Algérie : Mohamed Boudia, le théâtre comme art de combat

Une petite maison d’édition française publie des textes de l’homme de théâtre et militant algérien Mohamed Boudia. Une lecture inspirante qui appelle à lier pratiques culturelles et politiques.

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CRETOIS Jules

Publié le 4 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

« Nous avons opté pour le théâtre de masse ». « Nous allons faire de l’agitation culturelle ». Les titres des entretiens de Mohamed Boudia, parus dans Jeune Afrique en mai 1965 et avril 1971 résument assez bien l’état d’esprit qui animait alors le personnage.

Boudia est une figure majeure de l’histoire contemporaine algérienne, mais sa mémoire s’estompe. Une petite maison d’édition française, Premiers matins de novembre, tout juste lancée, a décidé de réunir des textes de Boudia pour sa première parution.

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Parcours de combattant

Né en 1932, il décède à 41 ans le 28 juin 1973, dans une violente explosion qui éventre sa R16. Depuis des mois, exilé en France suite au coup d’état de Houari Boumedienne, il était devenu sympathisant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et relais en Europe du groupe armé palestinien Septembre noir.

Entre temps, Boudia a été un cadre du Front de libération nationale (FLN), condamné par la justice française pour ses actions militaires. Peu de temps après le renversement de Ahmed Ben Bella par Boumedienne, il rejoint l’opposition clandestine et milite dans les rangs de l’Organisation de la résistance populaire (ORP), puis s’exile, avant d’être condamné à mort par contumace.

Mais Boudia a aussi – surtout ? – été le directeur du Théâtre national algérien (TNA), crée en 1963 et seul théâtre nationale du Maghreb à l’époque, qui regroupait une soixantaine d’acteurs, des metteurs en scène et des techniciens, répartis sur cinq salles, à travers une Algérie dont 95% des habitants environ étaient analphabètes.

Marier le théâtre et la politique

« Plutôt Brecht que Labiche », écrit Boudia. Le premier, allemand, tentait dans des pièces avant-gardistes de résumer en quelques tirades l’idée du communisme, tandis que le second, français, écrivait des vaudevilles domestiques.

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La pratique culturelle de Boudia reste indissociable de sa vision politique et de son militantisme. Dans « Le théâtre est une arme », texte paru en 1962, Boudia se remémore comment, enfant, il applaudissait devant « Gunga Din », film américain de 1939, à la vue des troupes anglaises massacrant « les méchants hindous fanatiques ».

« Colonisé, j’avais fait battre mon cœur de joie à la vue des tueries dirigées contre d’autres colonisés… » écrit-il, avant de conclure : « Puissance des images dans les esprits des foules ! »

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Pourquoi, quand, et comment créer

Alors, Boudia s’échine. Tout au long de sa carrière, notamment dans la revue culturelle « Novembre », qu’il a fondé, il étudie le rapport des spectateurs à la création théâtrale. Il s’agit déjà de comprendre pourquoi, quand et comment créer.

Il se pose la question du contexte lorsqu’il organise des spectacles depuis les prisons françaises. Il pèse les pours et les contres lorsqu’il s’agit de reproduire devant des militants une scène de torture. Il relève les relations entre éducation scolaire et intérêt artistique…

« Un ouvrier de chez Renault à Paris, par exemple, qui n’aura été que deux ans à l’école n’appréciera pas à coup sûr Marivaux ou Racine. On touchera sa sensibilité par la beauté des vers et du rythme, mais sa raison n’en tirera rien. Les difficultés de Britannicus ne sont pas les siennes car on ne lui en avait jamais parlé… »

Mohamed Boudia et ses camarades créent ou adaptent. Ils montent, en arabe dialectal, une pièce chinoise dont le titre même est tout un programme : « Du millet pour la huitième année ». Lorsqu’il revient en France, en exil, il met en scène de pièces qui peuvent être jouées en espagnol ou en portugais, pour les immigrés qui vivent là.

Les affiches qui annoncent les représentations sont collées par les travailleurs maghrébins de la CGT et jouées devant les associations d’ouvriers de Boulogne-Billancourt.

Pour une culture vivante contre une culture d’ornement

« Transformer les esprits »

Toujours, sur les planches, Boudia s’attèle à sa tâche : « la transformation des esprits ». Par le théâtre, il veut briser « le complexe colonial » tout comme il veut en finir avec « l’esprit de suffisance du fonctionnaire petit bourgeois ».

Il cite régulièrement Ben Bella, comme s’il tâchait d’accompagner, depuis les salles sombres, le dirigeant algérien. Transformer les esprits, c’est transformer le pays le monde.

Il martèle : « L’Algérie (…) doit se débarrasser du mythe des cultures occidentales nécessaires à leur vie. » Mohamed Boudia, intellectuel et révolutionnaire, algérien et internationaliste, créatif et militant, francophone et arabophone, pose les jalons de débats majeurs qui continuent de traverser le monde culturel maghrébin.

On retrouve dans le recueil des réflexions sur la question linguistique ou le rapport à la culture européenne. « Avec le triomphe de la révolution algérienne, nous avons aujourd’hui l’avantage de pouvoir (…) choisir dans la culture occidentale, dans la culture française… »

Lecteur visiblement attentif du très moderne Bertolt Brecht, il met sur la table la question sensible du patrimoine et de la culture traditionnelle et, toujours, offre comme principale solution une culture résolument tournée vers l’action : « Pour une culture vivante contre une culture d’ornement ».

Il revendique le patrimoine culturel algérien, mais pour « l’introduire dans le courant d’un universalisme créateur » et « bien connaître la maison que nous habitons ». Jamais pour « refermer les fenêtres sur le monde tel qu’il est aujourd’hui ».

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