« Chien blanc » s’attaque avec brio au privilège blanc dans les luttes anti-racistes

Adapté du livre de Romain Gary relatant l’implication de l’écrivain et de son épouse, l’actrice Jean Seberg, dans le mouvement des droits civiques, ce film s’interroge avec habileté sur l’appropriation de la lutte des Noirs quand on est blancs et privilégiés.

Une scène du film « Chien blanc » © Vivien Gaumand

Une scène du film « Chien blanc » © Vivien Gaumand

eva sauphie

Publié le 22 mai 2024 Lecture : 3 minutes.

Exilé dans une maison bourgeoise aux États-Unis en plein mouvement des droits civiques, l’écrivain français Romain Gary (le très juste Denis Ménochet à l’écran) vit à l’abri du tumulte des manifestations et des violences policières avec son épouse Jean Seberg (interprété avec conviction par Kacey Rohl). Témoin à distance de la situation des Noirs américains, et habité par un sentiment d’impuissance, il cherche le moyen de raconter l’époque alors que Martin Luther King vient d’être assassiné. Quand un chien errant surgit de nulle part sur le palier de sa porte, l’écrivain l’adopte avant de réaliser que l’animal a été dressé pour attaquer les Noirs. Sa quête pour déconstruire la bête (le racisme) vire alors à l’obsession.

L’appropriation des luttes

De son côté, l’actrice américaine a choisi de se rapprocher du Black Panther Party et de mener une action de terrain. Son militantisme va bientôt créer une dissension au sein du couple : « Ce n’est pas parce que je ne suis pas directement concernée que je dois laisser mon pays dans cet état », se justifie celle qui va perdre peu à peu ses privilèges à mesure que son engagement grandit. C’est justement de cela dont il est question dans ce film qui soulève avec justesse des questions extrêmement contemporaines. « Est-ce que, en tant que Blanc privilégié, je peux prendre part au mouvement anti-raciste ? Cette question de l’allié blanc m’habite depuis longtemps », confie Anaïs Barbeau-Lavalette.

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L’histoire personnelle de la réalisatrice québécoise est intrinsèquement liée à celle des personnages principaux du film. Sa grand-mère a abandonné ses enfants en bas âge pour rejoindre le mouvement des peintres automatistes et celui des droits civiques aux États-Unis. Une histoire dont elle a tiré un livre, La femme qui fuit, qui résonne étroitement avec celle qu’elle porte à l’écran. « Il y a énormément de débats sur l’appropriation culturelle au Québec. Comment s’impliquer dans une lutte si on n’est pas directement concerné ? » s’interroge la cinéaste qui a fait appel à des consultants afrodescendants, Maryse Legagneur et Will Prosper. « Ils m’ont aidée à la mise en scène pour éviter de blesser et profiter d’angles morts. »

De 1968 à l’Amérique de Trump

Alternant images d’archive (manifestations, émeutes et discours comme celui de Robert F. Kennedy annonçant la mort de Martin Luther King) et images de fiction, le film intègre également des documents iconographiques plus récents revenant sur le mouvement Black Lives Matter. Une façon adroite de montrer que les luttes anti-racistes résonnent encore tragiquement dans notre contemporanéité. « Au moment des manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd, Donald Trump avait tweeté “Bring the dog” (« Ramenez le chien »). Hélas, le chien blanc existe encore en Amérique », regrette la cinéaste. À ces images documentaires viennent s’ajouter des plans larges poignants, comme cette séquence où l’on voit une fillette tentant de fuir ses bourreaux à travers champs qui fixe la caméra tout au long de sa course avant le drame.

« C’était important que l’histoire n’appartiennent pas aux deux personnages blancs. Le regard caméra est donné aux personnes concernées et brise le quatrième mur, celui d’une salle de cinéma plus blanche que mixte. Ce dispositif amène à réfléchir à son privilège, encore une fois », analyse Anaïs Barbeau-Lavalette.

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Des scènes saisissantes qui replacent la tragédie et les victimes au centre du récit. Car si la réalisatrice s’est appuyée sur le texte d’origine, très dense, elle a fait le choix de n’en extraire que quelques bribes en voix off. Au bruit, elle a préféré le silence des plans macro sur la végétation, les insectes… à la beauté plastique impeccable. « Ces ponctuations sur la nature sont nécessaires. C’est cette même nature qui était là au moment des drames passés. Elle est le témoin immuable qui a vu défiler l’histoire et qui continuera à le faire si nous ne sommes pas actifs dans notre façon d’aborder les enjeux liés au racisme. »

Chien blanc d’Anaïs Barbeau-Lavalette, en salles le 22 mai

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