Football : avec Gianni Infantino, la Fifa dribble la CAF

Le président de la Fifa multiplie les interventions à propos du football africain, qu’il veut placer au centre de l’échiquier mondial. Mais sur le continent, la stratégie de l’Italo-Suisse intrigue, quand elle n’agace pas franchement.

Le président de la Fifa, Gianni Infantino, le 3 mars 2017. © Frank Augstein/AP/SIPA

Le président de la Fifa, Gianni Infantino, le 3 mars 2017. © Frank Augstein/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 9 février 2020 Lecture : 4 minutes.

Son prédécesseur à la tête de la Fifa, l’inclassable Sepp Blatter, était surnommé « papa » en Afrique. Le Valaisan y jouissait d’une réelle popularité, autant pour son intérêt sincère envers le continent que pour les subventions qu’il accordait aux fédérations, sans forcément se soucier de la bonne utilisation de l’argent.

Moins chaleureux mais probablement plus politique que son aîné, Gianni Infantino (49 ans) n’a pas vraiment la même façon d’appréhender l’Afrique.

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Blatter ne manquait jamais une occasion de s’y rendre. Infantino, même s’il y a déjà effectué plusieurs visites officielles, préfère bâtir sa relation avec les Africains à grands coups de propositions, que certains considèrent souvent comme de véritables injonctions.

Infantino est bien plus directif que Blatter

« Il a un côté un peu paternaliste, comme Blatter, mais Infantino est bien plus directif », résume un membre d’une fédération africaine. Sa dernière intervention, le 1er février à Salé, au Maroc, à l’occasion d’un séminaire portant sur le développement des compétitions et des infrastructures en Afrique, n’est pas passée inaperçue. Elle continue même de faire beaucoup parler sur le continent.

Notamment lorsqu’il a conseillé à la Confédération africaine de football (CAF) de réfléchir à modifier la périodicité de la CAN, en passant de deux à quatre ans, au nom d’une meilleure visibilité à l’échelle mondiale qui favoriserait une augmentation des revenus.

Audit auprès de la CAF

En plus de professionnaliser l’arbitrage, Gianni Infantino a également proposé la création d’une Ligue africaine regroupant les vingt meilleurs clubs du continent, qui viendrait remplacer l’actuelle Ligue des champions, ainsi que la mise en place d’un fonds de près de 1 milliard d’euros destiné à la construction d’un stade de standing international dans chacun des 54 pays affiliés à la CAF.

Chantier de construction de stade de football à Libreville, en prévision de la CAN (Coupe d'Afrique des Nations) qui s'est déroulée au Gabon en 2012. © Tiphaine Saint-Criq pour JA

Chantier de construction de stade de football à Libreville, en prévision de la CAN (Coupe d'Afrique des Nations) qui s'est déroulée au Gabon en 2012. © Tiphaine Saint-Criq pour JA

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« L’arrivée de cette Ligue africaine ne serait pas une bonne nouvelle pour des championnats nationaux qui, à quelques exceptions près, ne se portent déjà pas très bien. Quant aux infrastructures, Infantino ne peut ignorer que plusieurs pays d’Afrique possèdent déjà des stades modernes », glisse le même dirigeant. Son activisme pour « placer le football africain » au centre de ses préoccupations, comme aime à le rappeler le président de la Fifa, surprend.

L’été dernier, déjà, il avait demandé à Fatma Samoura, secrétaire générale de la Fifa, de réaliser un audit auprès de la CAF. La Sénégalaise a achevé sa mission au début de février, sur décision du Comité exécutif de la confédération africaine, mais la collaboration entre les deux instances devrait se poursuivre.

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Étendre le contrôle de la Fifa à la CAF

La multiplication de ces propositions en vue de moderniser, voire de révolutionner le football en Afrique, intrigue autant qu’elle agace. « Il fait des suggestions, c’est bien. Maintenant, voyons ce qui est faisable ou non, et ce qui peut vraiment faire changer les choses », temporise l’ancien international camerounais Patrick Mboma. Certains y voient une volonté délibérée de placer la CAF sous l’emprise de la Fifa.

« Il a déjà réussi à imposer son influence en Amérique du Sud [Conmebol], en Amérique du Nord, en Amérique centrale et dans les Caraïbes [Concacaf], et en Océanie [OFC], mais pas en Europe [UEFA] ni en Asie [AFC]. Gianni Infantino a donc besoin de l’Afrique, car il veut étendre son contrôle au maximum pour mettre au point ses propres projets. Et Ahmad Ahmad, le président de la CAF, l’a très bien compris », intervient un ancien membre de la Fifa.

Le responsable malgache de la confédération africaine n’a pas oublié la préférence ouvertement affichée par le patron de la Fifa en faveur de la candidature tripartite États-Unis - Canada - Mexique, opposée à celle du Maroc, pour l’organisation de la Coupe du monde 2026. Il a également vu, dans la mission de Fatma Samoura, une manœuvre d’Infantino pour contrôler la CAF, faisant dire à de nombreux observateurs que « la mission d’audit était en fait une véritable mise sous tutelle de l’instance africaine par la Fifa ».

La secrétaire générale de la Fifa, Fatma Samoura, lors d'une conférence de presse, le mardi 25 avril 2017. © Dmitri Lovetsky/AP/SIPA

La secrétaire générale de la Fifa, Fatma Samoura, lors d'une conférence de presse, le mardi 25 avril 2017. © Dmitri Lovetsky/AP/SIPA

Véritable intrusion ?

Certaines sources vont même jusqu’à supposer qu’Infantino aurait dépêché la Sénégalaise au Caire pour faire d’elle ses yeux et ses oreilles au siège de la CAF, mais plus encore pour la préparer à une éventuelle candidature en vue de l’élection pour la présidence de la CAF en 2021. D’où la colère de ­l’Italo-Suisse lorsque la CAF a décidé de mettre fin à la mission de sa secrétaire générale.

tout le monde veut se mêler des affaires du football africain

Augustin Senghor, le président de la Fédération sénégalaise de football, également membre du Comité exécutif de la CAF, ne tique pas quand il entend le mot « intrusion » à propos de la Fifa : « J’ai l’impression que tout le monde veut se mêler des affaires du football africain. Nous devons décider nous-mêmes de ce que nous voulons. À mes yeux, nous manquons, sur ce continent, de patriotisme africain… »

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