Présidentielle centrafricaine : Bozizé au forceps

Le chef de l’État sortant, François Bozizé, est réélu dès le premier tour, selon les résultats définitifs de la Cour constitutionnelle. Le recours en annulation déposé par trois de ses adversaires est rejeté. Mais certains semblent prêts à composer avec lui. Le vainqueur va-t-il leur tendre la main ?

François Bozizé et son épouse, Monique, à Bangui le 21 janvier. © Baudouin Mouanda pour J.A.

François Bozizé et son épouse, Monique, à Bangui le 21 janvier. © Baudouin Mouanda pour J.A.

Publié le 12 février 2011 Lecture : 5 minutes.

Pendant que certaines scènes africaines captivent le monde – la Côte d’Ivoire, la Tunisie, l’Égypte –, d’autres sont sans spectateurs. Figurant au palmarès de la pauvreté, secouée par des rébellions sporadiques depuis 2005, la Centrafrique appartient à la seconde catégorie. La joute électorale qui s’y est déroulée depuis le 23 janvier s’est tenue à huis clos. C’est que le vent de la révolution ne souffle pas sur le pays. François Bozizé, le président sortant, l’a emporté dès le premier tour avec 66,08 % des voix, a annoncé la Commission électorale indépendante (CEI), le 1er février. Son adversaire au second tour de la présidentielle de 2005, Martin Ziguélé, ne recueillait cette fois qu’un maigre 6,46 %. Entre les deux, l’ancien chef de l’État Ange-Félix Patassé, renversé par Bozizé en mars 2003, obtenait 20,1 % des suffrages. Émile Gros-Raymond Nakombo et Jean-Jacques Demafouth s’en tiraient avec respectivement 4,64 % et 2,72 % des voix. Le taux de participation s’élèvait à 54,01 % (soit 986 030 électeurs).

La Cour constitutionnelle a annoncé le 12 février les résultats définitifs en enregistrant des données de bureaux de vote écartées par la CEI, ce qui modifie à peine les scores : Bozizé recueille 64,37 %, Ziguelé 6,80 %, Patassé 21,41 %, Nakombo 4,61 %, Demafouth 2,79 %. L’opposition avait rejeté par avance les résultats et dénoncé de nombreuses « irrégularités ». Elle avait notamment affirmé que 1 262 des 4 618 bureaux de vote du pays n’avaient pas été comptabilisés, soit une occultation de 25 % des votants. Mais les recours en annulation du scrutin déposés par Ziguelé, Patassé et Nakombo ont été rejetés par la Cour constitutionnelle, après que trois membres de la CEI ont été arrêtés.

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L’élection a été largement négligée par les observateurs internationaux. Seule l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) aura dépêché une équipe importante le jour J : trente personnes, qui ont toutefois renoncé à se rendre dans la moitié est du pays, jugée insuffisamment peuplée et trop dangereuse. Pour des raisons de sécurité également, l’Union européenne, qui a financé le scrutin à hauteur de 45 % et déploie souvent des missions pour les élections, s’est contentée de deux experts. « Il y a beaucoup de zones où nous n’aurions pu accéder, explique une source à Bruxelles, et nous n’aurions donc pas pu observer un échantillon suffisamment représentatif de bureaux de vote. » Mais la véritable explication, les diplomates occidentaux, empreints de commisération, finissent par l’avouer : la Centrafrique et ses 4 millions d’habitants n’est pas une priorité pour leurs pays.

Costume orange

Listes électorales incomplètes, affichage tardif, cartes d’électeur qui n’en sont pas : il y avait pourtant matière à observation, le 23 janvier. Aujourd’hui, ces irrégularités – dont certaines ont été relevées par l’OIF – n’inquiètent pas la majorité, qui se félicite de son score. « J’en suis très satisfait, dit Élie Oueifio, secrétaire général du parti au pouvoir, le Kwa na kwa [« Le travail, rien que le travail », NDLR]. Il entre dans la fourchette de nos prévisions. » Le résultat correspond au slogan que le candidat Bozizé, dans son costume orange – sa couleur de campagne –, a scandé lors de chacun de ses meetings : « Premier tour ! » « Je ne fais que me référer aux électeurs, c’est ce que dit le peuple », expliquait-il à J.A. l’avant-veille du vote.

Mais pour les candidats vaincus, ce n’est pas le peuple qui a parlé. « C’est un hold-up ! » s’exclamait déjà Patassé avant la proclamation des résultats définitifs. Rentré au pays en 2009 après six ans d’exil, l’ancien président prétend à la victoire. Il en veut pour preuve le succès de son « carnaval », le 21 janvier. Ce jour-là, plusieurs heures durant, il avait sillonné la capitale à bord d’un Hummer noir, une Bible à la main, pour saluer une foule nombreuse. « Le peuple s’est levé pour me soutenir, explique-t-il à J.A. J’ai gagné les élections. » Et de promettre une « démonstration mathématique ».

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De son côté, Martin Ziguélé, qui avait obtenu 23,5 % au premier tour de la présidentielle de 2005 et avait affronté Bozizé au second tour, estime qu’on lui a « fabriqué un score ridicule pour pouvoir dire “Ziguélé ne vaut rien” ». Il se fonde notamment sur un tableau détaillé qui recense les irrégularités préfecture par préfecture. En 2006, cet ancien assureur a pris la tête du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), le parti fondé en 1979 par Patassé, dont il fut Premier ministre (de 2001 à 2003). Depuis lors, une question se posait : de facto chef de l’opposition, Ziguélé bénéficiait-il de l’absence de Patassé ? « Il est tout à fait plausible que Patassé m’ait pris des voix », reconnaît-il aujourd’hui.

Monochromie politique

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La validation par la Cour constitutionnelle – à peu de choses près – des résultats annoncés le 1er février, induit un paysage politique monochrome. D’autant que les résultats des législatives, qui se sont également déroulées le 23 janvier, promettent eux aussi une vague orange à l’Assemblée nationale.

À 74 ans, Ange-Félix Patassé n’entend pas prendre le leadership de l’opposition. Malgré le recours en annulation qu’il a déposé, il joue le patriarche sage et rassembleur avec ses « enfants », comme il appelle les hommes politiques. Tout indique qu’il accepterait un poste taillé à la mesure de sa stature d’ancien chef d’État.

S’il dénonce aussi la « fraude », Jean-Jacques Demafouth n’a pas déposé de dossier devant la Cour constitutionnelle. Leader politique de la rébellion de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD), il annonce que sa « mission va finir dans un mois » et ne cache pas son envie de participer à l’exercice du pouvoir. « On discutera », répond-il à la question d’une éventuelle main tendue par le chef de l’État.

Émile Gros-Raymond Nakombo se retrouve quant à lui dans une formation divisée. Une partie du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), créé par l’ancien chef de l’État André Kolingba (décédé en février 2010), a en effet rejoint la majorité.

Reste Ziguélé, qui entend continuer son « combat politique ». Mais son score de 6,80 % le marginalise. « L’opposition politique est réduite aux acquêts », analyse-t-il.

Bozizé se trouve face à une alternative : considérer ces appétits de toute nature dans un « idéal consensuel », selon l’expression de l’un de ses collaborateurs, en formant par exemple un gouvernement d’union nationale, ou les ignorer tout bonnement. Mais, avertit la même source, « l’humiliation ne pourrait que renforcer des positions belliqueuses ».

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