En Tunisie, voyage au cœur d’une profession sinistrée

Hôtels, tour-opérateurs, compagnies aériennes… Le secteur accuse le coup de la révolution du 14 janvier. Boudé par les vacanciers européens, il s’apprête à gérer la défection probable de 2 millions de visiteurs libyens.

Plage de Hammamet. Entre janvier et début mars, les recettes touristiques ont chuté de 41 % par ra © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Plage de Hammamet. Entre janvier et début mars, les recettes touristiques ont chuté de 41 % par ra © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 12 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Milan, Berlin, Paris, Moscou, Barcelone… En ce mois de mars qui marque le début du printemps en Europe, les professionnels du tourisme tunisien n’ont cessé de sillonner salons et événements spécialisés qui se tiennent sur le Vieux Continent. Leur objectif : remobiliser les voyageurs qui ont déserté le pays après la révolution du 14 janvier.

« Nous avons connu un semblant de reprise pendant dix jours à partir du 20 février, lorsque le couvre-feu a été levé et que les chancelleries ont rouvert la destination Tunisie, mais cela s’est très vite arrêté avec les événements survenus en Libye », explique Mohamed Jerad, directeur adjoint du Radisson Blu, à Djerba. Propriété du belge Rezidor, cet établissement, qui a dégagé un chiffre d’affaires de plus de 30 millions de dinars (plus de 15 millions d’euros) en 2010, avec un taux d’occupation d’environ 79 %, affiche entre janvier et février un recul de 40 % de ses activités. Et aucun signe d’amélioration à l’horizon. Au contraire, « la baisse s’accentue et atteint 55 % en mars », affirme Mohamed Jerad. À Tunis, David Sierra, directeur général du Résidence (un hôtel luxueux du groupe singapourien Cenizaro), qui emploie 450 personnes, annonce une baisse de l’ordre de 79 % de son activité.

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Les chiffres du tourisme tunisien ne sont guère rassurants. Entre janvier et début mars, les recettes en devises ont dégringolé de 41 % par rapport à la même période en 2010, selon les données de l’Office national du tourisme tunisien. Les nuitées ont quant à elles plongé de 60 %, tandis que les entrées de touristes affichent un recul de 42 %. Au total, ce sont quelque 400 000 emplois directs et autant d’indirects qui sont menacés et la croissance de l’économie du pays qui est remise en cause. Avec une contribution au PIB de 8 %, le tourisme a généré, selon les derniers chiffres disponibles, 1,7 milliard d’euros en 2009…

Les professionnels voient avec beaucoup d’anxiété se profiler la haute saison. Lors du Mondial du tourisme, du 17 au 20 mars à Paris, le site internet mille-et-une-tunisie.com a sondé l’opinion des voyageurs en France, un des principaux marchés émetteurs. « La reprise de la saison touristique tunisienne dépendra du retour de la stabilité en Libye », note Amel Djait, fondatrice du site. Notamment dans l’île de Djerba, située à 130 km de la frontière libyenne, et qui constitue un des principaux pôles touristiques du pays, avec une capacité d’accueil de plus de 25 000 lits.

Taux d’occupation ridicules

Le créneau des hébergements alternatifs n’est pas épargné. À Nefta, ville oasis du sud-ouest du pays, Sehl Zargouni évoque un taux ridicule d’occupation de sa maison d’hôte, Dar Zargouni : de 30 % à 40 %. « Je n’ai que quelques réservations pour Pâques, alors que c’est la haute saison pour le Sud tunisien, affirme-t-il. En fait, seuls les habitués s’aventurent ici, parce qu’ils savent que c’est sans risque. »

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Également dans la tourmente, les agences de voyage billettistes. Leur chiffre d’affaires a fondu de moitié depuis le début de l’année, alors que les charges n’ont pas changé. « Avant la révolution, nous travaillions sur les voyages d’affaires et d’agrément. Désormais, nous ne vendons plus que les billets affaires », indiquait fin février Khaled Masmoudi, patron de Romulus Voyages. Inquiète pour l’avenir de ses membres, la Fédération tunisienne des agences de voyages, qui regroupe 300 sociétés réalisant 80 % du chiffre d’affaires de la profession, a demandé au ministère du Tourisme une diminution de la TVA de 18 % à 12 %, de même qu’une augmentation de la commission versée par les compagnies aériennes aux agences, pour la porter de 1 % à 5 %.

Même les poids lourds du secteur résistent à peine au vent de la révolution. La compagnie aérienne privée Nouvelair parle de « catastrophe » pour les mois d’avril et mai. Karim Dahmani, directeur commercial, affirme que « la reprise, attendue entre juin et septembre, dépendra aussi de l’issue des élections prévues en juillet ». Pour Nouvelair, filiale de Tunisia Travel Service, cette reprise est d’autant plus importante que la compagnie a enregistré en 2010 une perte d’environ 100 millions de dinars. « On peut, si la situation se stabilise, tabler sur un mois d’août où nous récupérerons des clients qui ne trouvent pas de place ailleurs », prévoit également Mehdi Allani, vice-président de l’hôtel Le Sultan, à Hammamet.

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Dans ce contexte de grandes incertitudes, les tour-opérateurs européens se sont lancés dans une politique de tarifs bradés, pour inciter les vacanciers à se rendre en Tunisie et dans les autres pays d’Afrique du Nord comme le Maroc ou l’Égypte. Marmara offre par exemple, pour avril, mai et juin, jusqu’à 300 euros de réduction pour un séjour de sept nuits et huit jours en formule tout compris, pour deux personnes, dans cinq clubs sélectionnés en Tunisie. Thomas Cook va jusqu’à proposer un séjour gratuit pour le premier enfant pour des voyages en famille.

Travail de communication

Les hôtels et agences du pays n’apprécient guère. « Nos tarifs sont déjà assez bas, nous n’avons plus beaucoup de marge. Les tour-opérateurs doivent respecter les engagements qu’ils ont pris l’année dernière et cesser de mettre la pression sur les tarifs », martèle Faouzi Maarouf, directeur du Royal Kenz Hôtel, à Sousse. D’après les professionnels du secteur, des rabais drastiques compromettraient la négociation des tarifs pour les années 2012 et 2013 et ne permettraient pas de faire revenir les touristes. « Le vrai problème aujourd’hui, c’est qu’ils craignent pour leur sécurité. C’est un travail de communication qu’il faut mener sur les marchés émetteurs pour rassurer les voyageurs », explique Selim Ben Miled, promoteur hôtelier à Tunis. Le nouveau gouvernement vient d’ailleurs de débloquer 60 millions de dinars à cet effet.

Les Tunisiens misent sur un atout majeur : la sympathie suscitée à travers le monde par la révolution. Selon une enquête menée par un quotidien de Doha sur les destinations des Qataris pendant les prochaines vacances, 66 % des personnes interrogées indiquent qu’elles iront en Tunisie. Mais rien n’est gagné. Les Algériens (environ 1 million de visiteurs par an), clients traditionnels des plages tunisiennes et grands consommateurs de services, n’ont pas encore dévoilé leurs intentions. Et il est presque certain que les 2 millions de visiteurs libyens, adeptes notamment du tourisme médical, ne seront pas aussi nombreux au rendez-vous en 2011.

Aux incertitudes politiques s’ajoute le fait que le ramadan se tiendra une nouvelle fois en août cette année. Deux facteurs qui devraient réduire le nombre de touristes maghrébins en 2011, lesquels représentent désormais un tiers des visiteurs dans le pays. Les réservations de dernière minute demeurent le dernier espoir d’un secteur malmené par les effets de la révolution.

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