[Série] Johanne Affricot : faire entendre la voix des artistes Afro-Italiens (3/5)

« Afro-Italiens : génération consciente » (3/5). Tour à tour porte-voix d’artistes et artiste elle-même, Johanne Affricot multiplie les projets. Avec un objectif : changer le regard que la société italienne porte sur sa jeunesse afrodescendante.

Johanne Affricot. © Marco Brunelli

Johanne Affricot. © Marco Brunelli

Publié le 27 février 2021 Lecture : 4 minutes.

 © Photomontage : Jeune Afrique
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[Série] Afro-Italiens : génération consciente

Longtemps marginalisés, les Italiens afrodescendants ont décidé de faire entendre leur voix. Artistes, écrivains, chanteurs… Portraits des fers de lance d’une génération bien décidée à changer les choses.

Sommaire

En Italie, dans l’univers des artistes afrodescendants, Johanne Affricot est incontournable. Il y a ceux qui espèrent qu’elle recueillera leur interview et la publiera sur son blog, ceux qui rêvent de collaborer avec elle et d’y gagner visibilité et reconnaissance… À la tête de Griot, plateforme fondée en 2015, elle s’applique à célébrer la diversité des parcours et à faire entendre la voix des Afro-Italiens, mais aussi à valoriser les productions artistiques de l’Afrique et de sa diaspora. Son but ? Changer le regard que porte la société italienne sur les noirs.

« Jusqu’à récemment, nos voix n’étaient pas entendues, affirme-t-elle. Nos corps eux-mêmes n’étaient montrés que de façon lacunaire et stéréotypée. »  Écoeurée par les discours haineux et nationalistes, elle explique ne plus supporter cette rhétorique passéiste qui « assimile l’immigration à une menace pour l’authenticité autochtone », sans craindre « d’écraser les plus vulnérables. »

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L’idée de Griot lui vient en 2014, à une époque où, curatrice à Rome, elle coordonne le projet artistique « Triumphs and Laments » de l’artiste sud-africain William Kentridge. Elle ne tarde pas à sauter le pas et Griot voit le jour. Conçu comme un blog, il évolue rapidement jusqu’à devenir une plateforme média – mêlant l’italien, l’anglais et parfois le français – en même temps qu’un collectif artistique.

Globe-trotteuse

Johanne Affricot est aujourd’hui l’une des curatrices noires les plus en vue d’Italie. Née en Italie dans les années 1980 d’une mère haïtienne et d’un père ghanéen, pendant toute son enfance elle voyage beaucoup. Sa mère volontiers l’emmène en Haïti et aux États-Unis, où réside une partie de sa famille.

Enfant, j’entendais tout le temps parler créole, lingala, kikongo, wolof ou français

Au domicile parental, à Rome, ce sont encore et toujours les voyages, les rencontres, le mélanges de cultures. Chez les Affricot, les repas dominicaux, autour desquels se pressent les amis et la famille, sont animés et cosmopolites. « J’ai été très chanceuse. Enfant, j’entendais tout le temps parler créole, lingala, kikongo, wolof ou français », se souvient-elle. Aujourd’hui encore, elle se dit fière de ses origines. « Haïti et le Ghana sont des pays qui ont toujours lutté contre l’oppresseur, s’enthousiasme-t-elle. Pensez à Haïti et à sa révolution ! »

Elle a 18 ans lorsqu’elle est obtient la citoyenneté italienne. Le bac en poche et l’envie de « changer le monde » chevillée au corps, elle se lance dans les études – pour elle, ce sera la coopération et le développement international. Elle y apprend à relativiser l’impact bénéfique de l’action des ONG et affûte son regard sur les rapports Nord-Sud.

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Fière de ses origines

C’est aussi à cette époque qu’elle se découvre une appétence particulière pour tout ce qui a trait – de près ou de loin – à la création artistique. « J’ai travaillé comme cheffe de projet pour plusieurs agences de communication mais aussi pour d’importantes institutions italiennes, explique-t-elle. Et de plus en plus, j’ai ressenti un manque. »

À plusieurs reprises, son parcours professionnel la mène sur le continent. À Bamako, d’abord, où elle fait une partie du stage qu’elle a décroché au ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. À Dakar, Addis-Abeba et Johannesburg ensuite, où elle se rend en tant que directrice artistique de Mirror’s, le projet de danse contemporaine et d’art vidéo de Griot, réalisé dans le cadre du programme « Italia, Culture, Africa ».

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Panafropéenne

Éclectique, elle multiplie les projets, mixant volontiers les genres et les formats. Sur Griot, les productions des membres du collectif côtoient des chroniques littéraires et sociétales, des vidéoclips musicaux et des photos d’art… Johanne Affricot et ses deux partenaires, Céline Angbeletchy et Eric Otieno, ne craignent pas les mélanges.

Hyperactive, elle multiplie les collaborations, prête sa plume à Vice Italia, Afropunk ou Artribune. « Je ne me donne pas de limites, explique-t-elle. J’ai des objectifs très précis et je fais en sorte d’avancer. » Avec, à chaque fois, le même leitmotiv : mettre en valeur les minorités noires pour que la jeunesse italienne afrodescendante puisse sortir de son isolement et « nourrir son imaginaire ».

Arrêtons de montrer les Afrodescendants d’Europe comme un bloc monolithique !

Elle a également écrit et dirigé la série documentaire « Motherland », consacrée à des artistes afro-italiens. Et dans « The Expats. The Untold stories of Black Italians Abroad » (« Les expats, l’histoire non racontée des Italiens noirs à l’étranger »), elle suit le parcours d’Afro-Italiens expatriés à New York et Londres en cherchant à briser le préjugé qui veut que les blancs soient des « expatriés » et les noirs des « migrants ».

« Arrêtons de montrer les Afrodescendants d’Europe comme un bloc monolithique ! », insiste-t-elle. Elle-même se définit comme « panafricaine », mais on pourrait aussi la qualifier de « panafropéenne », en écho à l’ouvrage Afropea de Léonora Miano. Car, malgré les difficultés, Johanne Affricot ne songe pas une seconde à quitter l’Italie : « J’aime l’Italie, et j’aime ma ville, Rome. Je veux contribuer à son rayonnement par les arts et la culture. Ce n’est pas toujours facile, mais ce pays est le mien. Pour le meilleur et pour le pire. »

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