Afrique du Sud : sur les traces de Wouter Basson, le « Mengele de l’apartheid »

Wouter Basson, le médecin responsable du Project Coast, programme de développement d’armes chimiques et bactériologiques visant les populations noires au temps de l’apartheid, exerce toujours dans une clinique près du Cap. Une nouvelle qui a choqué l’Afrique du Sud.

Le Dr Wouter Basson lors de son procès à Johannesburg, en 2005 © JON HRUSA/EPA/MaxPPP

Le Dr Wouter Basson lors de son procès à Johannesburg, en 2005 © JON HRUSA/EPA/MaxPPP

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Publié le 28 janvier 2021 Lecture : 15 minutes.

Mediclinic International est ce que l’on appelle un groupe prospère. Fondée en 1983 à Stellenbosch, en Afrique du Sud, cette compagnie spécialisée dans la gestion de cliniques privées a ensuite étendu son champ d’action à la Namibie, puis à la Suisse et aux Émirats arabes unis. En 2019, elle possédait plus de 50 établissements dans son pays d’origine, réalisait un chiffre d’affaires de 3,31 milliards d’euros et employait plus de 32 000 personnes. Parmi lesquelles un cardiologue ayant dépassé l’âge de la retraite et répondant au nom de Wouter Basson.

Sur le site internet de la clinique de Durbanville, dans la banlieue nord-est du Cap, le Dr Basson a sa fiche personnelle avec CV, adresse, numéro de téléphone et e-mail. En médaillon, le bon docteur pose pour la photo avec un discret sourire. Calvitie, barbe grise, costume anthracite et cravate rayée. Rien que de très normal, donc, à un détail près : entre 1981 et le milieu des années 1990, Wouter Basson a été le chef omnipotent du Project Coast, le programme de développement d’armes chimiques et bactériologiques mis sur pied par le régime d’apartheid afin de créer, essentiellement, des substances capables d’intoxiquer, de stériliser ou de tuer les populations noires d’Afrique du Sud.

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Partisan radical de la ségrégation

La collaboration du médecin avec le groupe Mediclinic dure déjà depuis plusieurs années, mais c’est seulement mi-janvier 2021 que le rapprochement entre le Dr Wouter Basson de la clinique de Durbanville et celui qui a dû répondre de ses crimes lors d’un procès fleuve organisé entre 1999 et 2001 a été fait, avant d’être relayé par la presse locale puis internationale. Et de susciter en Afrique du Sud une émotion et une colère considérables.

Il faut dire que, si les exemples d’atrocités commises sous l’apartheid ne manquent pas, le Project Coast, sa philosophie générale et ses réalisations comptent sans doute parmi les plus choquants. Il nous ramène presque un demi-siècle en arrière, dans un monde coupé en deux par la Guerre froide. Le président sud-africain, blanc, avait pour nom Pieter Botha. Élu en 1984, ce partisan radical de la ségrégation avait, lorsqu’il était ministre de la Défense, théorisé la « guerre totale » entre son pays et ses ennemis, que ceux-ci se trouvent au-delà des frontières ou sur le sol national.

« Notre république, écrivait-il, est la cible du communisme international et de ses supplétifs. » Au nombre de ceux-ci : les gauchistes, les défenseurs des droits humains, des libertés individuelles et de la permissivité, les matérialistes, les partisans du « un homme-une voix » et, naturellement, les militants noirs radicaux.

Dans l’esprit de Botha, Pretoria était la cible d’une offensive orchestrée depuis Moscou et aggravée par la fin, en 1974, des colonies portugaises en Angola – livrée aux rebelles marxistes de l’Unita – et au Mozambique. Cernée, attaquée de toutes parts, la malheureuse république raciste n’avait d’autre choix que de se protéger, et notamment de développer un programme d’armement nucléaire.

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Contrôler les foules noires

À l’intérieur même du pays, les troubles de juin 1976 à Soweto, lors desquels la police avait tué 23 personnes et blessé plus de 4000 autres, dont beaucoup de jeunes écoliers, prouvaient que la situation ne tarderait pas à échapper à tout contrôle. Dans ce dernier cas toutefois, le déluge de condamnations émanant du reste du monde, aggravant encore l’isolement international du pays, avait fait comprendre une chose aux forces de sécurité : il fallait aussi mettre au point des armes non létales permettant de contrôler les foules noires en colère.

