pas vraiment mises en place pour que cette collaboration devienne effective. Nous venons aussi à Berlin pour répéter ce message : il y a peu de chance d’obtenir des résultats s’il n’y a pas de collaboration sincère entre les Nations unies et l’Union africaine. Le point de vue de l’Union africaine, c’est qu’il faut impérativement une conférence de réconciliation, et travailler à amener les Libyens autour de la table. Aujourd’hui, ils se regardent en chiens de faïence.

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Une position commune ?

Avant de prendre la direction de Berlin, vous avez fait une tournée africaine de préparation du sommet de Brazzaville consacré à la Libye [initialement prévue le 25 janvier et repoussée au 30 janvier]. Que retenez-vous de vos échanges avec les responsables africains ?

Lorsque les voix africaines sont discordantes, l’Afrique n’est pas prise en considération, elle ne pèse pas dans le concert des nations. Nous savons qu’il y a des tiraillements, des engagements de certains États africains dans ce dossier, liés à l’histoire et à la géographie. Nous comprenons tout cela. Mais il faut que l’Afrique parle d’une seule et même voix, c’était mon message lors de cette tournée. J’ai aussi appelé à ce que les Libyens soient au centre de ce qui se dessine en ce moment. Les pays voisins accompagnent le processus de réconciliation mais en définitive, ce sont les Libyens eux-mêmes qui doivent décider de leur destin. Ce message va être au cœur de la réunion de Brazzaville.

Lorsque les voix africaines sont discordantes, l’Afrique ne pèse pas dans le concert des nations

Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar seront-ils présents à Brazzaville ?

Ils sont invités. Nous avons déjà tenu ce genre de sommet tantôt à Brazzaville, tantôt à Addis-Abeba. Le Premier ministre Sarraj est déjà venu plusieurs fois à Brazzaville, le maréchal Haftar est aussi passé une fois. Ce n’est pas facile de les faire se rencontrer, vous avez vu qu’à Moscou ça n’a pas été le cas non plus. Mais nous ne baissons pas les bras : nous ne pourrons pas parler de l’avenir de la Libye sans la présence des principaux leaders ou de leurs représentants. Cette fois, nous allons associer d’autres protagonistes, comme la Russie et la Turquie. Nous sommes disposés à travailler avec tous ceux qui exercent une influence sur les protagonistes dans ce conflit, à écouter les points de vue des uns et des autres pour chercher une solution politique durable. Nous ne croyons pas à la solution militaire.

C’est pourtant elle qui a prévalu jusque-là en Libye…

Oui, parce que les acteurs libyens sont eux-mêmes un peu otages des puissances étrangères impliquées.

L’UA veut reprendre la main

Vous avez aussi, cette semaine, rencontré le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui va prendre la tête de l’UA prochainement (succédant au président égyptien Sissi). Ce changement peut-il relancer la médiation africaine ?

Vraisemblablement. Je crois que la position du président Ramaphosa sera beaucoup plus aisée que ne l’était celle du président Sissi. L’Égypte est un pays voisin de la Libye, avec qui elle a une longue frontière et une longue histoire. Elle a les positions que l’on connaît sur le conflit libyen, qui ne sont pas faciles à concilier avec le rôle de médiateur. L’Afrique du Sud est éloignée du terrain libyen, et on peut penser que le président Ramaphosa aura les coudées franches dans ce dossier. L’objectif de l’année 2020 pour l’UA, c’est que le canon se taise sur le continent. Le président Ramaphosa considère, comme le président Sassou-Nguesso, qu’on ne peut pas y arriver si la Libye reste un brasier.

Nous misons sur la réconciliation entre les Libyens, nous devons les amener à mettre de l’eau dans leur vin

Donc le Congo-Brazzaville, l’Union africaine et l’Afrique du Sud sont en phase sur le dossier libyen ?

Absolument, et vous voyez que les lignes bougent. L’Afrique est enfin impliquée, et c’est une bonne chose. Nous voulons miser sur la réconciliation fraternelle entre les Libyens, les amener à mettre un peu d’eau dans leur vin, à faire taire un peu les égoïsmes. Cela peut sembler être un vœu pieux, mais nous devons travailler à cela. On a parfois reproché à l’Afrique un certain laxisme dans la recherche des solutions aux problèmes qui la concernent. Mais dans le dossier libyen, nous avons quand même, sous le leadership du président Sassou-Nguesso et du président de la Commission de l’UA Moussa Faki, une Afrique qui se tient debout. On doit la respecter.