Il a inventé l’alpha-bété

Un livre et des expositions célèbrent l’œuvre de Frédéric Bruly Bouabré. Dessinateur, poète, naturaliste, il a créé une écriture africaine pour sauver sa culture de l’oubli.

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Publié le 26 mars 2010 Lecture : 2 minutes.

Artiste ? Prophète ? Écrivain ? Poète ? Encyclopédiste ? Qui est l’Ivoirien Frédéric Bruly Bouabré ? Répondre à cette question, ce serait réduire l’homme à une catégorie qui ne lui correspond pas tout à fait. Le Français Philippe Bordas l’a bien compris qui propose à la fois un livre(1) et une exposition(2) sur l’homme qu’il a rencontré en 1993, à Abidjan. « De quel sortilège procéderait un monde dont les jurys d’académie n’auraient sélectionné de Victor Hugo que les seuls lavis, gothiques et d’ocre sombre, n’auraient plébiscité de Michaux que les seuls dessins, l’onirique sédiment ? » demande-t-il.

Aujourd’hui âgé de 87 ans, Frédéric Bruly Bouabré est considéré en Occident comme un artiste. Le musée Collection de l’art brut à Lausanne (Suisse) lui consacre également une exposition jusqu’au 22 août. Ses dessins, agrémentés de maximes, ont séduit les collectionneurs d’art, à l’instar de l’Italien Jean Pigozzi. Réalisés au stylo à bille et aux crayons de couleur, notamment sur des cartons d’emballage de fausses mèches de cheveux, ils ont été présentés au public lors de grandes expositions comme « Les Magiciens de la terre », en 1989, ou « Africa Remix », en 2005. Dans son livre, Philippe Bordas insiste sur les autres facettes de l’homme.

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Mission divine

Petit fonctionnaire de l’administration coloniale, amoureux de la langue française, Bruly Bouabré reçoit une révélation le 11 mars 1948, au Sénégal. Dieu lui confie une mission : inventer une écriture purement africaine et sauver de l’oubli la culture bétée. Le fils de Zéprégühé s’attelle à la tâche : « Trouver sur la scène de la vie humaine une “écriture” spécifiquement “africaine”. Tel est mon désir », écrit-il (en français). Il crée un syllabaire de 448 unités manuscrites et dessinées. Puis conçoit sa Méthodologie de la nouvelle écriture africaine « bété ». Utilisant son alphabet pour retranscrire sa culture, il s’attache aussi à offrir aux siens ce que le monde a produit de meilleur. « Il a rédigé une adaptation de la Divine Comédie de Dante ! s’exclame Philippe Bordas. Il récupère le savoir mondial pour le rapporter aux deux cents personnes de son ethnie. » Ses manuscrits s’entassent dans des sacs Tati « à l’abri des termites et des pluies »…

Les photos et, surtout, le texte de Philippe Bordas restituent toute la complexité de Bruly Bouabré tout à la fois poète, prophète, naturaliste, encyclopédiste, dessinateur, héraut de l’Afrique et héros africain. Parfois un brin prétentieuse, la prose chaloupée du chant hagiographique de Bordas en l’honneur de l’Ivoirien n’est pas toujours facile d’approche. Mais la démarche séduit, et les trouvailles littéraires finissent par convaincre qu’appréhender Bouabré autrement eût été sacrilège.

 

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1. L’Invention de l’écriture, de Philippe Bordas, Fayard, 144 pages, 13,50 euros.

2. « L’Afrique héroïque », jusqu’au 4 avril 2010 à la Maison européenne de la photographie (Paris).

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