Mauritanie : Mohamed Ould Ghazouani affirme son leadership

En tendant la main à l’opposition et en favorisant une union sacrée sur une série de sujets, Mohamed Ould Ghazouani affirme un peu plus son leadership et tue dans l’œuf tout espoir de come-back de son mentor et prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz.

Une affiche représentant le chef de l’État, alors candidat, dans une rue de Nouakchott, en juin 2019. © MOHAMED MESSARA/EPA-EFE/MAXPPP

Une affiche représentant le chef de l’État, alors candidat, dans une rue de Nouakchott, en juin 2019. © MOHAMED MESSARA/EPA-EFE/MAXPPP

Publié le 8 octobre 2020 Lecture : 6 minutes.

Sur leurs terres mauritaniennes, Ahmed Ould Daddah, 78 ans, et Mohamed Ould Maouloud, 67 ans, retrouveraient-ils une seconde jeunesse ? Après avoir contribué à écrire trente années d’histoire politique, les deux opposants mauritaniens étaient jugés dépassés par beaucoup.

À la présidentielle de 2019, Mohamed Ould Maouloud, soutenu par Ahmed Ould Daddah, n’avait réussi à séduire que 2,4 % des électeurs. La déception fut très grande, et la défaite, amère. « Le pouvoir a cherché à nous humilier », nous confiait alors Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP).

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Ce dernier était loin d’imaginer que, quelques mois plus tard, le nouveau chef de l’État, Mohamed Ould Ghazouani, lui téléphonerait en personne pour s’enquérir de sa santé, après qu’il eut demandé en mars à être testé au Covid-19 – un examen qui s’est révélé négatif. Ce geste en apparence anecdotique est en réalité hautement symbolique.

Se débarrasser de l’image de « marionnette »

L’homme aux fines lunettes et au visage impassible qui s’est installé le 1er août 2019 au palais présidentiel de Nouakchott, où il se rend chaque matin à 9 heures, a révélé dans le courant de cette année des facettes insoupçonnées de sa personnalité.

Durant la campagne, Mohamed Ould Ghazouani s’était fait une promesse : se débarrasser au plus vite, une fois élu, de l’image de « marionnette » dont l’avait affublé Mohamed Ould Abdelaziz et qui était solidement ancrée dans l’esprit des Mauritaniens.

L’un des premiers gestes du nouvel homme fort de Nouakchott a été de tendre à la main à l’opposition

Les dix années de règne de son prédécesseur et mentor ayant été marquées par une forte crispation de la scène politique, l’un des premiers gestes du nouvel homme fort de Nouakchott a été de tendre à la main à l’opposition.

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« Le président a fait sauter les tabous tant sa volonté de contacter tous ses détracteurs, même ceux considérés comme les plus radicaux, était inimaginable venant du pouvoir, analyse Lo Gourmo, premier vice-président de l’UFP. Jusqu’ici, ces rencontres ne pouvaient s’envisager qu’en situation de crise. »

L’opposition traditionnelle n’a jamais pardonné à Mohamed Ould Abdelaziz ce qu’elle considère comme son péché originel : avoir renversé, en 2008, le premier président démocratiquement élu du pays, Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

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Les dialogues successifs entre pro- et antiputsch entamés après l’élection d’Aziz à la tête du pays ont tous tourné court. La majorité des partis ont boycotté les législatives de 2013, puis la présidentielle de 2014. Embourbés dans une véritable guerre ouverte avec l’ex-chef de l’État, ils sont devenus inaudibles, laissant le champ libre aux islamistes « modérés » de Tawassoul, qui accèdent alors au statut de leader de l’opposition au Parlement.

Stratégie de décrispation

Mohamed Ould Ghazouani, lui, a immédiatement opté pour une autre stratégie en recevant personnellement et de son propre chef chacun des opposants. Dès septembre 2019 et au fil des mois suivants, Ahmed Ould Daddah et Mohamed Ould Maouloud donc, mais aussi Biram Dah Abeid (IRA-Sawab), l’ex-Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar ou encore Jemil Ould Mansour, l’un des leaders de Tawassoul, ont pris place dans l’intimité du petit salon de son bureau, situé au troisième étage du palais présidentiel.

Aziz et Ghazouani ont des personnalités diamétralement opposées

L’ancien chef d’état-major des armées les a longuement écoutés, tout en consignant soigneusement leurs revendications dans un petit cahier. « Aziz et Ghazouani ont des personnalités diamétralement opposées, explique un proche collaborateur de ce dernier. L’ancien président déteste les Kahidines [ex-membres du PKM, ancien parti composé d’étudiants maoïstes, cofondé par Mohamed Ould Maouloud], tout autant que les Frères musulmans [dont Tawassoul est réputé proche, bien qu’il s’en défende], ce qui rend tout échange impossible. »

Dans cette même logique de décrispation, Mohamed Ould Ghazouani a franchi un ultime cap en autorisant, en mars 2020, le retour au pays de l’ennemi juré de Mohamed Ould Abdelaziz, le très riche homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, contre qui Nouakchott avait lancé des mandats d’arrêt internationaux pour des faits de blanchiment et d’évasion fiscale. En conflit notoire avec l’ancien président, dont il avait été auparavant un important soutien, le patron de Bouamatou SA (BSA), en exil volontaire pendant dix ans, fait pour le moment mystère de ses ambitions.

