Présidentielle en Côte d’Ivoire : la vieille garde du PDCI en première ligne

Attendus au tournant à l’approche de la présidentielle, les anciens du PDCI vont devoir prouver qu’ils ont mérité de reprendre la main.

Gaston Ouassénan Koné est le coordinateur des vice-présidents du parti (ici en novembre 2018). © Capture d’écran Youtube / PDCITV / Youtube

Gaston Ouassénan Koné est le coordinateur des vice-présidents du parti (ici en novembre 2018). © Capture d’écran Youtube / PDCITV / Youtube

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Publié le 18 février 2020 Lecture : 8 minutes.

Ce samedi matin, c’est poisson frit et igname bouillie au menu du petit déjeuner à la résidence du général Gaston Ouassénan Koné à Katiola, dans le Centre-Nord. L’ambiance est bon enfant. Ouassénan prend ses médicaments avec l’application d’un élève consciencieux. On se donne du « mon amour » et du « mon chéri ». On rigole et on se moque facilement. Toute la famille est là, venue assister à la visite du chef de l’État, Alassane Ouattara. Le général a beau être l’un des plus hauts cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il n’aurait manqué cela pour rien au monde et dirige même, en sa qualité de doyen des cadres de la région du Hambol, le comité d’organisation de la visite.

« Ma présence allait de soi. Je suis républicain. Nous recevons le président de la République, pas le chef d’un parti », souligne-t-il. Dans la région, Ouassénan est une figure incontournable. Député de Katiola de 2000 à 2011, il reçoit ce matin la visite d’une délégation des chefs de Dabakala. On sort le whisky et le rhum. « Tu te caches pour boire ? » lance-t-il à l’un de ses visiteurs avant de s’éclipser.

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Une génération de cadres

À 80 ans, le coordonnateur des activités des vice-présidents du PDCI fait partie, avec l’ancien ministre de l’Intérieur Émile Constant Bombet (78 ans), l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny (77 ans), l’ancien ministre des Affaires étrangères Amara Essy (75 ans), ou le notaire Cheickna Sylla (80 ans), de cette génération de cadres très expérimentés que le parti a choisi de remettre sur le devant de la scène à la faveur de la rupture avec le pouvoir d’Alassane Ouattara.

Tous ont partagé l’intimité de Félix Houphouët-Boigny et marqué l’histoire récente du pays. Ils ont profité des fastes du miracle ivoirien, assisté aux premières difficultés économiques des années 1990, vécu la mort du « Vieux » et le début de la guerre de leadership entre ses héritiers, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Avant le coup d’État de 1999 et le début de la crise politico-militaire dont les démons continuent de hanter la Côte d’Ivoire.

Dans un pays où les jeunes loups de la politique peinent à tirer leur épingle du jeu, la présence de cette vieille garde dans les instances dirigeantes du PDCI pourrait susciter certaines rancœurs. Pourtant, elle semble acceptée par la grande majorité des cadres. Pour expliquer ce phénomène, il faut revenir quelques années en arrière. Engagé dans le processus de création d’un parti unifié avec le Rassemblement des républicains (RDR), le PDCI décide de faire machine arrière et refuse, en août 2018, d’intégrer le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Cette décision entraîne le départ du parti de la quasi-totalité de ses membres en poste au gouvernement, dans différentes institutions ou dans l’administration. « Toute une génération que le PDCI avait envoyée prendre des responsabilités gouvernementales à partir de 2002 pour qu’elle se forme et soit un jour apte à gouverner a rejoint le RHDP », constate un député.

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« Présence indispensable »

En avril 2019, le PDCI suspend Alain Donwahi, Patrick Achi, Théophile Ahoua N’Doli, Jean-Claude Kouassi, Eugène Aka Aouélé, François Albert Amichia et Daniel Kablan Ducan, vice-président de la République. Ce dernier est remplacé par Gaston Ouassénan au poste de coordonnateur des activités des vice-présidents du parti. Émile Constant Bombet est chargé de le seconder.

