Politique

Attentat au Maroc : bien qu’outillé contre le terrorisme, le royaume était menacé depuis des années

Le Maroc a vécu sans attentat majeur sept ans durant, alors que des attaques survenaient dans de nombreux pays alentour. Le royaume est choqué après la découverte d’un crime terroriste près de Marrakech, mais compte sur une solide armature de lutte contre le phénomène.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 21 décembre 2018 à 10:23

Un membre de l’unité antiterroriste marocaine en 2015. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Un communiqué du procureur général près la cour d’appel de Rabat a confirmé mercredi 19 décembre dans la soirée la piste terroriste dans l’affaire des meurtres de deux jeunes femmes, âgées de 24 et 28 ans. Les corps des touristes scandinaves avaient été retrouvés dans la soirée du 16 au 17 décembre à Imlil, dans la province d’Al Haouz, à une soixantaine de kilomètres au sud de Marrakech. Des sources sécuritaires ont affirmé à la télévision nationale que les suspects auraient prêté allégeance à l’organisation État islamique (« Daech », suivant son acronyme arabe).


>>> À LIRE – Maroc : le terrorisme frappe au pied du mont Toubkal


La région, connue pour accueillir de nombreux touristes, est sous le choc. Sur les réseaux sociaux, les messages indiquant la stupeur se sont multipliés dès l’annonce de la nouvelle. Le Maroc n’avait pas connu d’attentats depuis l’explosion du café Argana à Marrakech, le 28 avril 2011, dans laquelle 17 personnes avaient péri.

Des cellules actives et en lien avec l’étranger

Le seul Bureau central d’investigation judiciaire (Bcij) avait démantelé huit « cellules terroristes » entre janvier et octobre 2018, selon une interview de son directeur Abdelhak Khiame à l’agence officielle MAP. 21 avaient été démantelées en 2015, 19 en 2016, et neuf en 2017.

Lors des démantèlements de cellules, les éléments de l’enquête indiquent souvent des relations avec des groupes internationaux

Le même Abdelhak Khiame avait révélé devant la presse le nombre de Marocains ayant rejoint des groupes combattants en Syrie et en Irak en mars 2015, au plus haut de la vague de départs : 1 355, dont environ 500 dans les rangs de Daech. Plusieurs centaines auraient trouvé la mort à l’étranger. Certains tentent de revenir. Les autorités auraient ainsi interpellés plus de 200 « revenants », traduits devant la justice depuis 2015.

Lors des démantèlements de cellules, les éléments de l’enquête indiquent souvent des relations et des rapports au minimum idéologiques avec des groupes internationaux, notamment Daech.

Le modèle marocain face au jihadisme

La création du Bcij, en 2015, est une des réponses apportées à la menace sécuritaire qui pèse sur le pays. Si le Maroc n’avait pas connu d’attaques ces dernières années, un état d’alerte constant régnait, rehaussé de manière régulière, dans la foulée des attentats en Tunisie, en France, en Espagne ou en Afrique de l’ouest. Rabat avait même activé en 2014, après l’expansion de Daech en Irak, un dispositif sécuritaire sur le territoire baptisé « Hadar » (vigilance). Mohamed Hassad, alors ministre de l’Intérieur, l’avait dit devant le Parlement en 2014 : « une menace terroriste sérieuse » plane sur le pays. Depuis, l’ambiance n’a jamais vraiment changé pour les sécuritaires.

En 2017, le Maroc a aussi lancé un programme, « Mossalaha » (réconciliation), pour inciter des détenus dans des affaires de terrorisme jihadiste à procéder à des révisions idéologiques. 13 personnes ayant suivi ce programme ont été graciées depuis. Les cheikh les plus connus parmi les voix radicales du jihadisme du début des années 2000 avaient été libérés suite aux manifestations et aux réformes de 2011, après des gages de bonne volonté. Les autorités ont aussi entrepris ces derniers temps de permettre à d’anciens militants islamistes évoluant dans la clandestinité sous les années de plomb, sous le règne de Hassan II, à revenir d’exil.


>>> À LIRE – Maroc : la discrète réconciliation avec les anciens exilés islamistes


En 2015, Rabat a aussi modifié sa législation existante en ajoutant notamment des amendements à sa principale loi antiterroriste n°03-03, promulguée au lendemain des attentats de mai 2003. Les changements permettaient avant tout de pénaliser le fait ou l’intention de rejoindre un groupe combattant à l’étranger, même dans le cas où ce groupe ne vise pas à porter préjudice aux intérêts marocains. Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) avait critiqué certaines dispositions du projet de loi concernant l’infraction d’apologie du terrorisme et les punitions liées.

Des « loups solitaires » sous les radars

Le Maroc, tout en prenant une part active aux échanges entre services de renseignement dans le domaine de la lutte antiterroriste, où son expertise est appréciée, mène, sur le plan international, une politique originale. Les autorités civiles s’adonnent à des opérations de soft power et de lutte idéologique et religieuse contre le jihadisme depuis des années : des imams français, maliens, nigérians ou encore tunisiens sont conviés à des formations à l’Institut Mohammed VI, ouvert en 2015 à Rabat. Le but est notamment d’apprendre à répondre aux discours de violence.

Le Maroc vivait aussi sous l’épée de Damoclès que sont ces individus qui s’organisent et se radicalisent de manière discrète

Mais, à Jeune Afrique notamment, Abdelhak Khiame avait déclaré : « les fameux “loups solitaires” constituent désormais le principal danger pour tous les pays ». Le Maroc vivait aussi sous l’épée de Damoclès que sont ces individus qui s’organisent et se radicalisent de manière discrète, sans établir de contact direct avec des structures terroristes sérieuses, à l’écart de tous les radars. Les organisations internationales le savent et les communicants de Daech parmi d’autres n’ont pas oublié, depuis des années, de citer de manière plus ou moins régulières le Maroc comme cible.