Liberia : il s’appelait Amos Claudius Sawyer…

Le président du premier gouvernent intérimaire du pays, décédé le 16 février à Baltimore (États-Unis), sera inhumé ce 2 avril à Monrovia. L’ancien Premier ministre guinéen, Kabiné Komara, lui rend hommage.

L’ancien président libérien de transition, Amos Sawyer, lors d’une conférence de presse le 1er avril 2018, à Freetown (Sierre Leone). © ISSOUF SANOGO / AFP.

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Publié le 1 avril 2022 Lecture : 6 minutes.

Le Liberia et l’Afrique porteront en terre ce 2 avril 2022 à Monrovia un des fils les plus remarquables de notre continent. Je veux nommer mon frère et ami Dr Amos Sawyer, ancien président du gouvernement intérimaire du Liberia durant la période 1990-1993. Il eut la lourde responsabilité de diriger cet exécutif intérimaire d’union nationale après l’assassinat de Samuel Doe dans des conditions atroces, qu’il ne sied plus de rappeler.

Sa vision, son charisme et surtout son abnégation ont permis à son pays de faire l’économie de tant d’autres tragédies. Cet homme d’État hors pair, affable, presque effacé, n’est malheureusement pas très connu en Afrique francophone. C’est pourquoi je me fais le devoir de lui dédier cette tribune, afin de vulgariser un tant soit peu le rôle essentiel qu’il a joué pendant toute sa vie pour la promotion de la paix, de la justice et de la bonne gouvernance au Liberia et en Afrique.

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Imperturbable et vertueux

Notre première rencontre remonte à seulement dix ans. C’était à Bissau, lorsque lui et moi avions été choisis par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour superviser l’élection présidentielle de ce pays coutumier des contestations électorales suivies parfois de soubresauts sanglants. Dr Sawyer était le chef de la mission et moi le vice-président. C’était la toute première fois que j’exerçais une telle mission.

Dr Sawyer me prenait en aparté et m’exhortait à ce que nous n’ayons à l’esprit que le seul intérêt du pays

Je fus littéralement conquis par le grand sens politique avec lequel il arrivait à atténuer les ardeurs des envoyés des différentes organisations multilatérales et bilatérales (lusophone, francophone, américaine, européenne et autres) qui se comportaient en infaillibles connaisseurs des réalités bissau-guinéennes, alors que beaucoup n’avaient que leur propre agenda. Il me prenait souvent en aparté pour me faire découvrir les tentatives de manipulations, et m’exhortait à ce que nous n’ayons à l’esprit que le seul intérêt du pays.

Derrière sa mine bon enfant et son sourire qui arrondissait son visage, se cachait la carrure d’un homme imperturbable et vertueux à tous égards

Derrière sa mine bon enfant et son sourire qui arrondissait son visage, se cachait la carrure d’un homme imperturbable et vertueux à tous égards. Ainsi, à son initiative, nous eûmes une réunion cruciale avec José Ramos-Horta, ancien président du Timor oriental et prix Nobel de la paix, alors chef du Bureau intégré des Nations unies en Guinée-Bissau. L’objectif était de ramener d’abord les intervenants extérieurs à faire preuve de retenue, puis les ténors des partis politiques à la décence dans leurs propos et gestes. Résultat : le premier tour se termina le 13 avril 2014, et nous fûmes invités à revenir pour superviser le deuxième tour de l’élection, qui déboucha le 28 mai 2014, sur l’élection du président José Mario Vas.

Sortie de crise

Depuis, une relation assidue s’est établie entre nous. Nous avons eu par la suite la très délicate mission de superviser l’élection présidentielle du Togo en avril 2015. Moi, président de la mission de l’Union africaine (UA) et lui, de celle de la Cedeao. Bien qu’il soit de cinq ans mon aîné, il me laissait la délicate mission de coordonner les initiatives au nom de toutes les missions, au motif que nous étions en pays francophone. Il y avait alors au Togo une profonde méfiance entre le pouvoir et l’opposition, convaincue que le gouvernement avait mis en place des stratagèmes pour « voler » leur victoire. Jusqu’à la veille des élections, les partis d’opposition exigeaient des changements profonds dans le système de centralisation des votes afin que cela soit remonté au niveau de la Commission nationale indépendante.