Le général Gaston Ouassénan Koné, en 2006 (archives). © REUTERS/Luc Gnago

Le général Gaston Ouassénan Koné, en 2006 (archives). © REUTERS/Luc Gnago

Ouassénan et Bombet sont encore très respectés, notamment dans l’administration, la police et la gendarmerie

Premier officier de gendarmerie à devenir bachelier, Ouassénan Koné fut l’un des militaires de confiance de Félix Houphouët-Boigny, qui lui confia la création de la Garde républicaine. Il en fit un temps son pilote d’hélicoptère et le nomma ministre de la Sécurité en 1976. Lui aussi militaire de formation, Émile Constant Bombet fut versé dans l’administration dès les années 1970. De 1981 à 1990, il fut préfet de Korhogo, la ville du patriarche Péléforo Gon Coulibaly, le chef suprême des Sénoufos, qui avait conclu une alliance avec Houphouët dans les années 1940.

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« Ces nominations étaient stratégiques. Ouassénan et Bombet sont encore très respectés, notamment dans l’administration, la police et la gendarmerie. Ensuite, il n’y avait qu’eux pour résister aux pressions du pouvoir et nous aider à traverser cette période de transition. Avec Bédié, ils ont fait le boulot. Sans eux, le PDCI n’existerait plus », assure un proche de l’ancien président. Bombet, Ouassénan ou Banny siègent désormais aux côtés de Bédié à chaque grand événement organisé par le PDCI.

Bédié tient tout. En dehors de lui, seul Maurice Kacou Guikahué, le secrétaire exécutif, a de l’influence

« Leur présence s’est révélée indispensable. Ils ont comblé un vide tout en accompagnant les plus jeunes », analyse Arthur Banga, universitaire. « Depuis la mi-2018, nous avons largement renouvelé nos délégués communaux et départementaux. Des gens d’une trentaine d’années ont été nommés. Cette “vieille” génération les a encadrés. Bombet est très présent auprès de certains réseaux de cadres. Il reçoit beaucoup, conseille, tout comme Ouassénan », précise un dirigeant du PDCI.

Les « irréductibles »

Si, gêné par des problèmes aux yeux et endeuillé par la mort de son fils, Charles Konan Banny a pris du recul ces dernières semaines, l’ancien gouverneur (1990-2005) de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) jouait jusque-là un rôle important de mobilisateur dans les régions du « V baoulé » (Lacs, Nzi-Comoé et Vallée du Bandama), notamment auprès des chefs traditionnels. « S’il avait été plus jeune, il aurait voulu se porter candidat en 2020. Aujourd’hui, son ambition est plus de récupérer la présidence du parti », conclut un de ses anciens collaborateurs.

Au sein du PDCI, certains se montrent néanmoins plus nuancés et jugent que leur rôle est purement cosmétique. « Bédié tient tout. En dehors de lui, seul Maurice Kacou Guikahué, le secrétaire exécutif, a de l’influence », estime un homme d’affaires proche du parti. Selon lui, l’ancien président « a sorti tous les vieux masques qui critiquaient l’alliance avec Ouattara de l’intérieur. Cela lui permet de se refaire une virginité, de faire oublier sa gouvernance catastrophique et nombriliste. Il n’a pas voulu sauver le PDCI. Tout le monde sait que, si Alassane Ouattara avait soutenu sa candidature, il aurait accepté que le parti disparaisse au sein du RHDP. »

Si Ouassénan avait approuvé le projet de structure unifiée par fidélité à Bédié, Charles Konan Banny et Amara Essy n’avaient pas hésité, eux, à s’y opposer publiquement. On les appelait alors les « irréductibles ». Ambitieux et fortuné, le premier a longtemps espéré concurrencer le leadership de Bédié sans jamais oser aller jusqu’au bout.

En 2015, Banny et Essy firent fi des consignes de leur parti, qui avait décidé, en 2014, de ne présenter personne face à Ouattara lors de la présidentielle, et qui déposèrent chacun leur candidature – avant de renoncer quelques semaines avant le scrutin, officiellement pour dénoncer ses conditions d’organisation. En froid avec Bédié pendant de longs mois, ils firent leur retour dans les instances de la formation à la fin de 2016, grâce notamment à la médiation du richissime patriarche Ahoua Touré, vice-président du conseil de discipline du PDCI.