Lors de la passation de pouvoir entre Mohamed Ould Abdelaziz (à dr.) et Mohamed Ould Ghazouani, à Nouakchott, le 1er août 2019. © Maarouf ould Daa/EFE/MaxPPP

Lors de la passation de pouvoir entre Mohamed Ould Abdelaziz (à dr.) et Mohamed Ould Ghazouani, à Nouakchott, le 1er août 2019. © Maarouf ould Daa/EFE/MaxPPP

Cette politique d’ouverture s’applique aussi à Moustapha Chafi, qui fut l’éminence grise de l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré. Également recherché pendant plusieurs années par la justice de son pays pour « intelligence avec des groupes terroristes », il devrait séjourner à Nouakchott à la fin de septembre.

« Aziz est l’ennemi numéro un »

Pour éloigner durablement la menace d’un retour d’Aziz, Mohamed Ould Ghazouani a aussi permis aux députés de la majorité comme de l’opposition d’auditer, via une commission parlementaire, toute une série de marchés publics passés durant les deux mandats (2009-2019) de son prédécesseur et soupçonnés d’être frauduleux. Le rapport remis à la fin de juillet a révélé de nombreuses irrégularités.

Dans la foulée, l’ancien président, qui a toujours agi dans la toute-puissance, a été auditionné, puis placé en garde à vue pendant plusieurs jours. Il est désormais sous la menace d’un retrait de son immunité et d’un procès devant la Haute Cour de justice, qui vient d’être réhabilitée par les députés. Une situation à peine croyable il y a encore quelques mois.

Ce changement radical de politique pourrait déboucher sur une concertation nationale sur des questions cruciales comme celle de l’esclavage

Le Covid-19 a aussi donné l’opportunité au chef de l’État de faire travailler ensemble majorité et opposition au sein d’une coordination parlementaire. Ce changement radical de politique pourrait enfin déboucher sur une concertation nationale sur les questions cruciales de l’esclavage, le « passif humanitaire » (les disparitions et les expulsions de Mauritaniens noirs vers le Sénégal et le Mali entre 1989 et 1991), et du fonctionnement démocratique du pays. Missionné par le chef de l’État, le nouveau Premier ministre, Mohamed Ould Bilal, a réuni tous les partis afin d’évoquer cette initiative.

En scellant cette toute nouvelle union sacrée, Mohamed Ould Ghazouani gouverne-t-il désormais sans détracteurs ? « Aziz est l’ennemi numéro un, mais il est évident que Ghazouani gouverne seul, sans opposition, avance un proche de ce dernier. Cela ne relève pas d’une stratégie particulière, il a agi en pacificateur, comme il l’a toujours fait. »

Pacificateur ?

« Aziz ne fait de la politique que pour se défendre, ce n’est pas un stratège, analyse Moussa Ould Hamed, fin connaisseur de la vie politique de son pays. Certes, il a bien tenté de relancer un petit parti [l’autorisation ne lui a pas été accordée], qui s’est d’ailleurs toujours vendu au plus offrant, mais il n’a jamais été un véritable politicien. Il ne faut pas oublier que Mohamed Ould Ghazouani est aussi considéré au sein de sa tribu comme un chef religieux, il est dans sa nature de tenter de pacifier les relations entre tous. »

Seule la branche de Tawassoul dirigée par Mohamed Mahmoud Ould Sidi, qui réclame le rétablissement des relations diplomatiques avec le Qatar, demeure sur une ligne dure vis-à-vis du pouvoir. Le reste de l’opposition est éclaté, les alliances s’étant dénouées après qu’il eut été impossible de désigner un candidat unique à la présidentielle de 2019. Ses leaders se défendent toutefois d’être rentrés dans le rang.

« Il faut être bien naïf pour imaginer que, parce qu’on nous reçoit et qu’on nous traite avec respect, nous pourrions renier des décennies de combat politique, se défend Lo Gourmo. L’opposition a toujours été dans la confrontation absolue, sauf lorsque Ely Ould Mohamed Vall et Sidi Ould Cheikh Abdallahi étaient au pouvoir [de 2005 à 2007 et d’avril 2007 à août 2008]. Aujourd’hui, nous avons établi des ponts avec la majorité et nous prenons le temps de revoir notre stratégie et de définir, tous ensemble, quelle opposition nous souhaitons être. » Le temps est donc venu de se réinventer.

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