Aboubakry Wade : « Au Sénégal, le surnombre de candidatures pose problème »

Pour le cofondateur du Divan citoyen, les barrières instaurées par la caution et les parrainages ne suffisent pas à réfréner les appétits en vue de la présidentielle.

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Publié le 6 janvier 2024 Lecture : 5 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Depuis l’ouverture de la « chasse aux parrainages » au Sénégal, Aboubakry Wade et ses compagnons du Divan citoyen, une plateforme en ligne dont il est le cofondateur, tiennent à jour la liste interminable des prétendants au sacre présidentiel.

À sept semaines du scrutin prévu le 25 février, le Conseil constitutionnel a achevé ce 5 janvier un premier examen des 93 dossiers de candidature déposés dans les délais – dont certains ont été invalidés définitivement et d’autres peuvent encore faire l’objet d’une régularisation de dernière minute. Selon le décompte du Divan citoyen, 263 personnes avaient initialement retiré auprès de la Direction générale des élections (DGE) un dossier visant à recueillir leurs parrainages auprès des quelque 7 millions d’électeurs inscrits ou, pour quelques privilégiés, des députés et élus locaux.

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À titre de comparaison, 26 candidats ont été admis à concourir lors de la présidentielle qui s’est tenue en RDC le 20 décembre. Or ce pays-continent compte un fichier électoral de 43 millions d’électeurs contre 7 millions seulement au Sénégal.

Comment expliquer cette hyperinflation malgré la tentative de filtrage adoptée en 2018 avec la loi sur les parrainages ? Celle-ci est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la démocratie sénégalaise, souvent citée en exemple ? Aboubakry Wade livre ses réponses.

Jeune Afrique : Entre les candidats dont le dossier a été jugé complet par le Conseil constitutionnel et ceux pouvant encore bénéficier d’une régularisation, le nombre de prétendants s’élève provisoirement à 29 alors qu’ils n’étaient que 14 en 2012 et 5 en 2019. Comment expliquez-vous cette augmentation ?

Aboubakry Wade : Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut remonter à la première alternance, avec l’élection d’Abdoulaye Wade en 2000. Une fois au pouvoir, les libéraux ont pu donner l’impression que tout Sénégalais, et pas seulement les professionnels de la vie politique, pouvait devenir maire, député, ministre ou directeur d’une entreprise de service public. Ils avaient en effet cassé la pratique du régime socialiste, au pouvoir pendant quarante ans, où ce type de fonctions semblait réservé à des hauts fonctionnaires, serviteurs de l’État par vocation.

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Le problème est que cette démocratisation de la vie politique n’a cessé, depuis, d’aller crescendo. À tel point qu’aux législatives de 2017, on dénombrait pas moins de 45 listes ! Et trois années plus tôt, il y en avait eu aussi énormément lors des élections locales. Face à ce constat, le système des parrainages a été adopté en 2018, puis mis en œuvre pour la première fois lors de la présidentielle de 2019 où seulement cinq candidats ont pu se présenter.

Quel bilan tirer de ce système de filtrage quand on constate que 93 postulants ont fait acte de candidature devant le Conseil constitutionnel ?

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Pour la première fois au Sénégal, le président sortant n’est pas candidat à sa propre succession, ce qui a contribué à alimenter un éclatement des grands blocs politiques. Par exemple, au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, majorité présidentielle), il y a une candidature unique officielle, celle d’Amadou Ba, mais des déçus issus des partis qui la composent ont décidé de se porter candidats sous leurs propres couleurs, en particulier dans les rangs de l’Alliance pour la République (APR, le parti de Macky Sall). On le voit aussi au sein de l’opposition, avec plusieurs candidatures au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW).

Les nombreux prétendants dont la candidature n’est portée par aucun grand parti et qui sont, pour certains, totalement inconnus des Sénégalais, croient-ils vraiment en leur destin présidentiel ?

D’une certaine façon, l’élection de Macky Sall en 2012, dès sa première candidature, a suscité des vocations. Il avait créé son propre parti seulement trois ans plus tôt. L’exemple d’Ousmane Sonko a joué aussi, puisque le fondateur des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a réalisé une ascension très rapide en politique entre la création de son parti, en 2014, et les élections législatives de 2017 puis la présidentielle de 2019. De nombreux candidats croient donc être en mesure, à leur tour, de créer la surprise.

À l’évidence, la loi sur les parrainages n’aura pas suffi à rationaliser le nombre de candidatures. Que suggérerait le Divan citoyen au prochain président pour y remédier ?

Apparemment, les deux principales barrières que sont censées constituer les parrainages citoyens (au moins 44 559 parrainages valides à travers sept régions du pays) et la caution, pourtant fixée à 30 millions de francs CFA [45 700 euros], se sont avérées aisément franchissables. On ne connaît pas encore le nombre de candidats qui seront admis à concourir au terme du processus mais tout laisse à penser qu’il restera très important.

Même si nous sommes favorables à l’ouverture des candidatures, notamment à des personnalités indépendantes, force est de constater que ce surnombre, qui risque de s’aggraver à l’avenir, pose problème. Peut-être faudrait-il exiger le versement de la caution dès le retrait des fiches de parrainage afin d’éviter autant que possible les candidatures fantaisistes ayant pour objet principal la communication ; ou encore, éventuellement, réévaluer son montant afin de créer un effet véritablement dissuasif.

Sur les 93 dossiers examinés par le Conseil constitutionnel entre le 30 décembre et le 5 janvier, seulement six concernent des femmes. La parité dans la sphère politique semble encore lointaine…

Les Sénégalaises sont nombreuses à voter mais restent malheureusement trop peu représentées à la tête des grandes formations politiques. Et au plus haut niveau de l’État, seulement deux femmes ont occupé la fonction de Première ministre et Aminata Touré (qui est l’une d’entre elles), initialement pressentie pour devenir la présidente de l’Assemblée nationale après les législatives de 2022, a finalement vu le poste lui échapper in extremis au profit d’un homme. En 2019, contrairement à 2012, aucune femme n’avait pu se présenter à la présidentielle.

Au terme du processus de sélection par le Conseil constitutionnel, à quel nombre – environ – de candidats faut-il s’attendre ?

Au Divan citoyen, nous tablons sur une fourchette de sept à dix candidats. L’obstacle représenté par les nombreux doublons au niveau des parrainages citoyens et par l’examen approfondi des dossiers de candidature au cours des prochains jours risque en effet d’aboutir à l’invalidation de plusieurs prétendants parmi les personnalités encore en lice au titre du « repêchage ».

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