Wouter Basson, le jeune médecin personnel du président Botha, est un volontaire extrêmement motivé

C’est dans ce contexte particulier qu’en août 1981, le général Constand Viljoen, commandant en chef des Forces de défense sud-africaines (SADF) autorisa, avec l’aval des responsables politiques, le lancement d’une étude visant à déterminer dans quelles conditions le pays pourrait se doter d’un arsenal bactériologique et chimique. Juridiquement, le régime d’apartheid s’estimait inattaquable depuis qu’en 1977, un spécialiste du sujet avait assuré dans un article que le Protocole de Genève de 1925, dont le pays était signataire, prohibait l’usages de moyens chimiques ou bactériologiques lors d’un conflit entre nations mais ne disait rien de leur éventuelle utilisation « domestique ». Ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé…

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Restait à trouver un responsable qualifié pour mener à bien cette mission délicate et, justement, le jeune médecin personnel du président Botha, le Dr Wouter Basson, entré dans l’armée en 1979 et portant le grade de lieutenant, était un volontaire qualifié et extrêmement motivé.

Dr Wouter Basson au Cap, en 2005 © Mike Hutchings/Reuters

Dr Wouter Basson au Cap, en 2005 © Mike Hutchings/Reuters

Après quelques rapides « voyages d’étude » à l’étranger qui lui permirent de rencontrer divers spécialistes, Wouter rentra au pays convaincu de la faisabilité du projet. Un programme de recherche et de production d’armes non conventionnelles fut donc très rapidement mis sur pied, avec à sa tête le général Daniel Knobel, chef des services de santé militaires sud-africains. Mais le vrai patron du projet était déjà, et fut jusqu’au bout, le Dr Basson.

Obsession pour la fertilité

Par souci de discrétion, le Project Coast est confié à trois sociétés-écrans créées pour l’occasion : Delta G Scientific, chargé de la production, le Roodeplaat Research Laboratories (RRL) où sont menées les expériences et Infladel, structure chargée du financement. L’idée de créer ces sociétés n’ayant, officiellement, aucun lien avec l’armée ou la police sud-africaine tient au caractère sensible du projet et au boycott dont le pays fait l’objet : en théorie, de telles structures devraient avoir moins de mal à s’approvisionner en substances potentiellement dangereuses et à obtenir la collaboration de scientifiques étrangers, d’autant que les salaires proposés par Delta G et le RRL sont attractifs.

Quant à la communauté scientifique afrikaner, où tout le monde se connaît et se parle, elle n’ignore rien de la nature réelle du Project Coast et baptise ironiquement toute l’opération « die geheimsinnige organisasie », c’est-à-dire « l’organisation secrète ». Le nombre de personnes travaillant sur le projet n’a jamais été officiellement communiqué mais les enquêteurs de la Commission vérité et réconciliation (CVR), qui ont instruit le dossier dans le cadre du procès de Wouter Basson, estiment que Delta G employait 165 personnes en 1987, dont une vingtaine de scientifiques.

Le fonctionnement n’est donc pas secret, mais il est discret. L’ensemble du projet est supervisé par un comité spécialement créé au sein du ministère de la Défense, mais les informations transmises à ce comité sont parcellaires. On sait que les deux principales missions des savants du Project Coast sont de créer des substances permettant de « contrôler les foules », et des armes permettant de lutter contre « les forces cubaines et leurs alliés soviétiques en Angola ».

Le ministère de la Défense verse un généreux budget à Basson mais l’usage de ces fonds reste mystérieux

Au sein de ce cadre vague, tout est permis et le Dr Basson nourrit en particulier une obsession pour tout ce qui touche à la fertilité : selon l’ancien directeur du laboratoire Roodeplaat, « 18 % des projets concernaient la fertilité », et plus précisément la recherche de produits contraceptifs pouvant être administrés à des personnes sans qu’elles en aient connaissance.

Le financement du Project Coast lui-même échappe, pour une bonne part, à tout contrôle. Le ministère de la Défense verse un généreux budget à Basson mais l’usage que celui-ci fait des fonds attribués reste mystérieux. Au fil des années, le médecin met en place un réseau international de structures de financement dont les responsables ne rendent de comptes qu’à lui. Là encore, il expliquera plus tard qu’il s’agissait de cacher l’origine sud-africaine des fonds afin de contourner le boycott des nombreux pays hostiles à l’apartheid. De leur côté, les magistrats de la CVR notent que Basson possédait en son nom propre trois sociétés basées aux îles Caïman et se disent convaincus qu’il a détourné une partie indéterminée des fonds à des fins d’enrichissement personnel.