Nous espérons simplement qu’ils ne sont pas là pour œuvrer en faveur d’une candidature de Bédié

Discret soutien d’Amara Essy à la présidentielle de 2015, Émile Constant Bombet fut également un farouche adversaire de l’alliance avec Ouattara. Originaire de l’Ouest montagneux, ministre de l’Intérieur de 1990 à 1999, il fut au cœur de la polémique suscitée par le concept d’ivoirité. Lors du coup d’État de décembre 1999, il sera arrêté, torturé et exhibé le visage tuméfié par les putschistes. En 2005, le rapprochement entre le PDCI et le RDR se concrétise. Inacceptable pour Bombet, tenant d’une branche nationaliste de son parti et convaincu qu’Alassane Ouattara est responsable des problèmes qui déchirent la Côte d’Ivoire. Il prend alors un recul qu’il conservera pendant plusieurs années.

Bédié, candidat ?

À l’approche de la présidentielle de 2020 et alors que le PDCI doit désigner son candidat à la mi-juin, cette vieille génération se sait attendue. Aucun n’a d’ailleurs trouvé le temps de répondre aux questions de JA. « Leur présence ne nous dérange pas, au contraire. Nous espérons simplement qu’ils ne sont pas là pour œuvrer en faveur d’une candidature de Bédié », confie un quadra du parti. Si l’ancien président ne s’est toujours pas officiellement présenté, sa volonté ne semble faire aucun doute.

Henri Konan Bedie, président du Parti Democratique de Cote d'Ivoire (PDCI) © V. FOURNIER/JA

Henri Konan Bedie, président du Parti Democratique de Cote d'Ivoire (PDCI) © V. FOURNIER/JA

Il sera soit candidat, soit faiseur de rois

« Il sera soit candidat, soit faiseur de rois », confie un de ses proches. Qu’en pensent Bombet, Ouassénan, Essy ou Banny ? « Ils ne sont pas insensibles aux aspirations au changement qui émanent d’une bonne partie du PDCI », assure un fin connaisseur du parti. Selon nos sources, plusieurs jeunes ambitieux tentent de les convaincre de faire passer le message à Bédié. « L’idée serait qu’ils aillent le voir ensemble pour lui dire que sa candidature n’est pas souhaitée. Personne d’autre n’est capable de le faire », se désespère l’un d’eux. À croire qu’en 2020 l’avenir du PDCI est encore entre les mains de sa vieille garde.

Cheickna Sylla, sage parmi les sages au PDCI

Il y a dans sa voix la prudence de ceux qui savent que chaque mot a son importance. Cheickna Sylla, 80 ans, est le coordonnateur des activités du comité des sages du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) depuis le début de 2019. Notaire – métier qu’il exerce toujours dans son cabinet du Plateau à Abidjan –, ce fils d’un grand guide religieux tidiane et commerçant important de Gagnoa, dans l’Ouest, proche de Félix Houphouët-Boigny, avait jusque-là préféré se tenir éloigné de la politique. « J’ai accepté d’occuper ce poste à la demande de la direction du parti car la situation l’imposait », dit-il pudiquement.

Ce nostalgique d’Houphouët, dont il fut l’un des notaires, rédige avec les membres de son comité des notes trimestrielles adressées directement à Henri Konan Bédié. « Nous lui disons ce que nous pensons sur les sujets de notre choix. Le respect entre les générations compte beaucoup. Les anciens savent modérer leurs propos », explique-t-il.

Respecté par l’ensemble de la classe politique, il a longtemps été l’un de ceux qui ont permis de maintenir le lien entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Et il veut croire que les tensions actuelles finiront par se calmer. Viscéralement attaché au PDCI, peu lui importent les oppositions politiques. Pour lui, « ADO et Bédié sont condamnés à s’entendre pour le bien du pays ».

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