LH Aviation : retour sur l’épopée avortée du premier avion 100 % marocain

Fin de parcours pour la très jeune entreprise LH Aviation Maroc, qui voulait être la première à construire un avion 100 % marocain. Placée en redressement judiciaire, sa maison-mère attend sa liquidation.

Un LH 10 Ellipse. © LH Aviation

Un LH 10 Ellipse. © LH Aviation

Publié le 18 juillet 2018 Lecture : 4 minutes.

L’aventure de LH Aviation Maroc commence en 2014, lorsque Mohsine Bennani-Karim et le président de l’entreprise française LH Aviation, Christophe Rémy, décident de s’associer pour fonder une filiale de la société aéronautique dans le royaume. L’homme d’affaires marocain qui a pris, pour 4 millions d’euros, 10 % des parts de la maison-mère, devient actionnaire à 49 % de la nouvelle entité.

L’idée de monter une usine au Maroc est venue très vite, avec l’ambition de couvrir l’Afrique et de l’inonder avec les LH-10 Ellipse. En avril 2014, LH Aviation Maroc fait d’ailleurs sensation au salon « Marrakech Air Show ». Ce rendez-vous des industriels de l’aéronautique civile et militaire de la planète entière sert de vitrine à Mohsine Bennani-Karim (jusque-là actif dans le textile, l’immobilier et le BTP), qui multiplie les annonces. C’est là qu’il annonce officiellement son projet d’usine à Nouaceur, à 20 kilomètres de Casablanca, pour construire – dans un premier temps – 80 avions par an.

Mohsine Bennani-Karim, en présence du modèle LH-10 M. © LH Aviation

Mohsine Bennani-Karim, en présence du modèle LH-10 M. © LH Aviation

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Le modèle mis en avant lors de ce salon était le LH-10 Ellipse, un monomoteur biplace aux matériaux composites présenté comme une révolution dans le milieu de l’aviation et que l’entreprise française avait réussi à développer après une dizaine d’années de recherches. Selon sa fiche technique, le LH-10 Ellipse pouvait voler à plus de 150 nœuds, soit 270 km/h, pendant plus de vingt-quatre heures tout en étant chargé de 300 kilos. L’usine marocaine devait, selon les déclarations de l’époque, créer 300 emplois et représenter un investissement de 10 millions d’euros.

Contrats en vue

« La maison-mère, créée en 2004 en France, commençait alors à étudier la possibilité de délocaliser l’ensemble de son activité pour s’installer au Maroc. Quelques contrats étaient en vue, notamment avec l’armée française, et l’usine de Nouaceur était la mieux placée pour préparer ces commandes potentielles », raconte un banquier qui assure avoir suivi ce dossier avec une certaine méfiance.

>>> À LIRE : Industrie : en attendant Boeing, l’aéronautique marocaine poursuit son ascension

Mais les problèmes arrivent très vite. « Le pacte d’actionnaires n’était pas très clair. Bennani devait investir davantage, eu égard à ses 49 % de parts de l’entreprise, mais le deal était très mal ficelé. Ceci a été l’un des premiers points de désaccord qui ont précipité la chute », se rappelle notre interlocuteur. La maison-mère demande à l’homme d’affaires d’engager 3 millions d’euros pour jouir totalement de sa participation, ce qu’il refuse.

Les associés se crispent également à propos d’une demande interne, en 2015, de la filiale marocaine à sa maison-mère, concernant trois appareils et des pièces détachées pour un montant dépassant les 2 millions d’euros. « L’usine marocaine n’était pas encore opérationnelle à cette date, pourtant les avions et toutes les composantes devaient venir de France », raconte notre banquier.

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Manquements

Selon les proches de Mohsine Bennani-Karim, la maison-mère n’a jamais honoré cette commande, envoyant des pièces détachées mais aucun avion opérationnel. L’homme d’affaires explique qu’il a adressé dans la foulée un rapport de non-conformité à ses associés en France, LH Aviation, et qu’il a décidé de ne pas payer, estimant que le contrat avait été rompu du côté français.

L’homme d’affaires marocain précise qu’il avait relevé plusieurs anomalies et approximations dans ce premier deal et qu’il avait fait appel à un expert judiciaire. C’est Bertrand Vilmer, président de la Compagnie nationale d’expert de justice aéronautique français, expert auprès de la Cour d’appel de Paris, qui va juger la livraison non conforme à la commande.

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Dans son rapport, ce dernier énumère un nombre important de manquements de la part du côté français. Les proches de Mohsine Bennani-Karim expliquent que LH Aviation n’a même pas remis un minimum d’informations pour les moindres tâches. La petite équipe marocaine – moins de dix salariés – n’avait même pas été formée pour connaître les méthodes d’assemblage ou même pour la fabrication des plus petits composants du LH-10 Ellipse.

Feuilleton de dépôts de plaintes

Mais les partenaires français de l’homme d’affaires entreprennent eux aussi des démarches juridiques : le 16 février dernier, le tribunal de commerce de Paris lui demande ainsi de payer 2 millions d’euros qu’il s’était engagé à verser dans un protocole d’accord signé le 21 février 2014.

Le tribunal lui ordonne aussi de libérer le capital de la LH Aviation Maroc, estimant qu’il doit encore payer 3 millions d’euros pour devenir propriétaire des 49 % inscrits sur les statuts de l’entreprise. Bennani-Karim a décidé de faire appel de cette décision.

Parallèlement, le tribunal de commerce de Melun examine d’autres plaintes déposées contre le fabricant d’avions français – dont l’une pour escroquerie et abus de confiance déposée par Mohsine Bennani-Karim le 6 juillet 2015. Le juge a estimé, suite à toutes ces affaires, que LH Aviation n’avait pas assez de commandes pour assurer la continuité de son activité industrielle et que l’avionneur était incapable de rembourser des prêts et d’honorer ses engagements envers ses clients.

L’aventure s’est donc soldée, le 18 avril, par le placement en redressement judiciaire de la société qui n’a, désormais, plus qu’à attendre sa liquidation.

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