Franc-maçonnerie : vers une guerre des loges en Côte d’Ivoire ?

En Côte d’Ivoire, la montée en puissance de la loge américaine Prince Hall met en évidence le désir de couper le cordon ombilical avec les obédiences françaises.

Le malaise dans l’univers maçonnique ivoirien dépasse la simple rivalité Gbagbo-Ouattara. © P. Magnien/20 Minutes/Sipa

Le malaise dans l’univers maçonnique ivoirien dépasse la simple rivalité Gbagbo-Ouattara. © P. Magnien/20 Minutes/Sipa

Christophe Boisbouvier

Publié le 18 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

La GLCI a été consacrée le 18 avril 1978 à Yamoussoukro. © Le moine Michel/SIPA
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Enquête : les nouveaux francs-maçons

Sommaire

Il y a encore dix-huit mois, la Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI) ronronnait doucement. Quelque 400 membres actifs et un grand maître, Magloire Clotaire Coffie, réputé indéboulonnable depuis plus de trente ans… Beaucoup disaient : « Clotaire a survécu aux régimes d’Houphouët, Bédié, Gueï et Gbagbo. Il ne peut plus rien lui arriver. » Qui plus est, ses liens avec la toute-puissante Grande Loge nationale française (GLNF) – classée à droite – semblaient rendre la GLCI invincible. Les deux loges pouvaient snober avec superbe toutes les rencontres organisées en Afrique par les autres obédiences, comme les dernières Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram) de Kinshasa. Jusqu’à l’an dernier, tout allait bien…

Premier coup dur, début 2012 : la grande soeur de France, la GLNF de François Stifani, avocat d’affaires niçois proche de Nicolas Sarkozy, se déchire. À Paris, Alain Juillet, un ancien chef des services secrets français – et neveu de Pierre Juillet, l’ex-mentor de Jacques Chirac -, lance avec succès une loge concurrente, la Grande Loge de l’alliance maçonnique française (GLAMF), qui attire très vite un bon tiers des membres de la GLNF. En septembre 2012, catastrophe : la maison mère de toutes les loges maçonniques, la Grande Loge unie d’Angleterre (GLUA), retire sa reconnaissance à la GLNF – la seule obédience française qui pouvait s’en prévaloir. Depuis six mois, Clotaire ne sait plus à quelle obédience se vouer. Un Grand Maître provincial de la GLCI confie : « Comme on est très attaché à la France, on attend que les problèmes se règlent ».

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Dissidence

Second coup dur pour le vieux Magloire Clotaire Coffie : à Abidjan, un dissident impatient de lui prendre le « maillet » de grand maître, l’avocat Louis Metan, part avec une cinquantaine de frères ivoiriens et crée une nouvelle loge. Scandale : il ne se rapproche pas d’une autre obédience française, comme le Grand Orient de France – classé à gauche -, mais de Prince Hall, la loge la plus influente outre-Atlantique chez les Africains-Américains, notamment à la CIA et au Pentagone. En juin, lors d’un voyage à Houston, Me Metan obtient même de la Grande Loge Prince Hall du Texas le droit de créer à Abidjan une petite soeur, la Grande Loge Prince Hall de Côte d’Ivoire. En décembre, Clotaire contre-attaque. Il part à Washington pour faire retirer la patente Prince Hall à la loge de Metan. L’affaire est toujours pendante, mais le fait est là : les frères américains, déjà très puissants au Liberia, ont désormais un cheval de Troie en Côte d’Ivoire, où ils se retrouvent en situation d’arbitres.

 

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Bien sûr, tout cela n’est pas mortel. Installé dans son restaurant sur la route de Bassam, Clotaire continue de recevoir les frères de sa loge, qui l’appellent « papa ». Le ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, le directeur de cabinet à la présidence Marcel Amon Tanoh… De nombreux poids lourds du nouveau régime ivoirien, dont certains ont été initiés par Djibrill Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, appartiennent à la GLCI. Preuve de sa capacité de résistance : la loge ivoirienne vient de recruter le procureur de la République d’Abidjan-Plateau, Simplice Kouadio Koffi.

Mais la dissidence de Louis Metan révèle l’existence d’un vrai malaise dans l’univers maçonnique ivoirien. La GLCI a beau dire que les faux frères de Prince Hall sont manipulés par le camp Gbagbo, ce n’est pas si simple. Comme les loges du Gabon et du Congo-Brazzaville, la GLCI est gangrenée par des affairistes qui cherchent avant tout à se rapprocher du pouvoir en place. « Dans certains pays africains, les intellectuels constatent qu’il est impossible d’envisager une carrière professionnelle ou politique sans être maçon », s’indigne Robert Dulas, un ancien « officier » de la GLNF, qui est aujourd’hui Grand Maître de la Grande Loge des maçons réguliers de France (GLMRF). C’est la fameuse maçonnerie du ventre. « Les maçons sont partout, la maçonnerie nulle part », soupire Joseph Badila, l’un des fondateurs du Grand Orient à Brazzaville.

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« Tes copains de Paris sont venus. Ils m’ont fait passer directement au 33e degré », a confié un jour Robert Gueï à un ami français. C’était au lendemain de son putsch de Noël 1999. En quelques heures, le général Gueï était devenu l’un des hauts gradés de la GLCI, alors que, le matin même, il n’était même pas maçon ! Comme les jésuites au XVIIe siècle, plusieurs loges font de l’entrisme auprès du prince du moment dans l’espoir de vaincre sa méfiance éventuelle et d’accroître leur influence. Mais la stratégie est risquée. « Face à la barrière maçonnique, dit Robert Dulas, j’ai vu chez des intellectuels africains de l’écoeurement, voire de la haine. »

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