Poisons et bactéries

Toutes les structures étant en place, le développement des substances destinées à devenir des armes chimiques ou bactériologiques commence, et la variété des pistes explorées laisse pantois. Le but commun de la plupart des travaux : synthétiser des produits capables d’empoisonner un être humain sans laisser de traces. Les scientifiques partent donc de produits toxiques connus et tentent de les transformer en liquide ou en poudre pouvant être utilisée dans une arme, dans une munition ou au contraire dans un produit de consommation courante : boisson, cigarette, tablette de chocolat…

Certains poisons ont probablement été expérimentés sur des prisonniers et sur des militaires

Les chercheurs du laboratoire Roodeplaat, qui s’installent à Sinoville, au nord de Pretoria, en 1985, travaillent sur des poisons traditionnels comme l’anthrax, le botulinum, le cyanure de potassium, le cantharidin ou le venin de mamba noir. Ils explorent aussi la piste des bactéries telles que la salmonelle ou l’escherichia coli, s’intéressent de près à celle qui provoque le choléra. Les herbicides et pesticides constituent également des pistes prometteuses et on tente de manipuler différents types de produits dont la toxicité est testée sur des souris, des hamsters, des chiens, des porcs et différentes espèces de primates mises à disposition par le RRL. La justice n’a jamais pu le prouver mais il est plus que probable que certains poisons sont aussi expérimentés sur des prisonniers (en particulier des Namibiens du Swapo et des militants de l’ANC) et sur des militaires.

Différents médicaments, anesthésiques ou sédatifs en particulier, sont aussi détournés de leur usage premier. À partir du milieu des années 1980, une nouvelle structure, le QB Labs, est aussi chargée de fabriquer les armes destinées à mettre en œuvre les poisons du RRL. On y produit des bagues à poison, des aiguilles creuses pouvant être glissées dans une cigarette, des tournevis et même des pompes à vélo dont le manche contient un mécanisme comparable à une seringue, ainsi que des parapluies – semblables aux dispositifs utilisés par certains services du bloc de l’Est – dont la pointe contient de minuscules billes enduites de poison. La victime ne ressent qu’une petite douleur comparable à une piqûre d’abeille et la bille est faite de polycarbonate, indétectable aux rayons X et donc théoriquement invisible à l’autopsie.

Mandela pris pour cible

Au sein de l’équipe du Project Coast, on discute aussi des cibles potentielles, même si certains scientifiques préfèrent ne rien savoir. Le Dr Daan Gossen, directeur du RRL, a déclaré aux enquêteurs que « les dirigeants de l’ANC et les communistes », en particulier leur chef, Joe Slovo, étaient les premiers visés. Les chercheurs s’intéressent aussi au cas de Nelson Mandela, alors emprisonné, et essaient de trouver un moyen de lui faire contracter un cancer afin de limiter son pouvoir de nuisance dans l’hypothèse où il finirait par sortir de prison.

Parallèlement, Basson et ses équipes collaborent étroitement avec l’unité Barnacle, une division des forces spéciales de l’armée créée en 1979, agissant sous couverture et spécialisée dans les assassinats ciblés d’opposants. Le rapport rédigé en 2006 par les Nations unies sur le Project Coast fournit une longue liste des personnalités ayant subi des empoisonnements, à l’issue fatale ou non, entre 1977 et 1993 et dont beaucoup peuvent être reliées à Barnacle et aux recherches de Basson. Y figurent nombre de militants ou de dirigeants de l’ANC réfugiés au Royaume-Uni, au Swaziland, en Namibie ou au Mozambique, des journalistes, mais aussi des policiers et des militaires soupçonnés de fournir des informations à l’opposition noire ou de se montrer trop conciliants avec ses chefs.

« Bombe noire »

Les objectifs de « maintien de l’ordre » restent eux aussi une priorité et une partie des chercheurs du Project Coast travaillent sur l’élaboration de substance pouvant être utilisées sous forme de gaz ou dans des munitions ou des grenades, puis employées par la police lors des grandes manifestations de l’opposition noire. De grandes quantités de gaz lacrymogènes ou autres substances irritantes sont produites dans ce but.

