Vital Kamerhe, bouc émissaire idéal des retards accumulés par le programme des cent jours ?

L’influent directeur de cabinet du président Tshisekedi a bien du mal à rester dans l’ombre. Cette fois, ce sont des retards et des anomalies dans l’exécution du Programme des cent jours qui valent à Vital Kamerhe d’être sous le feu des critiques.

Au Palais de la nation,à Kinshasa, le 18 février. © Caroline Thirion pour JA

Au Palais de la nation,à Kinshasa, le 18 février. © Caroline Thirion pour JA

Publié le 3 mars 2020 Lecture : 7 minutes.

Vital Kamerhe au Palais de la Nation, à Kinshasa, le 18 février 2020. © Caroline Thirion pour JA
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Affaire Vital Kamerhe en RDC : un directeur de cabinet face à la justice 

Le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi est soupçonné de détournement de fonds publics dans le cadre de la gestion du Programme des cent jours. Tous nos articles sur une affaire qui embarrasse le pouvoir congolais.

Sommaire

À Kinshasa, on les affuble du joli surnom de « sauts-de-mouton ». Depuis le début du mois de février, ces ponts enjambant les carrefours et censés désengorger le trafic routier dans la capitale congolaise sont au cœur d’une polémique qui résonne jusque dans les couloirs de la Cité de l’Union africaine. Et un homme se retrouve, bien malgré lui, propulsé sur le devant de la scène, essuyant une nouvelle fois critiques et accusations : Vital Kamerhe, l’influent directeur de cabinet du chef de l’État.

Hérésie financière

Comment une affaire en apparence triviale peut-elle éclabousser l’un des plus proches collaborateurs de Félix Tshisekedi ? Pour le comprendre, il faut se souvenir que ces « sauts-de-mouton » font partie des travaux d’infrastructures prévus par le Programme des cent jours, lancé par le président en mars 2019, deux mois seulement après son arrivée au pouvoir.

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Une enveloppe de 22,5 millions de dollars (20 millions d’euros) avait été allouée à leur construction, mais, à la mi-février, 46 millions de dollars avaient déjà été dépensés sans qu’aucun ouvrage ne soit pour autant achevé – sachant que le budget global du programme avait initialement été fixé, en août dernier, à 304 millions de dollars.

À Kinshasa, au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti présidentiel) comme dans les rangs du Front commun pour le Congo (FCC, la coalition de Joseph Kabila), des voix se sont élevées pour dénoncer une hérésie financière, évoquant des marchés passés de gré à gré et des malversations. Et si Vital Kamerhe se trouve ainsi exposé, c’est parce qu’en tant que directeur de cabinet il dispose d’un droit de signature sur les contrats passés au nom de l’État et qu’il est, de ce fait, autorisé à valider des dépenses.

En outre, ce n’est pas la première fois qu’il est mis en cause : en septembre 2019, la disparition présumée de 15 millions de dollars l’avait contraint à protester publiquement de son innocence (« Mon nom n’apparaît pas dans le rapport de l’Inspection générale des finances, et il n’y a pas eu de détournement », nous avait-il alors déclaré).

Fossé entre l’UNC et l’UPDS

Le chef de l’État prend en tout cas la chose au sérieux. Il sait qu’en politique les départs de feu sont dangereux et qu’il faut être attentif à la moindre étincelle. Il sait aussi que son directeur de cabinet est une cible toute désignée que certains, y compris dans les rangs de son propre parti, aiment montrer du doigt.

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Le 7 février, il a donc annoncé un audit sur ces chantiers kinois. La justice a également ouvert une enquête, et les têtes n’ont pas tardé à tomber. Les 21 et 24 février, deux hommes d’affaires ont été arrêtés. Le premier, David Blatnner, est américain et dirige l’entreprise de BTP Safricas. Il a été entendu dans le cadre de soupçons de détournement des fonds alloués à la construction des « sauts-de-mouton ». Le second, le Libanais Samih Jammal, patron de la société Samibo Congo, est questionné sur le détournement présumé de 55 millions de dollars destinés à la construction de logements sociaux – un autre volet du Programme des cent jours.

Aucun audit n’a établi sa responsabilité dans toutes ces affaires

Vital Kamerhe, jusque-là, n’a pas été directement mis en cause, mais cette nouvelle polémique creuse davantage le fossé qui est apparu entre son parti, l’Union pour la nation congolaise (UNC), et l’UDPS. Ces deux formations ont beau s’être alliées au sein de la coalition Cap pour le changement (Cach) pour conquérir le pouvoir, à la fin de 2018, elles ont de plus en plus de mal à dissimuler leurs mésententes.

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Jalousies et rancœurs

Interrogé par Jeune Afrique, Vital Kamerhe tente malgré tout de calmer le jeu et de prôner l’unité. « Je demande aux membres de l’UNC de ne pas répondre aux attaques, insiste-t-il. L’échec de l’UDPS, c’est l’échec de l’UNC. Et l’échec du FCC, c’est l’échec de l’UDPS. Nous sommes au pouvoir, travaillons pour répondre aux besoins de la population, qui attend beaucoup de nous. »

« Le directeur de cabinet du président n’a pas été inculpé, ajoute le député UNC Amato Bayubasire. Aucun audit n’a établi sa responsabilité dans toutes ces affaires dans lesquelles certains veulent l’impliquer. Personne n’a le droit de le désigner comme coupable. »

Amato Bayubasire reconnaît bien des difficultés techniques dans la construction des ponts ainsi que des retards imprévus, mais il n’hésite pas à parler d’« acharnement ». « Le débat sur l’exécution des chantiers ne doit pas devenir un référendum pour ou contre Kamerhe ! » conclut-il.

