Albert Yuma Mulimbi : « La Gécamines redeviendra un opérateur minier indépendant »

Le Katangais Albert Yuma Mulimbi, 55 ans, achève en ce mois de décembre sa première année à la tête de la Générale des carrières et des mines (Gécamines) en tant que président du conseil d’administration. Une année très intense pour cet homme d’affaires venu du privé qui a pour mission de remettre à flot le navire amiral de l’économie de la RDC.

Albert Yuma achève sa première année à la présidence du conseil d’administration de Gécamines. © Vincent Fournier pour J.A.

Albert Yuma achève sa première année à la présidence du conseil d’administration de Gécamines. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 16 décembre 2011 Lecture : 8 minutes.

Avec ses équipes et son actionnaire unique, l’État de la RDC, Albert Yuma Mulimbi a élaboré un plan de développement sur cinq ans qui doit refaire de la Gécamines un opérateur minier indépendant grâce à un plan d’investissement de 962 millions de dollars. Pour 2016, le groupe vise un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars, contre 260 millions en 2011, et prévoit de renouer avec les bénéfices à hauteur de 145 millions de dollars. Explications.

Jeune Afrique : Vous présentez un plan de redressement très ambitieux, mais avez-vous aujourd’hui les moyens financiers et humains de votre ambition : refaire de la Gécamines un opérateur minier indépendant ?

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Albert Yuma Mulimbi : Mais comment font par exemple les autres groupes miniers qui sont dans des joint-ventures avec nous ? Ils ont eu des titres miniers de la Gécamines, obtenu des concessions de la Gécamines, puis ils ont réalisé des études de faisabilité qui ont coûté entre 30 et 40 millions de dollars. Ils ont ensuite certifié des millions de tonnes de cuivre et sont allés demander de l’argent sur la base de ces certifications et le gage des titres miniers. Pourquoi la Gécamines ne saurait-elle pas le faire ?

Il ne faut pas toucher aux joint-ventures conclus entre 2000 et aujourd’hui (…) La seule chose que nous allons faire est un audit financier limité, pour vérifier si la Gécamines bénéficie de tout ce qui était prévu à la signature des joint-ventures.

Vous allez donc relancer l’exploitation de nouveaux gisements en propre ?

Exactement. Je considère qu’il ne faut pas toucher aux joint-ventures conclus entre 2000 et aujourd’hui. Il y en a une trentaine et ils restent ce qu’ils sont. La seule chose que nous allons faire, je l’ai dit très clairement, est un audit financier limité, pour vérifier si effectivement la Gécamines bénéficie de tout ce qui était prévu à la signature de ces joint-ventures. Car vous l’aurez constaté, le secteur minier ne profite pas encore réellement au pays. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous voulons être notre propre opérateur minier.

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Avec une trentaine de joint-ventures en cours avec des groupes miniers, où allez vous trouver de nouveaux gisements?

Nous travaillons avec une firme sud-africaine pour la certification des gisements. Cela couvre une zone de plus ou moins 8000 kilomètres. Cela prendra trois ans et coûtera 72 millions de dollars. Nous espérons certifier plus de 4 millions de tonnes de cuivre. Au prix actuel du cuivre, c’est potentiellement plusieurs milliards de dollars de revenus.

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Cherchez-vous aussi à diversifier les activités de la Gécamines ?

Effectivement, nous voulons nous diversifier de deux manières. D’abord, de l’activité minière elle même. Dans la Gécamines, nous avions tout : l’activité du cuivre, la plus grande fonderie d’Afrique, une cimenterie, une usine de calcaire et de chaux, une usine de câbles de cuivre,… Si nous mettons l’activité cuivre à part, toutes les autres deviennent des centres de profits autonomes, capables de générer 25% du milliard de dollars de chiffre d’affaires à partir de 2016.

Nous sommes par exemple les seuls miniers à avoir une usine de chaux, indispensable à la fabrication du cobalt. Les trois quarts des autres miniers l’importent. Il nous suffit de mettre six millions de dollars, ce que nous avons fait, dans cette usine de calcaire et de chaux pour récupérer un marché de plusieurs millions de dollars par mois. Deuxième manière de diversification, dans les concessions de la Gécamines, il y a du cuivre, de l’or, du manganèse, du coltan et du zinc. A partir de 2014, nous élaborerons un plan pour exploiter ces autres métaux que le cuivre.

Mais d’abord, comment allez vous trouver les 962 millions de dollars nécessaires à cette stratégie?

Il y a trois sources de financement. Premièrement, la cession de participation non stratégique. Nous avons cédé notre participation minoritaire de 20% dans le joint venture Mumi (Mutanda ya Mukonkota Mining) pour 137 millions de dollars. Ils ont été réservés pour les premiers investissements de modernisation de l’outil industriel, de reprise de la prospection et de la recherche de nouveaux gisements. Deuxièmement le recours aux banques de coopération internationales (AFD, DBSA,…) qui devrait totaliser 200 millions de dollars. Et troisièmement la mise en gage des titres miniers sur la base de la certification des gisements.

Ce montant d’investissement de 962 millions de dollars est très précis. C’est surprenant. Comment êtes-vous arrivés à ce montant ?

Ceci est très précis parce que nous avons passé près de huit mois à préparer notre business plan.

L’avez-vous préparé seul ou avec l’aide de cabinets spécialisés ?

Sur la partie technique nous avons été conseillés par le cabinet français EXA International. Pour tout le reste, la Gécamines a les compétences humaines. À sa belle époque, elle avait les ingénieurs les mieux formés du monde. Et je dis bien du monde. Aujourd’hui dans la plupart des entreprises minières d’Afrique du sud vous trouverez des anciens « Gécamines ».

