Médias : la radio Africa n°1 repart à la conquête du continent

La radio relance depuis Paris une offensive africaine avec l’obtention de deux fréquences, en Côte d’Ivoire et au Congo. Et projette d’installer une rédaction à Abidjan.

Le saxophoniste et chanteur camerounais Manu Dibangofait partie de l’aventure. © GPS/AFRICA N1

Le saxophoniste et chanteur camerounais Manu Dibangofait partie de l’aventure. © GPS/AFRICA N1

Publié le 24 février 2019 Lecture : 5 minutes.

La radio généraliste Africa n°1 ouvre une nouvelle page de son histoire : en mars, elle deviendra Africa Radio. À cette date, la station privée, qui cumule 122 000 auditeurs par jour en France, commencera à émettre à Abidjan, sur la fréquence FM 91.1. La capitale économique ivoirienne accueillera d’ici à deux ans le siège de la rédaction, aujourd’hui situé à Paris.

Refermer son passé tumultueux

La chaîne, ainsi rebaptisée, officialise sa reconquête du continent et referme définitivement le passé tumultueux associé à son nom. Créée en 1981 au Gabon, « Africa n°1 était le premier projet de radio panafricaine, insiste Francis Laloupo, directeur de l’information et des programmes d’Africa n°1 Paris. C’est ce projet qu’à présent nous voulons réactiver ». Car, à Libreville, la maison mère historique est un champ de ruines. En redressement judiciaire depuis six ans, la société de droit privé accusait, fin 2018, quinze mois d’arriérés de salaires. L’État gabonais, actionnaire à 35 % d’Africa n°1 Libreville, a alors décidé sa liquidation. Et ce peu de temps après l’annonce du retrait de son autorisation d’émettre.

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À sa création, en 1992, Africa n°1 Paris ne devait être qu’un relais de la rédaction gabonaise. Elle fournissait à l’époque 20 % des programmes d’Africa n°1 Libreville, quatre heures par jour. La radio, au faîte de sa gloire, émettait alors dans quatorze capitales africaines. Son modèle économique reposait sur la location de ses émetteurs ondes courtes, installés à Moyabi, près de Franceville (Sud-Est), sur les hauts plateaux Batéké, aux radios internationales comme RFI.

Mais le retrait en 2002 des intérêts de l’État français, alors actionnaire majoritaire, oblige Africa n°1 Libreville à repenser son modèle. La radio passe sous pavillon libyen via la Libyan Jamahiriya Broadcasting Corporation (LJBC). La crise qui sévit en 2011 à Tripoli aggrave les difficultés de l’entreprise. Portée à bout de bras par l’État gabonais, Africa n°1 Libreville a vu ses programmes baisser en qualité, et son matériel, faute d’investissement, se délabrer. « En 2011, nous avons compris que les Gabonais n’arriveraient pas à redresser la barre et que nous devions nous réinventer », raconte Dominique Guihot, PDG d’Africa Média, société éditrice d’Africa n°1 Paris, depuis le désengagement français.

Projet de reconquête du continent lancé il y a cinq ans

En quelques années, Paris est devenu le centre névralgique de la marque. La radio propose désormais douze rendez-vous d’information par jour à ses 940 000 auditeurs (au total). Partenaire de la BBC Afrique depuis cinq ans, elle diffuse les journaux de la chaîne publique britannique, produits depuis Dakar. Le Grand Débat, La Grande Matinale, Ambiance Africa ou encore Le Journal des auditeurs se classent parmi ses programmes de grande écoute. Depuis 2018, Africa n°1 Paris (vingt salariés) émet en province – à Lille, à Strasbourg et à Lyon –, grâce à l’obtention de nouvelles fréquences numériques. Son chiffre d’affaires (1,33 million d’euros) a augmenté de 6 % en 2018 et de 15 % en 2017.

Quatre personnalités africaines de premier plan se sont aussi engagées dans l’aventure

Le projet de reconquête du continent a été lancé il y a cinq ans, avec le fonds Investisseurs et Partenaires (I&P), dirigé par Jean-Michel Severino. « Dominique Guihot avait une vision très claire de son business model », commente l’ancien directeur de l’Agence française de développement (AFD), qui le connaissait de réputation. C’est la première fois que son fonds finance un média. « Il y avait une place stratégique à prendre pour un média populaire de qualité, privé et panafricain francophone », ajoute Jean-Michel Severino, insistant sur la puissance de la radio comme « vecteur de développement ». Quatre personnalités africaines de premier plan se sont aussi engagées dans l’aventure : le saxophoniste camerounais Manu Dibango, animateur sur Africa n°1 depuis près de vingt ans, Lionel Zinsou, ex-Premier ministre du Bénin, Momar Nguer, membre exécutif du groupe Total, et A’Salfo, leader du groupe Magic System.

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Sur les 2,8 millions d’euros nécessaires à l’installation d’une rédaction à Abidjan et au déploiement de la station sur le continent, la société Africa Radio SA, créée en juillet 2016 en Côte d’Ivoire, a déjà levé 1,4 million d’euros. « Notre réseau sera performant quand nous aurons l’autorisation d’émettre dans vingt capitales africaines », d’ici à cinq ans, estime Dominique Guihot, puisqu’en coût marginal l’extension du réseau représente peu de charges additionnelles. Ce dernier mise sur l’écoute hertzienne pour étendre ses parts de marché sur le continent plus que sur internet.

Il aura fallu attendre deux ans pour obtenir l’autorisation d’émettre à Abidjan. Les fréquences étant des biens non cessibles qui appartiennent à l’État, leur exploitation fait l’objet d’une redevance annuelle. En janvier, Brazzaville a aussi accordé une fréquence à la radio, effective avant la fin du premier semestre. Deux autres demandes, au Cameroun et au Sénégal, ont été déposées.

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Attente des auditeurs

L’attente des auditeurs est perceptible. « Sur les réseaux sociaux, nous avons autant de gens qui nous suivent à Abidjan et à Kinshasa qu’à Paris », souligne Dominique Guihot, la page Facebook d’Africa no 1 ayant plus de 510 000 abonnés. La radio africaine, 100 % privée, doit par ailleurs trouver ses sources de financement sur le marché. « En Afrique, le marché publicitaire est très limité, commente Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint. En France, il représente 10 milliards d’euros, contre 100 millions d’euros au Sénégal », ajoute-t-il.

Produire de l’information pour l’Afrique, sur toute l’Afrique, à partir de l’Afrique. »

Pour Dominique Guihot, l’émergence de radios de bonne qualité, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, change la donne : « Pour faire venir les annonceurs, nous avons besoin en priorité d’un paysage radiophonique solide, explique le responsable qui dirige également Partenaire Production, une agence de conseil en publicité. Lorsque les agences savent qu’un spot publicitaire peut être diffusé sur plusieurs radios grand public, elles développent une vraie stratégie radio », ajoute-t-il.

Les 40 millions d’auditeurs de RFI, la première radio francophone dans le monde, ne font pas rougir les dirigeants de la chaîne. « Le succès des radios de souveraineté étrangère est un particularisme du continent », balaie d’un revers de main Dominique Guihot. Pour s’imposer, Africa Radio entend reprendre le chemin tracé par Africa n°1 avec une promesse : « Produire de l’information pour l’Afrique, sur toute l’Afrique, à partir de l’Afrique. »

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