Le suffrage universel en Somalie, un grand pas vers la démocratie

Après plusieurs décennies d’éclipse, le vote au suffrage universel refera son apparition à l’échelle nationale dès 2024. Adoptée le 26 mai, la réforme du mode de scrutin inaugure ainsi une nouvelle ère pour le pays et un premier pas vers la démocratie, selon Abshir Aden Ferro, président de l’Alliance pour le Futur et candidat à l’élection présidentielle en 2020.

La Somalie n’avait pas connu d’élections au suffrage universel direct, à l’échelle nationale, depuis l’arrivée au pouvoir de Siad Barre, en 1969. © AFP

Abshir Aden Ferro © DR
  • Abshir Aden Ferro

    Homme politique somalien, président de l’Alliance pour le futur (Xisbiga Isbahaysiga Mustaqbalka, en somali)

Publié le 2 juin 2023 Lecture : 3 minutes.

Désormais, 15 millions de Somaliens pourront enfin choisir librement leurs dirigeants, et décider ensemble de leur destin. Ce nouveau départ offre aussi l’occasion pour les forces vives de notre pays de formuler un nouveau pacte social, une nouvelle espérance que je souhaite à la fois disruptive et ambitieuse pour la Somalie.

À l’évidence, ce 26 mai marquera pour les Somaliens l’un des moments les plus importants de leur vie et de notre histoire. Pour mes camarades et les militants de notre parti politique, il marque l’aboutissement et la réalisation d’un combat politique que nous avons mené l’espoir chevillé au corps. Pour moi, c’est une immense fierté d’avoir atteint l’un des objectifs que j’avais annoncés dans mon livre écrit il y a plus de trois ans, Ma vie pour la Somalie.

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Affiliations tribales

Dans cet ouvrage, je critiquais le suffrage indirect anti-démocratique, qui était en réalité un système de cooptation archaïque et opaque. Il engendrait la captation du pouvoir par une oligarchie guidée non par l’intérêt du peuple et l’avenir de la Somalie, mais par la préservation d’un « business », source de profit. Ce système reposait sur l’achat des consciences, le trafic institutionnalisé et les affiliations tribales.

Les postes les plus importants tels que ceux de président du Parlement, de Premier ministre ou de président de la République étaient répartis entre les principaux clans, au mépris des intérêts du peuple. Mon pays, qui n’a pas connu d’élections au suffrage universel direct à l’échelle nationale depuis 1969 – lorsque Siad Barre s’est emparé du pouvoir –, était à la merci des marchands d’illusions et des boutiquiers de fausses espérances.

Pour tout homme politique ambitieux et honnête, le combat pour l’abolition de ce système inique était vital. Ce combat a été l’un des plus acharnés et des plus difficiles de ma vie politique, et de mon parti, l’Alliance pour le futur (Xisbiga Isbahaysiga Mustaqbalka, en langue somali). Candidat à l’élection présidentielle en 2020, j’ai refusé, à contre-courant, de signer l’accord du 17 septembre 2020 qui perpétuait la tenue d’élections présidentielles et législatives au suffrage indirect.

Le suffrage universel n’est pas qu’une une source de légitimation de l’autorité, c’est le préalable pour que l’État ait les moyens de mettre fin à l’enlisement du pays dans la violence et la pauvreté

Ostracisé, critiqué, moqué et menacé, je défendais l’idée que tous les citoyens somaliens sans distinction de sexe, d’appartenance tribale, de religion ou de statut social, ont le droit de participer au processus démocratique. En réalité, le suffrage universel n’est pas seulement une source de légitimation de l’autorité politique. C’est, selon moi, le préalable pour donner à l’État somalien les moyens et les outils pour mettre fin à l’enlisement de la Somalie dans la violence extrémiste, la pauvreté et le chaos.

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La voie du renouveau

Trois priorités et défis immédiats doivent nous guider afin que le suffrage universel permette à la Somalie de s’inscrire sur la voie du renouveau et retrouve une légitimité internationale. En premier lieu, l’éducation. Pour voter et décider de manière pertinente de meilleurs choix pour l’avenir de notre pays, il faudra un peuple éclairé, à même de résister au pouvoir de l’argent et de discerner l’offre politique.

Deuxièmement, une réforme institutionnelle de fond s’impose. À cet effet, je propose une grande conférence des forces vives de la Somalie pour un dialogue politique ouvert, sincère, inclusif et transparent afin de définir l’architecture institutionnelle de la nouvelle Somalie. Des questions telles que le mode de scrutin, l’organisation de l’État, la forme de la République, les libertés publiques doivent être discutées sérieusement et rigoureusement.

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En troisième lieu, nous devons agir pour la jeunesse somalienne. « L’homme politique pense à la prochaine élection, mais l’homme d’État pense à la prochaine génération », disait un sage. Nous devons agir pour cette jeunesse, longtemps sacrifiée. Les trente dernières années ont été un gâchis pour notre pays au potentiel immense mais ravagé par la guerre, le conflit permanent et l’instabilité.

Nous n’avons offert à plusieurs générations d’autre choix que l’exil ou les armes. Offrons leurs, maintenant, la voie de l’espérance et du renouveau car, unis dans le même idéal, les somaliens sauront éradiquer le terrorisme et la corruption.

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