Ce jour-là : Senghor quitte le club des chefs d’État

Le 31 décembre 1980, Léopold Sedar Senghor annonçait sa démission. Comment ses homologues africains avaient-ils à l’époque réagi au départ volontaire du premier président du Sénégal ? Un éditorial signé Siradiou Diallo.

Léopold Sédar Senghor, dans sa propriété de Verson, près de Caen (Normandie), en août 1981. © Pascal Maitre/Jeune Afrique

Léopold Sédar Senghor, dans sa propriété de Verson, près de Caen (Normandie), en août 1981. © Pascal Maitre/Jeune Afrique

Publié le 31 décembre 2021 Lecture : 2 minutes.

En Afrique, peu de gens croyaient à une démission volontaire du président Senghor. « Vous verrez, il ne cherche qu’à amuser la galerie… » Malgré les fuites plus ou moins calculées qui, entre août et décembre 1980, se développèrent à différents niveaux, l’opinion demeurait étrangement sceptique.

L’incrédulité n’était pas le seul fait des masses ou des intellectuels. Elle se retrouvait au niveau des responsables politiques. Plus exactement, jusqu’au sommet des États. « Vous croyez à ce conte de fées imaginé par un poète ? », nous demandait en septembre un chef d’État. Et, sans attendre notre réponse, il partait d’un grand éclat de rire ! Notre interlocuteur était si convaincu que Senghor faisait une farce que nous ne cherchâmes nullement à le dissuader.

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Vibrant témoignage

Depuis, les rires sarcastiques ont fait place à la surprise d’abord, à l’embarras ensuite, pour finir par une profonde furie du pouvoir. Certes des chefs d’État sont parfois sortis de leur rêve éveillé pour envoyer des messages de sympathie à l’ex-président sénégalais. Au Maroc, il a reçu un vibrant témoignage d’admiration de Hassan II. Le président Moussa Traoré, du Mali, a exprimé sa « profonde admiration pour cette élévation de pensée rare et cette marque de grandeur qui honore l’Afrique ».

Mais, dans l’ensemble, nos chefs d’État ont mal accueilli le scénario de sortie conçu et joué par leur ancien collègue. Certains, parce qu’il ne les a pas tenus informés. Cas du président Houphouët-Boigny, qui a espéré jusqu’au dernier moment que son vieil ami Senghor ne quitterait pas ainsi la magistrature suprême sans qu’ils en aient parlé ensemble. Ne serait-ce, ajoute leader ivoirien, qu’à cause des lourdes responsabilités que nous avons tous les deux assumées sur la scène politique africaine.

Or le leader sénégalais ne s’est ouvert de son projet qu’à deux ou trois de ses homologues africains. C’est le président Valéry Giscard d’Estaing, lui-même informé seulement fin novembre, qui a pris sur lui de répercuter la nouvelle auprès de ses amis africains. Mais, par-delà ces considérations d’ordre protocolaire, c’est surtout la valeur d’exemple de la décision qui dérange les dirigeants du continent. Déjà le multipartisme sénégalais, qui a de fortes chances d’être élargi sous l’impulsion d’Abdou Diouf, en agace plus d’un. Car, affirment ces derniers, le « multipartisme n’est pas d’essence africaine, c’est une copie des systèmes politiques européens » ! Comme si le parti unique, lui, était authentiquement africain…

En vérité, nombre de nos chefs d’État craignent que l’exemple de Senghor ne donne des idées à leurs « sujets” plus ou moins résignés jusque-là à les voir quitter la scène de façon brutale. Ils redoutent l’effet de comparaison ou les risques de contagion. C’est pourquoi certains ont parlé de « trahison » de Senghor. Entendant par là que l’homme d’État n’a pas respecté les lois du club qui, en bien des points, ressemblent à celles du « milieu » : garder non seulement le secret, mais le pouvoir, coûte que coûte. Ne serait-ce que pour avoir brisé le tabou, Senghor mérite des félicitations. Il est vrai qu’en quittant le pouvoir il ne risque pas de tomber dans le chômage moral et intellectuel. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de la plupart de ceux qui se trouvent soudain écartés du devant de la scène en Afrique.

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