Attentat terroriste au Maroc : « Daech désigne les cibles et laisse des petits groupes faire le travail »

Abdelhak Bassou, ancien directeur central des renseignements généraux marocains, revient sur le double meurtre commis le week-end dernier dans la région de Marrakech, qualifié par les enquêteurs d’acte terroriste.

Les auteurs du double meurtre d’Imlil (Maroc), dans leur vidéo d’allégeance à l’organisation État islamique, avant de passer à l’acte en décembre 2018. © DR

Les auteurs du double meurtre d’Imlil (Maroc), dans leur vidéo d’allégeance à l’organisation État islamique, avant de passer à l’acte en décembre 2018. © DR

CRETOIS Jules

Publié le 21 décembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Entre 1974 et 2009, Abdelhak Bassou a occupé plusieurs hautes fonctions au sein des services de police marocains. Aujourd’hui « Senior fellow » au Policy Center for the New South (ex-OCP Policy Center), il analyse la portée de l’attentat commis dans les environs d’Imlil, petite localité située à une soixantaine de kilomètres au sud de Marrakech. La première action terroriste d’ampleur au Maroc depuis sept ans.

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Jeune Afrique : Dans ce type d’affaires, quelles sont les priorités de la police ?

Abdelhak Bassou : Dans un premier temps, l’enquête va sûrement essayer de déterminer si ces personnes avaient des contacts purement idéologiques ou organiques avec des structures terroristes sérieuses, à l’international ou au Maroc. C’est une question centrale pour savoir à qui nous avons à faire.

Avec quatre suspects liés les uns aux autres, peut-on encore parler de « loups solitaires » ?

Il semblerait que les suspects partagent un même espace d’évolution, que le groupe a été formé sur une proximité initiale. En effet, une personne peut en embrigader deux ou trois, et c’est le cas de certaines cellules démantelées ces dernières années. Sur les quelques soixante « cellules » démantelées par le Bureau central des investigations judiciaires (Bcij) depuis 2015, certaines étaient des regroupements de personnes initialement éloignées des réseaux jihadistes internationaux, se radicalisant via les réseaux sociaux, communiquant peu avec l’extérieur.

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On notera l’absence – a priori et sous réserve de ce que les perquisitions révéleront – d’armes à feu. Ici, les terroristes ont utilisé des couteaux de boucher, communs. Cela explique qu’il soit parfois difficile d’identifier en amont ces groupes, qui ne cherchent même pas toujours à se financer ou à s’équiper outre mesure.

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Cet attentat correspond-il malgré tout à de nouveaux modes d’action des groupes jihadistes internationaux ?

Oui. Daech, notamment, désigne les cibles, pointe du doigt les pays à châtier, et laisse des personnes isolées, des petits groupes ou des « revenants », faire le travail. Derrière, l’organisation ne revendique même plus forcément l’action, elle la relaie simplement dans ses différents médias. Chaque action répertoriée incite ainsi un autre groupe ou une autre personne à faire de même.

Ce ne sont pas les pays scandinaves qui sont ciblés, mais bien les institutions marocaines

Par ailleurs, on peut remarquer que le groupe de suspects vise bien le Maroc, selon leur propre déclaration vidéo. Ce ne sont pas les pays scandinaves qui semblent cités ici, mais bien les institutions marocaines, l’économie marocaine et le vivre-ensemble dans la région nord-africaine. Cela correspond à la volonté des grandes structures jihadistes de harceler les capitales arabes. Enfin, les suspects n’oublient pas de mentionner les villes syriennes dans lesquelles Daech se bat aujourd’hui contre la coalition internationale ou les Kurdes.

Selon vous, cet attentat peut-il inciter d’autres individus à passer à l’acte ?

Cela fait partie des calculs des organisations internationales, qui parient sur des actes isolés mais qui se répondent les uns aux autres. Par ailleurs, le dispositif mis en place en 2014 et baptisé « Hadar » (vigilance) est toujours en action. Ses fonctions n’ont jamais été interrompues et il reste dissuasif. Aujourd’hui, on ne peut pas prévoir davantage, et cela est vrai dans le monde entier.

Ces dernières années, la police a saisi des stupéfiants lors de certains démantèlements de cellules présumées terroristes. Au Maroc, y a-t-il des connexions entre la petite délinquance et le jihadisme ?

Ça et là, il peut y avoir des ponts. Des trafiquants et certains jihadistes peuvent partager les mêmes besoins, comme des papiers ou des logements discrets. Par ailleurs, si les vieux réseaux d’Al Qaïda, comme Daech aujourd’hui, peuvent attirer des personnes de la classe moyenne et même de la petite bourgeoisie, on trouve toujours des personnes démunies prêtes à s’enrôler. Et parmi elles, des jeunes qui ont connu la prison ou des formes de marginalisation frottant au monde de la petite délinquance.

Le roi Mohammed VI lui-même avait reconnu des dépassements dans la lutte antiterroriste après les attentats de 2003. Sur les réseaux sociaux, on lit que des internautes réclament la levée du moratoire sur la peine de mort. Dans la répression, faut-il craindre des atteintes aux droits humains ?

Je ne crois pas. Le Bcij est aujourd’hui une des premières structures sécuritaires appelée sur le front de l’antiterrorisme et son action est très judiciarisée. En effet, il travaille directement sous la houlette du parquet.

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