Mais le Dr Basson veut aussi explorer des voies moins classiques. Son grand projet, son rêve ultime, consiste à inventer ce qu’il appelle la « bombe noire », c’est-à-dire une arme sélective s’attaquant uniquement aux noirs. Ses espoirs reposent sur ce que l’on appelle le polymorphisme, une variation génétique censée exister entre blancs et noirs. Les équipes de Basson tentent de synthétiser un produit stérilisant qui pourrait ensuite être vaporisé sous forme de gaz sur les foules de manifestants et les rendre provisoirement ou définitivement stériles. Ou qui serait déversé dans les réserves d’eau potable des quartiers noirs. Un objectif jamais atteint par les chercheurs.

Mais l’imagination est au pouvoir du côté du laboratoire Roodeplaat et on a déjà un autre projet : utiliser la drogue comme une arme. Basson sait que beaucoup de stupéfiants circulent dans la population, il est donc tenté de les transformer en poisons capables de neutraliser ou de tuer les consommateurs. Ses laboratoires concentrent leurs recherches sur le cannabis et la méthaqualone, un sédatif, les deux substances les plus consommées par la population noire.

Les installations du « Dr La Mort » tournent à plein régime jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Frederik de Klerk

On essaie des mélanges, on synthétise les principes actifs sous forme de poudre pouvant être mélangée à autre chose… On explore aussi la piste de la cocaïne et du LSD mais c’est surtout la MDMA – plus connue sous le nom d’ecstasy –, facile à produire, qui mobilise les chimistes du Project Coast. « Le but précis de ces recherches n’a jamais été clairement déterminé, précisent les auteurs du rapport des Nations unies. Peut-être s’agissait-il d’infiltrer de la drogue dans les réseaux de l’ANC afin de les décrédibiliser, peut-être d’inonder de ces substances les populations noires afin de créer des addictions de masse et de dégrader leur état physique, peut-être encore simplement de générer des revenus supplémentaires. »

Wouter Basson lors de son procès © Juda Ngwenya/Reuters

Wouter Basson lors de son procès © Juda Ngwenya/Reuters

Rapport accablant

En 1989, les installations du « Dr La Mort », comme on l’a surnommé par la suite, tournent à plein régime lorsqu’un événement fait tout basculer. Frederik de Klerk remplace Botha à la présidence du pays et, contrairement à son prédécesseur, il sait que le régime n’a d’autre choix que de lâcher du lest.

Dès le début de 1990, les partis politiques d’opposition sont autorisés et la libération prochaine des dirigeants de l’ANC est annoncée. De Klerk reçoit aussi Basson, qui lui présente son programme de recherche, insistant sur le fait qu’il produit avant tout des substances destinées au maintien de l’ordre et autorisées par les conventions internationales. Le nouveau président, guère convaincu, autorise les recherches sur les gaz incapacitants mais interdit formellement les travaux sur les substances létales. Les jours du Project Coast sont comptés.

En 1992, le général Pierre Steyn est placé à la tête d’une commission chargée d’enquêter sur les « actions potentiellement dangereuses des Forces de défense ». Son rapport est suffisamment accablant pour que De Klerk ordonne, une mois plus tard, la mise à la retraite anticipée de 23 officiers de haut rang parmi lesquels Wouter Basson, qui a récemment atteint le grade de général.
Le médecin quitte les forces armées le 31 mars 1993.

Au même moment, le gouvernement ordonne la destruction de tous les stocks d’armes chimiques ou bactériologiques détenus par l’armée ou la police. Les documents techniques liés aux recherches de Project Coast sont numérisés et gravés sur disques, les papiers sont brûlés. Du moins en théorie : qu’il s’agisse des produits ou des dossiers, les enquêteurs avouent qu’ils n’ont jamais pu obtenir de preuve certaine de leur destruction.

L’affaire Basson

Quant à Basson, qui n’a que 43 ans, il ne reste pas inactif. Voyageant beaucoup à l’étranger, il affirme « chercher des débouchés pour les produits sud-africains » et crée une société d’import-export. L’un de ses salariés, Grant Wentzel, a de gros soucis d’argent et ne tarde pas à entendre parler des grandes possibilités de gain offertes par le marché illégal de l’ecstasy. Informé des anciennes activités de son patron, il l’approche discrètement afin de savoir s’il pourrait lui fournir la précieuse marchandise. Imprudent, Basson accepte et finit par livrer à Wentzel une petite quantité de pilules.