Pourtant, une critique revient souvent : la Gécamines n’aurait plus les moyens humains et technologiques de ses ambitions…

Les investissements que nous voulons réaliser, c’est pour nous doter de moyens technologiques. Il n’y a plus eu d’investissements depuis 20 ans dans le groupe. Vous ne pouvez pas produire du cuivre compétitif avec des technologies obsolètes. D’où l’utilisation des 137 millions de dollars pour moderniser et remettre à niveau les installations et permettre de sécuriser un volant minimum de production qui peut aller jusqu’à 50 000 tonnes de cuivre. Il s’agit de fiabiliser le processus de production et d’améliorer la qualité.

De 11 000 personnes aujourd’hui, nous voulons passer à un effectif de 6000 salariés.

Et concernant le déficit en compétences humaines ?

Sur le plan humain, je suis d’accord avec vous. Il y a un plan de restructuration des effectifs qui sera fait en accord avec tous les partenaires, autorités gouvernementales et délégations syndicales, pour réduire les effectifs à une taille compatible avec les équipements actuels et le niveau de production.  Mais en parallèle, il y a un processus de formation intense. Nous allons mettre une cinquantaine de millions de dollars pour former du personnel dans et hors de l’entreprise. Nous allons également recruter plus d’un millier de jeunes techniciens.

Pourtant les effectifs de la Gécamines vont bien fondre de moitié ?

C’est vrai, de 11 000 personnes aujourd’hui, nous voulons passer à un effectif de 6000 salariés.

Cela peut-il se faire dans un climat serein ?

Cela va se faire de manière apaisée car il y a pratiquement 2000 salariés qui attendent depuis des années leur départ à la retraite. La Gécamines, pourra alors payer leur plein droit. Puis, il y a une autre partie du personnel qui peut prétendre à une retraite anticipée à taux plein.

Ces programmes là, nous allons les appliquer. Il y a aussi des secteurs d’activités pléthoriques dans le groupe, alors que nous manquons de personnel technique. On pourra aussi, en accord avec les délégations syndicales, faire partir ceux qui ne sont pas dans des activités stratégiques de production et recruter des profils techniques. Ces volants d’aménagements et la restructuration du personnel représentent une enveloppe de 164 millions de dollars.

Diviser les effectifs par deux, c’est déjà une sacré économie ?

Nous n’avons pas le choix. La moyenne d’âge des salariés de la Gécamines est aujourd’hui de 56 ans. Et avec davantage de personnel dans la tranche au-delà de 50 ans que l’inverse. Cela n’engendre aucune difficulté, puisque cette catégorie de personnel demande à prendre sa retraite. Et nous donnons aux salariés ce à quoi ils ont droit pour partir. De plus, on ne fait pas partir du personnel sans recruter des jeunes. On remet en place un centre de formation. En relançant une activité minière, nous solidifions à nouveau aussi tout un réseau de sous-traitants de PME locales katangaises qui sont capables d’absorber une main d’oeuvre ou d’en créer. Ce qui permettra d’avoir une population active locale supérieure aux 11 000 salariés actuels.

Êtes-vous dans le timing que vous projetiez il y a un an ?

Absolument. Nous avions effectivement l’ambition de stabiliser la situation, au moins de maitriser la production, de recommencer un programme d’investissement prioritaire pour fiabiliser le vieil outil de production qui est là et de relancer un programme de prospection. Ce que nous avons fait. Tout cela se concrétisera dans notre business plan à cinq ans.

Mais qu’en est-il de ce passif de 1,6 milliard de dollars ?

C’est le passif que nous avions trouvé fin 2010. Il y a un plan de restructuration. Dans le cadre du plan de transformation des entreprises publiques en société de droit commercial (réalisé fin 2010 pour la Gécamines), le passif non assurable, autour de 800 millions de dollars, devrait être pris en charge par l’État. Nous négocions par ailleurs un allègement significatif d’environ 70% des dettes financières et commerciales. Notre passif devrait se situer entre 300 et 400 millions de dollars à la fin de 2012. Ce qui est tout a fait viable pour une entreprise minière comme la Gécamines. 

Brader la Gécamines, ça je ne le ferai jamais.

Dans cinq ans, si ce plan réussit, envisagez-vous une ouverture du capital et une introduction en bourse ?

La société a été transformée en société de droit privé avec un seul actionnaire, l’État. Le but est de redresser l’entreprise pour pouvoir ouvrir son capital.

Mais c’était déjà un projet il y a quelques années ?

Oui, mais il ne fallait pas faire ce que nous recommandaient alors les bailleurs de fonds : arrêter toute activité de la Gécamines, puis vendre. Nous voulons faire une entreprise minière performante, qui gagne de l’argent, qui se défende. C’est seulement à partir de ce moment là que nous pourrons ouvrir son capital. Mais le faire aujourd’hui, ce serait la brader et ça je ne le ferais pas.

À quelles conditions le ferez-vous alors ?

Si dans cinq ans nous atteignons les chiffres du business plan, nous serons en position favorable pour négocier. Mais avant, je dois réussir ma mission. Si nous réalisons une ouverture du capital, ce n’est pas pour être minoritaire, mais pour disposer des moyens financiers et une expertise technique complémentaire.

Vous vous y préparez déjà ?

Absolument. Nous sélectionnons une entreprise de communication pour nous conseiller et nous ferons un road show à Londres, Genève et Paris à partir du mois de février 2012. Nous sommes petits en terme de production et de chiffre d’affaires, mais la Gécamines est appelée à être une grande entreprise minière et il faut se mettre dans ces conditions de travail là.

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Propos recueillis par Jean-Michel Meyer

Le Hors-Série n° 29 de Jeune Afrique "Les 500 premières entreprises africaines" (172 p. 6 euros) est en kiosques depuis le 12 décembre 2011

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