[Tribune] Tunisie : Kaïs Saïed, élu mais pas encore président

L’entretien télévisé du président tunisien Kaïs Saïed, le 30 janvier, cent jours après son investiture, n’a pas laissé entrevoir les signes d’un président solidement assis dans ses fonctions.

Kaïs Saïed s’exprimant devant la presse et ses partisans, au soir du second tour de l’élection présidentielle (image d’illustration). © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Kaïs Saïed s’exprimant devant la presse et ses partisans, au soir du second tour de l’élection présidentielle (image d’illustration). © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Rym Mourali
  • Rym Mourali

    Secrétaire générale du Mouvement de l’indépendance tunisienne

Publié le 4 février 2020 Lecture : 3 minutes.

« Si je suis élu, je reviendrai dans cent jours », s’était engagé le candidat Kaïs Saïed à l’issue du dernier débat de la campagne électorale. Le 13 octobre 2019, il accédait à Carthage avec 72,71 % de suffrages des votants, un score très vite surdimensionné par les médias puisqu’il représente en fait 39,25 % du corps électoral.

Cent jours plus tard, Kaïs Saïed se présente aux Tunisiens sur le plateau de la chaîne nationale. Un entretien très attendu à l’issue duquel beaucoup espéraient des réponses à leurs questions et la levée de l’opacité entretenue par le chef de l’État. Une occasion pour lui de présenter l’empreinte qu’il allait apposer à son mandat. La déception a été à la hauteur des espoirs suscités par le candidat Kaïs Saïed. La mue du militant candidat en président n’a pas eu lieu.

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Alors que le pays n’a pas de gouvernement, que la guerre est aux frontières, que l’insécurité explose de même que la dette publique, que la faillite se fait plus menaçante, Kaïs Saïed trouve, dans cette interview, le moyen de se mettre à dos l’administration et les institutions de l’État. Mais, encore, il lance une série de micro-polémiques aggravant le sentiment d’anxiété de la population et, surtout, renforçant la méfiance de nos partenaires étrangers. Lui, le président de la République, le premier représentant de l’État, se défie de l’État.

Double langage

Effet immédiat de cette prise de parole : beaucoup de Tunisiens émergent de la béatitude dans laquelle ils avaient plongé face à Kaïs Saïed en période électorale. Pourtant, rien n’a changé. Sa constance et sa persévérance sont la partie émergée d’une rigidité hermétique à toute critique et d’une addiction au populisme comme succédané à toute réflexion politique.

Le président a tenté maladroitement de s’approprier un projet de cité médicale à Kairouan, de se donner un moignon de bilan économique en citant d’obscurs hommes d’affaires qu’il semble rencontrer le soir venu, de rendre cohérent son double langage en alternant déclaration d’attachement et rejet des institutions.

Chef de la diplomatie et des armées, il n’a pas été capable d’expliquer et d’exposer sa vision ni de justifier les initiatives hasardeuses qu’il n’a cessé de prendre au niveau du dossier libyen, ni encore convaincre quant au motif et les circonstances de la visite du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Les Tunisiens attendaient des réponses, ils ont eu une liste des interlocuteurs étrangers rencontrés par le président. Des données disponibles sur le site de la présidence malgré les maladresses et l’amateurisme dont les services de Carthage ont pu faire preuve.

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Démarche populiste

Un président sans programme, promouvant une vision irréaliste, tenant des propos populistes et n’ayant en plus aucune expérience autre que celle d’enseignant universitaire, ne pouvait que se heurter aux réalités. Il était attendu que, passé le cap du scrutin, il adapterait son approche à sa fonction. Il n’en est rien ; Kaïs Saïed est resté égal à lui-même, se maintient dans une démarche populiste et se livre à une fuite en avant erratique.

Cet hermétisme a été illustré par ses propos au sujet des initiatives législatives qu’il compte mettre en œuvre d’une manière solitaire, sans le concours des institutions, passant ainsi à côté du véritable problème de la Tunisie, à savoir l’effectivité de l’application des lois. La méthode et la démarche soulignent encore une fois l’absence de maîtrise des dossiers et la fixation présidentielle pour son domaine de prédilection, le droit.

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Empêtré dans son populisme, le président fait miroiter, promet sans s’engager et cherche des boucs émissaires. Il sème l’étonnement quand il assure que les complots qui, d’après lui, menacent le pays,  lui ont été dévoilés par les jeunes des régions. Des propos irresponsables pour un président, oublieux de son devoir de réserve, qui accuse sans avancer de preuves.

Contrairement au Hongrois Viktor Orban ou au Brésilien Jair Bolsorano, le président tunisien n’offre pas de solution concrète, dont il ne dispose d’ailleurs pas de son propre aveu. Sans plan, sans équipe et sans projet, il est peu probable que la cohésion nationale et les institutions puissent survivre à la non politique de Kaïs Saïed. Le déconcertant entretien du 30 janvier installe un malaise. Ce sont les propos d’un président par accident.

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