Grant Wetzel n’a pas grand talent pour le métier de dealer et, en 1997, il est arrêté par la police, à laquelle il avoue tout. Acceptant de collaborer, il monte un piège et, en janvier de la même année, Wouter Basson est arrêté par le Bureau des narcotiques de la police sud-africaine. Le « Dr Mengele de l’apartheid » est en prison, mais comme « simple » trafiquant de drogue. Le procès commence rapidement mais il s’avère que la procédure a été bâclée. Rien de sérieux ne permet de prouver que Basson a fourni de la MDMA à Wentzler.

Lors de son procès, tous accablent Basson. Mais le médecin nie tout

Par contre, en fouillant sa propriété, les policiers mettent la main sur quatre barils remplis de documents sur le Project Coast. Ébahis, les enquêteurs transmettent l’information à la Commission vérité et réconciliation, qui a été mise en place pour juger les crimes de l’ancien régime.

La vraie affaire Basson peut alors commencer. Des dizaines de témoins sont entendus, parmi lesquels le général Knobel et nombre de scientifiques. Tous accablent Basson : lui seul était au courant de l’ensemble des projets menés, il poussait au développement d’armes offensives et non seulement défensives, il gérait les fonds dans la plus totale opacité… En octobre 1999, le procès proprement dit débute. Le médecin doit répondre des accusations de meurtre, de tentative de meurtre, d’agression… On s’interroge aussi sur les récents voyages de Basson à l’étranger, sur les contacts qu’il a noués aux États-Unis, en Suisse, en Croatie, en Syrie, en Libye…

Le médecin nie tout, minimise tout. Les documents contenus dans les barils ? Ils ne lui appartiennent pas, il ignore ce qu’ils faisaient dans son jardin. Basson en appelle à son droit constitutionnel à ne pas s’incriminer lui-même. Des phrases comme « j’ai obéi aux ordres » résonnent périodiquement dans le tribunal, au grand agacement des magistrats et des parties civiles. À la surprise générale, il s’avère très compliqué de lier directement et personnellement l’accusé à la fabrication d’armes ou de substances toxiques, quand bien même sa responsabilité à la tête du programme de développement de telles armes est admis par tous.

Impunité totale

Le 11 avril 2002, le verdict tombe : Wouter Basson est acquitté de toutes les charges qui pèsent contre lui. Même si la Commission vérité et réconciliation a pour mission de pardonner les coupables et de guérir la société sud-africaine de ses divisions, les autorités sont accablées par le verdict et l’État annonce son intention de faire appel. En 2005, la Cour suprême confirme qu’un nouveau procès est possible. Aucune procédure ne sera jamais lancée.

En 2013, après sept années d’enquête, l’Ordre des médecins d’Afrique du Sud estime à son tour que le Dr Basson, coupable de violations graves et répétées de l’éthique, ne devrait plus être autorisé à exercer. Là non plus, l’avis n’est pas suivi d’effet.

Le groupe Mediclinic affirme que légalement, rien n’interdit de faire travailler le médecin

C’est ainsi qu’en 2021, le « Dr Mengele de l’apartheid » travaille toujours comme cardiologue dans une clinique huppée de la banlieue du Cap, alors même que Desmond Tutu, qui avait mené les travaux de la Commission vérité et réconciliation, écrivait en 2006 à propos du Project Coast qu’il était « l’incarnation du mal inhérent à l’apartheid » et que le pardon « ne peut survenir qu’à partir du moment où il y a repentance. »

Or, comme l’ont rappelé plusieurs responsables politiques ces derniers jours, Basson n’a jamais exprimé le moindre remord. Bien pire : dans un documentaire diffusé en 2010, « Marchands d’anthrax : vers une guerre bactériologique ? », il assurait : « la bombe noire a été un projet génial, le plus amusant de ma vie. »

Pour les Economic Freedom Fighters de Julius Malema, la place de Basson « est en prison » et le fait qu’il exerce librement la médecine constitue « une aberration ». Mais du côté du groupe Mediclinic, on se contente de rappeler que légalement, rien n’interdit de faire travailler le médecin. Ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé…

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