Palestine, la mémoire retrouvée

Un superbe ouvrage où Elias Sanbar raconte par l’image l’histoire de son peuple de 1839 à nos jours.

Publié le 3 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Quels ont été les premiers travaux photographiques en Palestine au xixe siècle ? Comment le pays a-t-il été « regardé » et « saisi » ? Reste-t-il des images de la Nakba (« catastrophe ») de 1948, à la création de l’État d’Israël ? Quel a été le poids des photos lors de l’émergence de la résistance palestinienne dans les années 1960 ? De quelle manière a été photographiée la première Intifada ? Puis la seconde ? Autant de questions que s’est posées Elias Sanbar et auxquelles il répond dans cet ouvrage magnifique couvrant la période allant de 1839 à nos jours.
« Ce livre est une réflexion subjective sur l’image des Palestiniens. Consacré aux photographies des Palestiniens – celles réalisées par les autres, celles prises par eux-mêmes aussi -, il n’est pas pour autant une histoire de la photographie en Palestine, ni une histoire de la Palestine par la photographie, même si nombre des photographies choisies se rapportent aux événements passés, contemporains ou plus récents », prévient l’auteur. Ce dernier, né en 1947 à Haïfa, directeur de la Revue d’études palestiniennes et traducteur du poète Mahmoud Darwich en français, fait ici son travail d’historien. Tout en laissant s’exprimer sa sensibilité palestinienne. « Ce travail est le fruit d’une passion pour une histoire, celle de la visibilité retrouvée de mon peuple. Passion doublée d’une autre quête, inlassable, celle de mon propre visage d’enfant, également effacé il y a cinquante-cinq ans lorsque ma mère, me portant dans ses bras, franchit le poste-frontière de Nakoura vers le Liban voisin et l’exil. Ce livre est aussi mon album de famille », explique-t-il.
Dès les premières pages, on est troublé par le parallèle effectué entre le portrait anonyme de Daisy, « Peau-Rouge » des États-Unis, et celui de La Mariée de Bethléem, par Bonfils. Les deux datent de 1880. « Avec leurs arrière-plans, leurs « décors » absolument identiques, leurs personnages interchangeables aussi, ces deux images sont celles de femmes vouées à l’effacement. La réserve qui attend « l’Indienne », la disparition annoncée de la Palestinienne « crèvent » l’image. » Elias Sanbar montre aussi à quel point la Palestine des premiers temps de la photographie (alors chasse gardée des étrangers et des visiteurs) est invariablement vide de Palestiniens. Ruines, fouilles archéologiques, panoramas… Lorsque apparaissent des « autochtones », ils sont figés dans des poses et des mises en scène. Dès la fin du xixe siècle, « les Palestiniens font face à un déni anticipé qui leur refuse la place qui est naturellement la leur ». Chronique d’une catastrophe annoncée.
En 1948, « la Palestine disparaît » et les Palestiniens, pour leur grande majorité, « basculent dans l’absence ». Elias Sanbar explique comment un peuple tout entier peut devenir « hors cadre ». Neuf photos illustrent ce qu’il appelle la « noyade » (les Palestiniens jetés à la mer). En 1948, sur 1 400 000 Palestiniens, près de 800 000 deviennent des réfugiés. Premier tournant : les années 1960, pendant lesquelles les résistants souhaitent devenir visibles et envahir le champ photographique déserté par leurs pères. Ainsi, avant de s’enrôler et d’entrer dans la clandestinité, les fedayin font un détour par le studio du photographe pour se faire tirer… le portrait.
Un deuxième tournant, capital, a lieu en 1982. Les images de la sortie des combattants palestiniens de Beyrouth, au Liban, évoquent autant une défaite qu’une victoire. « Certes, les Palestiniens sortent forcés de la ville mais comme un peuple. Cette issue mitigée et paradoxale du siège de Beyrouth, suivie par les scènes atroces des massacres des camps de Sabra et Chatila, consacre définitivement la présence retrouvée. Plus personne ne peut dire que les Palestiniens n’existent pas. »
Viennent ensuite les périodes plus contemporaines des première et seconde Intifada, de la vie sous l’occupation et du « face-à-face ». Elias Sanbar, dans la somme monumentale de clichés pris depuis le milieu des années 1980, a su faire son choix. Des soldats, mitraillette au poing, eux-mêmes mitraillés par les photographes, des adolescents, pierres à la main, sous le feu des déclencheurs des appareils photo…
Le travail d’Elias Sanbar éclaire avec bonheur les dimensions symbolique, religieuse ou historique de cette Terre sainte, l’un des espaces sans doute les plus photographiés au monde. Une quarantaine de photographes sont cités pour la période allant de 1839 à 1914, aux côtés d’anonymes dont les clichés sont très peu connus du grand public. L’auteur a également pioché dans les fonds institutionnels, les collections privées et dans ses propres archives. Ses albums « de famille ».

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