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Blockchain et cryptomonnaies, des technologies pour l’Afrique
Il n’a jamais caché son intérêt pour la cryptomonnaie. Mais Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, aura attendu près de dix ans avant de formuler un réel projet pour le secteur. Il se résume en un mot : Libra. Comprendre « balance », en anglais, pour exprimer une monnaie voulue comme stable car indexée sur une réserve de devises fiables comme l’euro, le dollar, le yen ou encore la livre sterling.
Le projet Libra va introduire davantage de personnes à l’usage de la cryptomonnaie parce qu’il sera directement intégré à Messenger et WhatsApp
Annoncé mardi 18 juin, le projet doit être opérationnel en 2020. Il bénéficie du soutien de 27 partenaires de taille qui ont tous injecté au moins 10 millions de dollars dans une fondation créée par Facebook, nommée elle aussi Libra et installée en Suisse. L’investissement doit leur permettre d’accéder à une blockchain privée destinée à régir la circulation de la cryptodevise et ainsi proposer des services de paiement ou de transfert d’argent en libra. Parmi les partenaires les plus connus, les systèmes de paiement Visa, MasterCard et Paypal, le courtier en ligne eBay, le service de VTC Uber, ou encore la plateforme de streaming musical Spotify.
Bancariser les populations isolées
Aucun groupe africain à l’horizon pour le moment. Mais la fondation espère réunir d’ici la fin de l’année une centaine d’organismes. C’est pourquoi Dante Disparte, porte-parole du projet, ne rejette pas l’idée d’intégrer des groupes du continent : « Nous aimerions compter des banques ou encore des opérateurs télécoms comme MTN ou Safaricom », avance-t-il.
Une position en phase avec l’objectif de toucher les populations les plus éloignées des services bancaires et financiers dans le monde, soit 1,7 milliard de personnes, selon le réseau social qui comptabilise 2,1 milliards d’utilisateurs quotidiens, dont 145 millions en Afrique subsaharienne. L’argument a d’ailleurs convaincu des ONG comme Mercy Corps et Women’s World Banking ainsi qu’une plateforme de micro-crédit dénommée Kiva, d’investir dans le projet.
« Le projet Libra va introduire davantage de personnes à l’usage de la cryptomonnaie parce qu’il sera directement intégré à Messenger et WhatsApp », explique Marius Reitz, responsable Afrique de Luno, une plateforme britannique d’échange de Bitcoin et autres cryptomonnaies. Selon ce dernier, cette démocratisation profitera aussi aux monnaies virtuelles locales comme Afro ou Kobocoin.
Baisser les coûts de transaction
Encore faudra-t-il pour Facebook accélérer sur la question de l’accès à Internet dans un continent où un peu plus de 50 % de la population a accès au réseau des réseaux et où les disparités sont très fortes selon les régions.
La monnaie virtuelle se veut également plus accessible financièrement, ce qui pourrait bousculer l’hégémonie de sociétés comme Western Union ou MoneyGram: « Nous voulons être concurrentiel et réduire les frais de transaction trop élevés – 7 à 10 % de la somme transférée pour les services traditionnels. Avec Libra, cela se fera presque gratuitement », affirme Dante Disparte sans avancer de chiffres précis. Pour rappel, de nouveaux acteurs moins chers comme TransferWise ou WorldRemit concurrencent déjà ces entreprises traditionnelles en pratiquant des taux moyens de 2,6 %.
Crise de confiance
La cryptomonnaie du géant de Menlo Park, rendra la circulation des devises plus fiable selon Dante Disparte. « Au contraire du Bitcoin qui repose sur un modèle décentralisé, Libra est contrôlé par une seule entité, ce qui nous permet de proposer des transactions quasi instantanées et donc des garanties de paiement pour les entreprises », explique le porte-parole du projet. Une idée censée résonner aux oreilles des entreprises du e-commerce, dont l’activité est en plein boum en Afrique. Pour Facebook, dont le modèle d’affaires repose essentiellement sur la publicité, faciliter les affaires de ses clients lui permettra à terme de capter plus de valeurs.
Reste que le réseau social américain, mis en cause sur sa politique de gestion des données personnelles et dans sa capacité à modérer les contenus, traverse actuellement une crise de confiance. Il lui faudra convaincre les régulateurs de la fiabilité de son projet. En Russie, comme en Inde et en Chine, ces derniers ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils interdiraient l’utilisation de Libra à l’intérieur de leurs frontières. « La régulation sera forcément un débat pour Libra, notamment sur le sujet du contrôle des capitaux, confirme Marius Reitz. Mais le service compte dans ses partenaires des entreprises [Visa et MasterCard, Ndlr] parmi les plus régulées du monde », poursuit-il.
Plus généralement, promouvoir l’utilisation des cryptomonnaies auprès des gouvernements demeure encore un exercice délicat. Au Maroc par exemple, ces monnaies 2.0 sont tout simplement interdites depuis 2017. L’Algérie, quant à elle, a acté leur interdiction dans sa loi de finance de 2018.