En limogeant Kamel Fekih et Malek Ezzahi, Kaïs Saïed se sépare de ses derniers fidèles de 2019

Exit les ministres tunisiens de l’Intérieur et des Affaires sociales, qui accompagnaient pourtant le président Saïed depuis son élection. À leur place, de nouveaux profils plus technos.

Alors que les arrestations musclées d’opposants se multiplient en Tunisie, Kaïs Saïed procède encore à un mini-remaniement. Ici à Tunis, le 24 mai 2024. © Sofiene HAMDAOUI / AFP

Alors que les arrestations musclées d’opposants se multiplient en Tunisie, Kaïs Saïed procède encore à un mini-remaniement. Ici à Tunis, le 24 mai 2024. © Sofiene HAMDAOUI / AFP

Publié le 27 mai 2024 Lecture : 3 minutes.

La mise à l’écart, tard dans la soirée du 25 mai, du ministre de l’Intérieur, Kamel Fekih, et de celui des Affaires sociales, Malek Ezzahi, n’a pas surpris les observateurs de la vie politique tunisienne. Ils avaient noté depuis quelques semaines un froid entre le président Kaïs Saïed et le premier, tandis que le second limitait depuis plusieurs mois ses apparitions médiatiques.

Sur la forme, le limogeage a été minuté : le Palais a d’abord fait venir le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, pour l’informer de la décision de Kaïs Saïed avant de convoquer les deux ministres concernés. Au même moment, leurs successeurs, déjà désignés, faisaient antichambre, attendant leur prestation de serment qui s’est déroulée dans la foulée. Ni vacance de poste ni intérim, donc, ce qui a permis jusqu’ici une rotation de ministres sans devoir opérer un remaniement total du gouvernement.

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Une page s’est tournée

En limogeant les titulaires de l’Intérieur et des Affaires sociales, le président se sépare de ses derniers indéfectibles compagnons de route, ceux avec lesquels il a déployé son pouvoir et le nouveau système institutionnel qu’il a mis en place depuis 2019. Fekih et Ezzahi étaient les derniers survivants de la toute première équipe installée après l’investiture présidentielle. Leur départ, attendu mais néanmoins soudain, signifie qu’une page est tournée.

Celui qui va probablement briguer un renouvellement de mandat en octobre met ainsi à distance l’influence du mouvement politique de la gauche marxiste-léniniste El Watad, ou Mouvement des patriotes démocrates, qui a forgé la vision politique de Fekih et Ezzahi ainsi que celle de l’intime du président Ridha Chiheb el-Mekki – dit Ridha Lénine –, dont la pensée a largement contribué à ce courant.

Ce mini-remaniement intervient aussi dans un contexte particulier en Tunisie : les arrestations musclées de la chroniqueuse et avocate Sonia Dahmani et de l’avocat Mehdi Zaghbouba puis la condamnation à un an de prison des journalistes Borhane Bsaïes et Mourad Zeghidi ont provoqué protestations et manifestations à répétition, sur fond de condamnations émises par nombre de capitales étrangères.

De leur côté, les soutiens du président ont eux aussi voulu mobiliser la rue, sans grand succès : le rassemblement, le 19 mai, devait être organisé par les gouverneurs et les conseils locaux – qui dépendent du ministère de l’Intérieur – mais il n’a réuni que 850 personnes malgré les moyens mis à disposition. Ces éléments interrogent quant à la responsabilité de Kamel Fekih, qui était à la manœuvre. A-t-il laissé faire ? A-t-il été dépassé par les événements ? A-t-il réellement informé le président de ce qui se passait et de la manière dont il comptait opérer ?

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Deux ministres devenus trop ambitieux ?

Nul ne peut répondre précisément à ces questions mais, souligne le député Dhafer Seghiri, « selon la Constitution, la politique globale est décidée uniquement par le président, qui attend des responsables une exécution sans accrocs. La gestion de la crise migratoire est un échec mais sans aller jusqu’à une question politique. Le citoyen est plus sensible à ce qui concerne son quotidien et touché par la carence des services publics municipaux qui n’arrivent pas à juguler l’accumulation des ordures et l’invasion des chiens errants. Des prestations qui relèvent des municipalités sous tutelle du ministère de l’Intérieur. »

Parmi les soutiens du président, certains assurent que la mise à l’écart des deux ministres n’était qu’une question de temps, car la pratique du pouvoir aurait, disent-ils, aiguisé l’appétit de Kamel Fekih et de Malek Ezzahi. Kaïs Saïd a-t-il voulu mettre un terme à leurs ambitions ? Une chose est sûre : par ce remaniement, il a fait de nouveaux choix et privilégie le volet technique et procédural.

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Il profite de l’occasion pour créer un secrétariat d’État à la Sûreté nationale dont il confie les manettes à Sofiene Ben Sadok, qui occupait jusqu’alors le poste de procureur général à la Cour de cassation de Tunis. Il place ensuite à la tête de l’Intérieur l’un de ses anciens étudiants, le juriste Khaled Nouri, qui a effectué l’essentiel de sa carrière au contentieux de l’État. Une nouveauté : jusqu’à présent, il n’était pas d’usage que les organes sécuritaires soient dirigés par des juristes.

Aux Affaires Sociales, c’est un expert de la migration, Kamel Maddouri, qui est nommé. Le nouveau ministre a dirigé la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), après avoir été directeur général de la sécurité sociale et patron de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS) en 2020.

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