[Tribune] Et si le coronavirus faisait chuter Donald Trump ?

En provoquant une crise économique et en remettant le système de santé américain au centre de la campagne, la pandémie de coronavirus pourrait entraîner la défaite du président américain à la présidentielle de novembre prochain.

Le président Donald Trump lors d’une conférence de presse sur le coronavirus à Washington, le 23 mars 2020. © Chris Kleponis/Polaris/Bloomberg via Getty Images

Le président Donald Trump lors d’une conférence de presse sur le coronavirus à Washington, le 23 mars 2020. © Chris Kleponis/Polaris/Bloomberg via Getty Images

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  • Pap Ndiaye

    Historien, professeur à Sciences Po Paris, nouveau directeur général du Palais de la Porte Dorée

Publié le 26 mars 2020 Lecture : 4 minutes.

Inconcevable il y a quelques mois, la terrible épidémie de coronavirus qui s’abat sur le monde des humains aura des effets politiques imprévisibles. Du côté des États-Unis, la crise économique qui s’accroît de jour en jour rend désormais la réélection de Donald Trump hautement incertaine.

Le président américain, très confiant après son acquittement lors de la procédure d’impeachment, pariait sur un adversaire jugé vulnérable (Bernie Sanders) et sur une économie florissante. C’est tout le contraire qui devrait se produire : il affrontera très probablement un démocrate expérimenté et rassurant (Joe Biden) dans le contexte catastrophique d’une économie en récession. L’éventualité d’une défaite du chef de l’État sortant devient dès lors très envisageable.

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L’une des questions centrales de la campagne électorale sera plus que jamais le système de santé américain. À l’heure actuelle, on ne sait comment il résistera à l’afflux de milliers de malades du coronavirus.

Situation sanitaire médiocre

Cela est d’autant plus vrai que la situation sanitaire des États-Unis n’est pas étincelante en période normale, loin s’en faut. Prenons par exemple le taux de mortalité infantile, un très bon indicateur de médecine préventive et curative : les États-Unis sont à la 33e place mondiale, avec 5,9 enfants de moins de 1 an décédés pour 1 000 naissances, contre 3,9 en moyenne dans les pays de l’OCDE, et avec des variations régionales importantes (3,9 dans le Vermont et le New Hampshire, 8,9 dans le Mississippi).

Les autres indicateurs de santé publique vont dans le même sens : la situation sanitaire américaine est médiocre comparée à celle des autres pays riches. Pourtant, les Américains consacrent chaque année 17 % de leur PIB à leur santé (3 600 milliards de dollars en 2018), soit plus que les autres pays riches (11,5 % en France, par exemple) et que les États africains (entre 5 % et 6 % en moyenne au sud du Sahara).

Mais leurs dépenses ne sont pas à la hauteur des résultats. En cause : le coût prohibitif des services médicaux et sanitaires. Les Américains n’y ont pas plus recours que d’autres, ils sont simplement les plus chers au monde.

Times Square (New York), à l'heure du coronavirus. © Makoto Murayama/AP/SIPA

Times Square (New York), à l'heure du coronavirus. © Makoto Murayama/AP/SIPA

Les États-Unis laissent des gens mourir faute d’argent pour se soigner convenablement

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Cela a une conséquence importante : l’inégalité dans l’accès aux soins. Les États-Unis ont des équipements de pointe, leurs médecins sont parmi les meilleurs du monde, et ils comptent un nombre inégalé de prix Nobel de médecine (99 à ce jour). Mais ils laissent aussi des gens mourir faute d’argent pour se soigner convenablement.

Pourtant, la loi d’assurance santé emblématique de la présidence Obama (l’Obamacare), votée en 2010 et appliquée depuis 2014, a eu des effets positifs. Cette loi met en œuvre une aide financière de l’État fédéral afin que tous les Américains puissent souscrire une assurance santé privée. Une vingtaine de millions de citoyens en ont bénéficié, mais 10 % d’entre eux n’ont toujours pas de couverture santé.

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En dépit des promesses de campagne de Trump, les républicains ont échoué à démanteler l’Obamacare. Mais ils ont essayé de la détricoter fil à fil. Elle a donc perdu une partie de sa force au moment où on en aurait le plus besoin.

Inégalités de santé

De fait, la crise du coronavirus va exposer crûment les inégalités de santé aux États-Unis. Les plus riches ont priorité pour se faire tester, voire pour se faire soigner. Les plus pauvres passeront après.

Tout comme la France et d’autres pays européens, les États-Unis ne sont pas prêts à affronter l’épidémie, et le manque de matériel se fait déjà sentir dans de nombreux hôpitaux. Si à ces difficultés anciennes d’accès aux soins s’ajoute désormais une grande dépression économique – la hausse vertigineuse du chômage en est un signe, – alors le nombre d’Américains atteints par le Covid-19 et dans l’incapacité de se soigner pourrait être dramatiquement élevé.

La seule solution consiste en une intervention massive de l’État fédéral, en partenariat avec les autorités régionales et locales (États fédérés, villes et comtés), ce qui n’est pas garanti à l’heure actuelle.

D’une part, parce que le gouvernement américain est surtout occupé à soutenir une économie au bord du gouffre, et ne donne pas l’impression d’avoir vraiment saisi l’ampleur de la catastrophe à venir. Pendant plusieurs semaines, Trump a ainsi relativisé l’impact du virus et expliqué qu’il s’agissait d’un bobard des démocrates. Le voilà maintenant qui reconnaît la réalité, ce qui est déjà un progrès, mais il laisse aux gouverneurs des États la responsabilité de gérer les équipements nécessaires : « Débrouillez-vous ! » leur a-t-il intimé avec délicatesse.

Donald Trump lors d'une conférence de presse sur le coronavirus à Washington, le 25 mars 2020. © Alex Brandon/AP/SIPA

Donald Trump lors d'une conférence de presse sur le coronavirus à Washington, le 25 mars 2020. © Alex Brandon/AP/SIPA

On est très loin d’un chef d’État rassembleur, à l’image de Franklin Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale

D’autre part, parce que l’unité nationale n’est pas garantie sur le sujet. Trump se pare désormais du titre pompeux de « wartime president » (« président en temps de guerre »), mais, à ses yeux, l’ennemi n’est pas seulement le virus, mais aussi la Chine et Joe Biden. Bref, on est très loin d’un chef d’État rassembleur, à l’image de Franklin Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les circonstances actuelles, qui réclament un grand président, en tout cas un homme qui se hisse à la hauteur de sa fonction, Trump reste Trump.

Il faut maintenant envisager l’effet de l’épidémie sur la campagne présidentielle : si les questions de santé s’installent au premier plan, alors deux conséquences immédiates pourraient en découler. D’abord, la loi Obamacare, même si elle est insuffisante, serait définitivement sauvée : qui oserait désormais plaider pour un désengagement de l’État ? Ensuite, les coupes budgétaires massives infligées par Trump au budget fédéral de la santé (hôpitaux publics et recherche) seraient remises en cause. Quel candidat à l’élection oserait plaider pour moins d’État par gros temps ?

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