Vers 3 h du matin, aucune solution ne se dessinait et nous nous acheminons tout droit vers un échec aux conséquences incalculables

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Avec beaucoup d’entregent, nous avons réuni l’ensemble des protagonistes autour d’une même table pour trouver une sortie de crise et se rendre aux élections le lendemain matin à 7 h. La réunion commença à 22 h sous ma présidence, avec à ma droite le président Amos Sawyer. Vers 3 h du matin, sans solution en vue, nous nous acheminons vers un échec aux conséquences incalculables pour le Togo. Sawyer me conseilla alors une salvatrice pause, suivie de coups de fils et de divers conciliabules. Finalement, à 4 h 30 du matin, nous sommes parvenus à un accord que nous nous efforçâmes de mettre immédiatement sur papier et de la faire signer par les parties en présence. C’est ainsi que le Togo a pu pacifiquement voter le 15 avril 2015.

Dans l’arène de la bonne gouvernance

Amos Sawyer était aussi connu par son courage et sa détermination. Après de brillantes études en sciences politiques à la Northwestern University de Chicago, sanctionnées par un doctorat, il n’hésita pas retourner dans son pays en 1971 pour enseigner les sciences politiques à l’université de Monrovia, mais aussi pour animer des cercles pour la vraie citoyenneté.

Sawyer n’hésitait pas à descendre dans l’arène des idées par de publications riches sur la paix et la bonne gouvernance en Afrique

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Premier Libérien à oser se présenter comme candidat à la mairie de Monrovia, en 1979, contre un candidat issu de la puissante aristocratie des Afro-américains, il fonda en 1983 le Parti du peuple libérien (LPP). Il n’hésitait pas à descendre dans l’arène des idées par de publications riches sur la paix et la bonne gouvernance dans son pays et en Afrique.

L’un de ses livres les plus célèbres, intitulé The Emergence of Autocracy in Liberia : Tragedy and Challenge (1992), alertait ses compatriotes sur la gestion patrimoniale du pouvoir comme source de comportements dictatoriaux. C’est ce courage et ce charisme qui lui valurent d’être choisi comme président du premier gouvernement intérimaire, lors de l’historique réunion organisée à Banjul, en novembre 1990, par la Cedeao pour stopper la descente aux enfers de son pays.

Sawyer estima que son meilleur rôle était d’œuvrer pour la promotion de la bonne gouvernance au Liberia, loin d’être un champion en la matière

Par la suite, lorsque Ellen Johnson Sirleaf fût élue présidente du Liberia, Amos Claudius Sawyer dirigea la « Good Governance Commission », dans ce pays loin d’être un champion en la matière. Dans ce rôle, il ne connut aucun repos : il enchaînait conférences, ateliers, rencontres avec gouvernants et gouvernés, le tout supporté par de très riches publications qu’il s’imposait de superviser lui-même.

Un pionnier du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs

Cette volonté farouche valut à Dr Sawyer de jouer un rôle capital dans la mise sur pied du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep) lancé en 2013 par le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Ce mécanisme avait pour but de permettre aux gouvernements africains de se soumettre à un examen exhaustif du système de gouvernance de leur pays, afin d’obtenir des recommandations pour remédier aux lacunes constatées.

Dr Sawyer fut l’un des membres du panel des éminentes personnalités du Maep, tantôt membre du comité d’évaluation, tantôt expert chargé de la préparation du rapport sur le pays à évaluer. Dans ce rôle, il faisait preuve, sans langue de bois, d’une telle capacité d’anticipation que le pays qui réfutait ses analyses et recommandations se retrouvait en crise quelque temps après.

Le gouvernement sud-africain de l’époque nia l’évidence et fut confronté en 2008 à l’une des pires chasses aux étrangers que connut le pays

Ce fût le cas du Kenya en 2006, où de l’aveu même des autorités kényanes, ne pas suivre les cinq recommandations du Maep a conduit aux pires violences postélectorales du pays en 2007- 2008. Ce fût aussi le cas de l’Afrique du Sud, lorsque Amos Sawyer insista sur la nécessité de prendre des mesures contre les violences xénophobes. Le gouvernement de l’époque nia l’évidence et fut confronté, en 2008, à l’une des pires chasses aux étrangers que connut le pays. C’est seulement après que l’Afrique du Sud s’engagea fortement à lutter contre ce fléau.

Des analyses justes

Je me souviens de Sawyer lorsqu’il me fit visiter en 2017 sa riche bibliothèque à Monrovia. À l’occasion, il me confia cette prophétique réflexion : « Je sens de plus en plus de dérive dans le système de gouvernance dans certains des pays francophones d’Afrique où on confond élections et rigueur démocratique. Je crains que le réveil ne soit brutal à certains endroits. »

Hélas ! La justesse de son analyse se vérifie aujourd’hui. J’aurais voulu dresser avec lui un autre bilan de la situation pour mettre nos populations à l’abri de nouvelles déconvenues de la part de dirigeants qui se sont écartés de la bonne gouvernance. Je n’aurais plus cette opportunité.

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