Yousra Abourabi : « L’UA pourrait devenir une arène d’affrontements diplomatiques entre pro et anti-Marocains »

Le 30 janvier 2017, le Maroc a intégré l’Union africaine grâce à une forte et solide majorité : 39 États sur les 54 que compte l’organisation ont voté pour son retour. Ce retour inédit dans l’unique organisation multilatérale continentale s’est faite difficilement et tardivement.

Les chefs d’État africains lors du sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 30 janvier 2017. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

Les chefs d’État africains lors du sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en Ethiopie, le 30 janvier 2017. © Mulugeta Ayene/AP/SIPA

Yousra Abourabi
  • Yousra Abourabi

    Professeure de science politique à l’Université internationale de Rabat. Elle est l’auteure de l’ouvrage « Maroc », publié dans la collection « Monde arabe / Monde musulman », aux Éditions De Boeck supérieur, en avril 2019 (128 pages).

Publié le 2 février 2017 Lecture : 3 minutes.

Elle constitue le résultat d’une politique de la chaise vide qui a duré près de 20 ans, puis d’une « stratégie diplomatique indirecte » à l’œuvre depuis une quinzaine d’années, destinée à revaloriser la place et le rôle du royaume au sein du continent.

Dans un premier temps, le Royaume a contourné son absence de l’UA par des offensives diplomatiques multi-sectorielles. Cette nouvelle politique africaine, pensée, dirigée et conduite par la monarchie, s’est établie à trois niveaux. Le premier niveau est bilatéral. Le royaume a noué de nombreuses relations avec les États des Afriques de l’Ouest, sahélienne et centrale : les visites royales, la diplomatie économique et culturelle ainsi que les opérations humanitaires ont constitué autant de leviers permettant la consolidation des liens maroco-africains, à la mesure des moyens et des objectifs du royaume.

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Le second niveau est multilatéral : le rapprochement du Maroc des organisations régionales africaines ou encore les multiples initiatives panafricaines dont il a insufflé la création étaient destinées à conforter son réseau diplomatique et à démontrer sa capacité à jouer le jeu multilatéral.

Le troisième niveau est discursif. Il est relatif à la diffusion de l’identité du Maroc à l’échelle internationale, présenté comme un État « modéré », « solidaire » et « fédérateur ».

Le Maroc s’est rendu indispensable

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Derrière ces offensives diplomatiques, c’est bien l’ambition d’être reconnu comme une puissance africaine, tout aussi bien dans son identité en tant qu’État-nation que dans son espace de projection, qui guide cette politique étrangère.

La réintégration de l’UA constitue une étape logique de cette politique, mais elle ne pouvait s’effectuer que si le royaume parvenait à la fois à imposer sa présence sur le continent et à revaloriser son image. La conduite d’une « stratégie indirecte » était destinée à résoudre cette équation : d’une part le Maroc se rendrait indispensable par ses multiples offensives diplomatiques, d’autre part, il arrêterait de poser des conditions (en l’occurrence la condition de l’exclusion de la République arabe sahraouie démocratique, RASD, de l’UA).

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S’il parvenait à constituer un réseau d’alliance amical au sein du continent, ses intérêts seraient alors défendus par ce même groupe d’acteurs.

L’annonce de Kigali en juillet 2016 constitue la consécration de cette stratégie indirecte. Tandis que le roi annonçait officiellement la candidature du royaume pour un siège au sein de l’UA, sans condition d’exclusion de la RASD, 28 États déposaient au même moment une motion demandant la suspension de la reconnaissance de l’État sahraoui.

Les amis du Maroc s’efforcent de démontrer que l’UA a plus besoin du Maroc que de la RASD

Les nouveaux et anciens amis du Maroc, principalement les États d’Afrique centrale et de l’ouest, s’efforcent aujourd’hui de démontrer que l’UA a plus besoin du Maroc que de la RASD. Les adversaires politiques du Royaume, à savoir l’Algérie, l’Afrique du sud et ses alliés en Afrique australe et de l’est, continuent de soutenir le Front Polisario. Si les multiples tractations diplomatiques qui ont mené à l’annonce de Kigali, dans les jours qui ont précédé le sommet de l’UA, apparaissent furtives, elles n’en sont pas moins le résultat d’une politique pensée à plus longue échéance.

Le royaume toujours décidé à exclure la RASD de l’UA

L’intégration du Maroc au sein l’UA aura deux conséquences majeures.

Premièrement, les dirigeants du Royaume devront s’efforcer de penser une « politique du compromis », du moins momentanée, cohérente avec l’ensemble de la diplomatie déployée ces dernières années. Les diplomates devront aussi mieux connaître les principes et les mécanismes de l’UA afin de pouvoir défendre les intérêts du Royaume. Il ne serait pas étonnant de voir émerger des structures de recherche spécialisées sur les relations internationales africaines ces prochaines années.

Deuxièmement l’UA devra s’attendre à devenir une arène d’affrontements diplomatiques entre pro et anti- Marocains. Dans son discours de Kigali, le Roi Mohammed VI avait bien affirmé que « quand un corps est malade, il est mieux soigné de l’intérieur que de l’extérieur ». Si le Maroc a changé de stratégie, il n’en est pas moins décidé à exclure la RASD de l’Union africaine. Malgré tout, dans le champs des relations internationales, ce type de posture n’a jamais été incompatible avec la conduite d’une diplomatie du développement durable effective.   

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