Cette diaspora marocaine qui réussit en Espagne

Si l’immigration marocaine en Espagne est un phénomène plus récent que dans d’autres pays européens, les nouveaux arrivants se sont vite intégrés, loin des clichés qui voudraient qu’ils restent cantonnés à des métiers peu valorisés.

Othman Ktiri, fondateur et directeur exécutif du groupe OK, élu meilleur entrepreneur des îles Baléares par le magazine espagnol Actualidad Economica en 2019. © DR

Othman Ktiri, fondateur et directeur exécutif du groupe OK, élu meilleur entrepreneur des îles Baléares par le magazine espagnol Actualidad Economica en 2019. © DR

Publié le 30 avril 2024 Lecture : 4 minutes.

Non, la diaspora marocaine en Espagne n’est pas uniquement synonyme de problèmes d’intégration. C’est ce qu’a tenu à rappeler Karima Benyaich, ambassadrice du royaume dans le pays, dans une interview à l’agence de presse espagnole EFE. Celle qui est en poste depuis 2017 s’est plainte de l’utilisation faite par certains partis politiques espagnols des thématiques telles que « l’immigration irrégulière », pour jeter l’opprobre sur la communauté marocaine du pays. Elle déplore « une représentation qui ne correspond pas du tout à la réalité ».

La diplomate évoque l’incorporation réussie de nombreux migrants marocains dans le tissu social et économique espagnol, rappelant au passage que, contrairement à celle en France et aux Pays-Bas, l’immigration marocaine dans le pays est plus tardive. En effet, ça n’est qu’à partir des années 1990, que l’on peut réellement parler de population marocaine installée sur le territoire espagnol. Et si, statistiquement, les premiers migrants marocains arrivés pendant le cycle de croissance économique espagnol (du début des années 1990 au mitan des années 2000) ont d’abord occupé des professions peu qualifiées, manuelles et temporaires (agriculture, hôtellerie, restauration, services de santé), cette situation tend à évoluer.

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Rita Charaï, 34 ans, vit en Espagne depuis 15 ans. Elle est contrôleuse de gestion pour la compagnie pétrolière nationale Cepsa, à Madrid. « Je croise de plus en plus de Marocains dans la médecine, dans les technologies de l’information. Dans l’informatique, il y a une part non négligeable de Marocains », constate-t-elle. « L’ingénierie mécanique est également un domaine où nos compatriotes excellent », renchérit Aya Sennoussi, 21 ans, étudiante en médecine à Saragosse. « J’en vois de plus en plus qui ouvrent des entreprises dans ce secteur, et profitent des débouchés qu’il y a ici. »

Des exemples de réussite

On cite souvent en exemple Otman Ktiri, fondateur d’OK Mobility, comme exemple de réussite entrepreneuriale de la diaspora marocaine en Espagne. Rachad Andaloussi Ouriaghli est un autre homme d’affaires qui jouit d’une grande popularité auprès de la classe politique espagnole, en raison de ses liens avec les deux rives de la Méditerranée. « D’une manière générale, on observe également une augmentation progressive du nombre d’affiliés marocains au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants, soit environ 27 000 en 2023 », explique à Jeune Afrique Brahim-El Habib, professeur associé à l’Université d’Alicante.

Sans oublier un nombre de croissant de figures publiques connues à l’image du rappeur Morad, des sportifs Mohamed Katir, Yassine Bounou, Achraf Hakimi, Youssef El-Nesyri, des acteurs Mina El Hammani et Hamza Zaidi, ou de l’écrivaine Najat Hachmi. De quoi donner aux jeunes Espagnols issus de l’immigration marocaine des exemples de réussite que leurs aînés n’avaient pas forcément. La sphère politique n’est pas en reste : Fatima Taleb est la première conseillère musulmane du conseil municipal de Badalona, et Mohamed Chaib a été le premier député d’origine marocaine au Parlement catalan.

L’impact phénoménal de ‘l’effet Salah’

« L’émergence de figures telles que celles mentionnées ci-dessus, notamment dans les domaines sportif, culturel et des médias sociaux, a contribué à l’amélioration de la perception de la diaspora marocaine par la société d’accueil. La seule comparaison qui me vient à l’esprit est celle de ‘l’effet Salah’, le footballeur égyptien dont l’impact a été si important que le niveau d’islamophobie et de crimes de haine a diminué au sein de la population », ajoute Brahim-El Habib.

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Parallèlement, le nombre de Marocains vivant dans la péninsule continue à augmenter. Selon les chiffres de juin 2022 publiés par l’INE (Institut national espagnol de la statistique), ils constituent la première communauté étrangère légalement installée en Espagne avec près de 760 000 membres (870 000 selon le parti d’extrême-droite Vox) devant les Roumains et les Colombiens. La moitié est enregistrée en Catalogne (environ 238 000) et en Andalousie (environ 157 000). La région de Murcie arrive en troisième position avec environ 90 000 habitants marocains. Les Marocains sont également en tête des étrangers qui ont obtenu la nationalité espagnole en 2022, selon les données de l’INE de juin 2023 : 55 463 personnes sur un total de 181 581.

Beaucoup de clichés ont la peau dure

Cependant, comme le concède Brahim El-Habib, « la communauté marocaine reste celle qui suscite le plus d’antipathie au sein de la population espagnole ». Une enquête de 2021 de l’Observatoire du racisme et de la xénophobie estimait à 13 % la part de la population faisant état d’opinions « très hostiles » à l’égard de la communauté, et 22 % d’opinion « inamicales ».

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Pour les chercheurs, les préjugés négatifs tiennent pour partie à une méconnaissance générale de la situation réelle de la diaspora marocaine dans le pays. Beaucoup de clichés ont la peau dure et on associe encore facilement cette population à l’industrialisation du secteur agricole, au besoin de main-d’œuvre dans les régions où les cultures sont extensives ou saisonnières, à la faiblesse des salaires, à la précarité sociale et aux mauvaises conditions de travail. En réalité, la diaspora marocaine n’est plus, semble-t-il, confrontée aux mêmes écueils que les générations précédentes. « Dans le milieu de la finance par exemple, les salaires en Espagne sont plus bas qu’ailleurs. Aujourd’hui, les Marocains que je connais qui travaillent dans ce milieu quittent l’Espagne non pas en raison d’une discrimination mais parce qu’ils ont d’autres opportunités ailleurs », raconte Rita Charaï.

Le changement progressif de perception de la diaspora marocaine par les Espagnols pourrait être aussi favorisé par des facteurs géopolitiques, estime Yassine El Yattioui, Marocain de 31 ans et doctorant à l’université de Salamanque depuis janvier 2020 : « Le réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays, l’afflux de touristes espagnols au Maroc, la co-organisation de la Coupe du monde de football ou encore l’éventualité de la construction d’un tunnel sous le détroit de Gibraltar sont autant d’éléments qui portent à croire que la perception des Espagnols à l’égard de la diaspora marocaine s’améliorera. »

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