Construction d’un pont routier à Kinshasa, en février. Les travaux ont été lancés dans le cadre du programme d’urgence décidé par le chef de l’État peu après son arrivée au pouvoir. © Hereward Holland/REUTERS

Construction d’un pont routier à Kinshasa, en février. Les travaux ont été lancés dans le cadre du programme d’urgence décidé par le chef de l’État peu après son arrivée au pouvoir. © Hereward Holland/REUTERS

Le problème, c’est que Vital Kamerhe demeure un personnage clivant auquel le chef de l’État laisse une grande marge de manœuvre, ce qui alimente jalousies et rancœurs. Le FCC n’oublie pas que l’ancien président de l’Assemblée nationale a d’abord appartenu au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila), qu’il en a porté les couleurs en tant que ministre et qu’il en a même été le secrétaire général dans les années 2000, avant de rompre avec le camp Kabila en 2009.

Autrement dit, pour les partisans de l’ancien président, le directeur de cabinet est un « traître » auquel on ne saurait se fier et que l’on soupçonne de nourrir les plus hautes ambitions.

Cette défiance s’est d’ailleurs déjà exprimée en 2016 lorsque, à l’issue du dialogue politique qui s’est tenu sous la médiation du Togolais Edem Kodjo, il a fallu choisir un nouveau Premier ministre : Kamerhe a eu beau ne pas taire son intérêt, les pro-Kabila lui ont préféré Samy Badibanga – une pilule amère que l’intéressé a eu du mal à avaler.

La base de l’UDPS ainsi que plusieurs de ses cadres ne sont pas mieux disposés à son égard. Ils redoutent que Kamerhe ne se serve de Cach – si la coalition devait être transformée en un véritable parti politique – comme d’un tremplin vers la magistrature suprême en 2023. En d’autres termes, l’allié d’hier est devenu encombrant. C’est d’ailleurs pour cela que plusieurs personnalités de l’UDPS ont proposé à Félix Tshisekedi, après que le parti a effectué trois jours de « retraite d’évaluation » à la fin de janvier, de divorcer purement et simplement de l’UNC.

Un « allié » mais pas un « ami »

Pour l’instant, le chef de l’État a choisi de ne pas rompre avec Kamerhe. Mais l’hostilité d’un certain nombre de membres de son cabinet à l’égard de ce dernier est manifeste, notamment parmi ceux qui, à Bruxelles, gravitaient autour de Félix Tshisekedi avant qu’il soit élu. En coulisse, ils n’hésitent pas à dénoncer sa gouvernance, en des termes souvent peu flatteurs, rappelant que c’est un « allié » mais en aucun cas un « ami », et que cette alliance elle-même n’a sans doute pas vocation à durer.

À en croire l’un de ses proches, c’est l’étendue de ses prérogatives qui lui vaut tant d’animosité. « Le travail d’un directeur de cabinet, c’est de servir de paravent. De faire en sorte qu’aucune mauvaise décision ne puisse être attribuée au président, continue un autre membre de son entourage. Il reçoit donc tous les coups, comme l’exige sa position, et encaisse en silence pour protéger son chef. » Peut-être. Mais s’il veut avoir une chance en 2023, il faudra que les conclusions des enquêtes diligentées le mettent hors de cause. Et qu’il parvienne à redorer son blason d’ici là.

Y pense-t-il en se rasant ?

L’accord de Nairobi survivra-t-il jusqu’aux élections de 2023 ? Selon l’arrangement conclu le 23 novembre 2018 dans la capitale kényane, le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi est censé représenter la coalition Cach lors du prochain scrutin. Mais que ce soit dans les rangs de l’UNC ou dans ceux de l’UDPS, les sceptiques sont nombreux.

Plusieurs cadres de l’UDPS, au premier rang desquels son président par intérim, Jean-Marc Kabund-a-Kabund, et son secrétaire général, Augustin Kabuya, y sont hostiles. Au sein de la formation de Félix Tshisekedi, ils s’inscrivent dans le courant dur, qui n’est pas non plus favorable à l’idée de structurer le Cach en plateforme politique.

D’ailleurs, plus d’un an après la présidentielle, UDPS et UNC ne partagent toujours ni locaux ni bureau politique. D’autres cadres de l’UDPS ne sont en revanche pas fermés à l’idée (c’est le cas de Jacquemain Shabani ou de Peter Kazadi), estimant que la transformation de Cach ne bénéficiera pas nécessairement à Vital Kamerhe.

Félix Tshisekedi a chargé son haut représentant, Kitenge Yesu, de réunir les propositions sur la forme que cette réorganisation pourrait prendre. L’initiative n’a pour l’instant rien donné de concret, même si plusieurs ébauches de structures circulent. Il n’en reste pas moins qu’au sein de l’équipe présidentielle l’ambition de Vital Kamerhe dérange et qu’on l’accuse volontiers de profiter de ses déplacements, notamment au Rwanda, pour préparer une future candidature.

Dans l’entourage de l’intéressé, on précise néanmoins que Kamerhe pourrait se ranger derrière l’idée d’un second mandat de Félix Tshisekedi, moyennant un nouveau partage des responsabilités.

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