[Fact checking] Sénégal : des « nervis » aux côtés des forces de l’ordre ?

Tout au long du week-end, des vidéos d’hommes armés tirant sur des manifestants ont été posté sur les réseaux sociaux. Ces images interrogent sur la présence d’hommes dépourvus d’uniforme aux côtés des forces de l’ordre.

Des manifestants dans les rues de Dakar, le 8 mars 2021. © REUTERS/Zohra Bensemra

Des manifestants dans les rues de Dakar, le 8 mars 2021. © REUTERS/Zohra Bensemra

Publié le 8 mars 2021 Lecture : 4 minutes.

Une vidéo a été particulièrement partagée ce week-end, alors que des manifestations violentes éclataient à Dakar, en réaction à l’arrestation du principal opposant à Macky Sall, Ousmane Sonko. « Des nervis de Macky Sall qui tirent sur la jeunesse, voilà la vraie actualité aujourd’hui », indique la personne ayant partagé cette vidéo.

Longue d’un peu plus d’une minute, elle montre une foule en panique courir dans les rues, alors que des hommes dépourvus d’uniformes mais, pour certains, munis de gilets pare-balles, tirent sur la foule avec des armes que JA n’a pu identifier. Le son de cette vidéo permet d’entendre de nombreuses détonations et la réaction incrédule de la personne qui la filme (« Oh la vache, comment les policiers ont pu laisser faire ça ? »). À la 28ème seconde, on voit distinctement une douille tomber de l’arme de l’un des assaillants – ce qui ne permet pas d’indiquer si le tireur a tiré des balles à blancs ou des balles réelles.

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Bien vite, des internautes ont remis en question l’authenticité de cette vidéo, en affirmant qu’elle n’avait pas été tournée à Dakar. Plusieurs détails prouvent pourtant le contraire. À la 31ème seconde, on distingue un panneau « Sénégal découvertes touristiques ». Or, une recherche sur Google Street View avec ces termes permet de reconnaître précisément les lieux sur lesquels a été tournée cette vidéo – dans le quartier du Plateau, à Dakar.

Capture d’écran de Google Street View montrant les lieux sur lesquels a été tournée la vidéo. © DR

Capture d’écran de Google Street View montrant les lieux sur lesquels a été tournée la vidéo. © DR

Il est difficile de dater avec précision quand ont été tournées ces images. Toutefois, la présence de masques sur le visage des assaillants est un indice non négligeable : cette vidéo ne peut dater de plus d’un an. Or depuis le début de la pandémie et jusqu’à ces derniers jours, aucun affrontement violent de cet ampleur n’avait été recensé dans ce quartier d’affaires…

Plusieurs hommes reconnaissables

De surcroît, Jeune Afrique a soumis cette vidéo au logiciel Invid, qui permet de fragmenter une vidéo en plusieurs vignettes, et faire une recherche d’image inversée approfondie avec chacune d’entre elles. Cette analyse n’a rien donné, ce qui laisse à penser que cette vidéo n’est pas ancienne.

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Une autre vidéo, abondamment partagée elle aussi, montre un groupe d’une dizaine de personnes courir, armes à la main.

https://twitter.com/freesenegal_/status/1368211953781465094?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1368211953781465094%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_c10&ref_url=https%3A%2F%2Fpublish.twitter.com%2F%3Fquery%3Dhttps3A2F2Ftwitter.com2Ffreesenegal_2Fstatus2F1368211953781465094widget%3DTweet

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Certains internautes ont émis des doutes sur le fait que ces images aient été tournées au Sénégal. Pourtant, plusieurs indices indiquent que c’est bel et bien le cas. En changeant les paramètres de luminosité, on peut voir que la plaque d’immatriculation de la voiture située au premier plan correspond au modèle des plaques des véhicules enregistrés à Dakar et que les deux premières lettres sont « DK ». De plus, le taxi visible dans la seconde partie de la vidéo arbore les couleurs des taxis dakarois et les panneaux indicateurs bleus que l’on aperçoit à la fin sont similaires à ceux qui ornent les routes de la capitale.

On retrouve plusieurs des hommes visibles sur ces images dans une autre vidéo, particulièrement virale, montrant des individus tirer au travers des grilles du portail d’une maison. On les reconnaît notamment grâce à leurs vêtements : pantalon vert, chemise beige à carreaux et casquette beige pour l’un, pantalon beige et une veste bleu sombre pour l’autre, qui apparaît chaque fois armé.

« Violation du droit international »

Lors de son intervention télévisée, au soir du 5 mars, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, a démenti la présence de nervis aux côtés des forces de l’ordre. « Moi, je ne connais pas de nervis. Je connais des forces de défense et de sécurité, a-t-il assuré. Et les forces de défense et de sécurité s’habillent aussi bien en tenue militaire ou policière qu’en tenue civile ».

Dans un communiqué publié sur son site internet, le 5 mars, l’ONG Amnesty international indique de son côté que « des hommes en tenue civile, armés de gourdins et à bord de véhicules pick-up ont également été aperçus aux côtés des forces de sécurité dans plusieurs lieux à Dakar ».

Les autorités doivent faire la lumière sur le rôle de ces personnes et les poursuivre »

« L’État ne doit pas permettre la présence d’individus non identifiés comme faisant partie des forces de l’ordre pour des opérations de maintien de l’ordre, ni l’usage excessif de la force dont ils ont fait preuve. Ce sont des évidentes violations du droit international des droits humains, affirme Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty à Dakar. Les autorités doivent faire la lumière sur le rôle et la fonction de ces personnes et les poursuivre pour les violations commises. »

Contacté à de nombreuses reprises par Jeune Afrique, le porte-parole du ministère de l’Intérieur s’est refusé à tout commentaire.

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