Festival de Cannes – Un certain regard : le Guinéen Abou Sangare meilleur acteur pour « L’Histoire de Souleymane »

Le jeune guinéen crève l’écran dans « L’Histoire de Souleymane », le récit haletant d’un livreur à vélo sans papiers, Prix du jury Un certain regard du Festival de Cannes. Installé depuis six ans en France, il est actuellement menacé d’expulsion.

Abou Sangare dans « L’Histoire de Souleymane » © UNITÉ

Abou Sangare dans « L’Histoire de Souleymane » © UNITÉ

eva sauphie

Publié le 26 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

Théâtre Debussy, Palais des festivals à Cannes. L’équipe du troisième long-métrage de fiction de Boris Lojkine, déjà à l’origine des très remarqués Hope (2014) et Camille (2019), monte sur scène avant la projection de L’Histoire de Souleymane. Ce récit qui prend aux tripes, récompensé du Prix du jury dans la catégorie Un certain regard, raconte le parcours effréné d’un coursier guinéen demandeur d’asile, dévalant Paris à vélo pour livrer des repas à domicile.

Dans le rôle principal, Abou Sangare, dit Sangare, impressionnant de justesse à l’écran, vient de remporter le Prix du meilleur acteur dans la même catégorie. Il y a encore quelques semaines, le Guinéen de 23 ans était inconnu du public et réparait des voitures à Amiens.

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Un long périple

C’est dans cette ville du nord de la France qu’il s’est installé, il y a six ans, au terme d’un long périple. Natif de Sinko, dans le sud-est d’un pays frappé par plusieurs coups d’État, Sangare n’a pas vécu le dernier en date, en 2021. Il quitte la Guinée quatre ans plus tôt, moins pour fuir les tensions politiques du pays que pour aider sa mère, alors souffrante, qui n’a pas les moyens de se faire hospitaliser.

Direction le Mali, à Gao, puis l’extrême sud de l’Algérie, à Timiaouine, où il travaille dans des conditions d’asservissement. Il peut ensuite transiter à Ghardaïa, puis à Alger. Là, Sangare parvient à réunir un petit pécule et à passer en Libye, à Tripoli, avant de traverser la Méditerranée dans une embarcation de fortune où cent personnes sont entassées. Secouru par un bateau de sauvetage, il pose enfin le pied à Lampedusa, en Italie, et peut rejoindre la France. Il a alors 16 ans.

Le voilà aujourd’hui propulsé à Cannes, dans un polo blanc impeccable, des petites locks perlées encadrant son visage, au milieu d’un cortège de smokings et de robes haute couture. Et parmi la fine fleur du cinéma international. C’est à son tour de s’emparer du micro devant une assemblée de quelque 1 000 spectateurs majoritairement blancs. « Je suis fier d’être ici devant vous pour vous raconter l’histoire de Souleymane », prononce-t-il, ému. Car cette histoire est aussi un peu la sienne.

Deux refus de la préfecture

Comme Souleymane, Sangare est guinéen. Et comme lui, il est mécanicien de formation et en attente de papiers. Après plusieurs stages effectués dans la société de transport Kéolis, l’apprenti fait une première demande de régularisation. La réponse est négative. Entre temps, il obtient un bac pro en mécanique spécialisé poids lourd.

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Tandis qu’un CDI l’attend dans un garage Mercedes, l’annonce tombe quelques jours avant le début des festivités cannoises. Sangare essuie un deuxième refus de la préfecture de la Somme. Parmi les arguments pointés en sa défaveur, le doute sur son âge et l’absence de famille qui le retiendrait sur le territoire. « Quand je suis arrivé en France, j’ai déclaré mon âge auprès de l’ASE [Aide sociale à l’enfance, NDLR], mais il n’a pas été reconnu. J’ai fait une nouvelle demande, on attend », confie-t-il, la force tranquille.

Pudique, Sangare parle peu de sa famille, et évoque un demi-frère qui étudie entre la Guinée et la France, et une grande sœur vivant à Conakry. Aucun de ses proches n’est au courant qu’il a joué dans un film. Il préfère rester discret sur la question. « Ça peut créer des jalousies, et j’ai d’autres problèmes à régler », glisse-t-il, placide.

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Mais il se dit fier, une fois de plus, de porter jusqu’à Cannes l’histoire de ces forçats de la livraison à vélo, auprès desquels il a passé trois semaines de formation pour comprendre les conditions de vie et de travail des sans-papiers à l’heure de l’ubérisation. « Les gens sont à la maison et reçoivent leurs repas tous les jours sans savoir comment sont et vivent ces personnes, qui n’ont parfois pas de toit où dormir. Avec ce film, c’est une façon d’apprendre à les connaître. »

Un calme olympien naturel

Aussi endurant que bouleversant d’émotion, le protagoniste nous embarque sur son vélo et dans sa double course contre la montre. Il est à la fois dans l’urgence de livrer ses repas à temps pour éviter d’être radié de l’application, et dans le speed pour récupérer les documents qu’il doit présenter le jour de son entretien à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Un rendez-vous qu’il prépare entre chaque livraison, sans jamais reprendre son souffle, dans l’espoir d’obtenir l’asile.

« Je suis sportif, donc physiquement ça allait. C’est plus le texte qui m’a demandé beaucoup de travail. J’avais 180 pages à mémoriser », détaille le polyglotte qui maîtrise le français et les trois langues officielles de Guinée – le peul, le malinké, le soussou –, que l’on entend parler parmi les réseaux de solidarité africains dans le film. « On tournait une à deux scènes par jour. Je révisais avant le jour-J en demandant à Boris la page qu’il fallait apprendre pour le lendemain. »

Si l’avenir du film est désormais entre les mains des distributeurs, celui de Sangare reste incertain. « On m’a demandé si j’allais être à Paris ces prochaines semaines, pour la promotion. Mais je ne peux pas répondre à cette question », prévient-il, lucide.

D’un calme olympien naturel, le jeune homme n’a pourtant pas pu contenir ses larmes à la fin de la projection. Le public lui a réservé une standing ovation pendant de longues minutes, manifestement ému par cette trajectoire individuelle et bien conscient d’assister à la naissance d’un acteur. Un accueil qui, espérons-le, permettra à Sangare de continuer à écrire son histoire sur le territoire qui l’a vu naître une seconde fois.

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