Quel « plan Marshall » ?

L’écrivain et philosophe français Régis Debray nous a prévenus il y a déjà plusieurs mois : « Macron a fait preuve d’une vaillance certaine en se lançant dans cette bagarre. Il va vite, il pense vite et, surtout, il est capable de se repenser et de “dépenser”, c’est-à-dire de se décaler par rapport à son milieu. »

Lors du discours d’Emmanuel Macron, à Ouagadougou le 28 novembre 2017. © AP SIPA

Lors du discours d’Emmanuel Macron, à Ouagadougou le 28 novembre 2017. © AP SIPA

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Publié le 7 décembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Le nouveau et jeune président de la France, Emmanuel Macron, nous a confirmé la semaine dernière que Régis Debray avait vu juste.

En immersion en Afrique à partir du 28 novembre, il s’est adressé très longuement à sa jeunesse depuis l’université Ki-Zerbo de Ouagadougou. Il l’a flattée et a été applaudi ; il lui a aussi dit certaines vérités difficiles à entendre et a réussi à les faire passer.

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Bien préparée par son équipe, jeune et diverse, et par lui-même, son intervention d’un ton nouveau a marqué les esprits.

Mais il a eu tort à mon avis de dire : « Il n’y a plus de politique africaine de la France. » Et ceux qui ont applaudi la formule – faite pour être applaudie – ont eu tout aussi tort.

Une nouvelle politique africaine

Car ce qu’il voulait dire par là, c’est que la France de 2017 – la sienne – reconnaît que la politique africaine mise en œuvre jusqu’ici était mauvaise, inadaptée, et que ses résultats ont été désastreux. Il lui faut donc en inventer et en pratiquer une autre, dont M. Macron a tracé les contours et qu’il promet d’exécuter : la France a donc une nouvelle politique africaine.

Échaudés par maints engagements non tenus et nombre de discours non suivis d’effets, les Africains demandent à voir : les fruits suivront-ils la promesse des fleurs ? On le saura dès l’année 2018.

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Cela dit, j’ai noté avec inquiétude, et je pense que beaucoup l’ont noté avec moi, qu’Emmanuel Macron, qui n’a pas 40 ans et qui est président depuis moins de sept mois, semble être déjà grisé par sa trop rapide ascension et par l’immense pouvoir qu’elle lui a donné.

Mauvais signe

Ou bien a-t-il été contaminé par la manière africaine d’exercer le pouvoir ? Dans son adresse aux Africains, il y a trop de « je veux », « j’ai décidé », mes ministres, ma délégation.

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C’est là un mauvais signe. S’il persistait ou s’aggravait, on devra faire son deuil des espoirs placés en Emmanuel Macron.

Forum Afrique-Chine à Marrakech du 27 au 28 novembre, Sommet Afrique-Europe à Abidjan les 29 et 30 novembre, deux événements d’inégale importance, mais qui montrent aux Africains qu’on s’intéresse vraiment à eux et qu’on scrute leur avenir.

Nos voisins européens s’inquiètent de notre croissance démographique trop rapide et craignent de voir un nombre grandissant de migrants africains frapper à leurs portes et forcer leurs frontières.

Nos partenaires chinois s’intéressent aux richesses de notre sous-sol, voire à nos terres agricoles. Mais ils veulent aussi nous aider à nous industrialiser.

Un « plan Marshall » ?

Les uns et les autres, dans leur propre intérêt, veulent notre développement. Ils veulent que nos enfants trouvent du travail en Afrique et cessent de vouloir, en trop grand nombre, émigrer en Europe ; ils veulent ensuite que des industries africaines voient le jour et produisent ce qu’eux ne veulent plus produire ; ils veulent enfin que les 2 milliards d’Africains que nous serons bientôt aient du pouvoir d’achat et deviennent un plus large marché pour leurs produits.

Ils parlent d’un nouveau « plan Marshall » qui financerait notre futur développement, à l’instar de celui conçu par les Américains il y a soixante-dix ans pour aider l’Europe, dévastée par la guerre, à se reconstruire.

Les Américains avaient élaboré et proposé le leur à la fois par solidarité et par intérêt.

Il en va de même aujourd’hui pour les Européens : en aidant l’Afrique à se développer, ils s’aideraient eux-mêmes et se protégeraient. Une bonne action, en somme, qui serait, à terme, une bonne affaire.

Un chemin de mille kilomètres commence par un premier pas

Ce nouveau plan Marshall, beaucoup en parlent depuis des années, le dernier en date étant M. Antonio Tajani, président du Parlement européen. On l’a encore évoqué au sommet d’Abidjan et on semble même avoir fait plus que l’évoquer.

Mais pourquoi ne voit-il pas le jour ? Qui aurait dû en prendre l’initiative et ne l’a pas fait ? Pourquoi ne sait-on même pas si son coût s’élève à 500 milliards d’euros ou à 1 000 milliards ? Si la contribution de la seule Europe suffit ou s’il est nécessaire d’y associer d’autres pays ?

Les « routes de la soie » que la Chine est en train de tracer et d’emprunter en sont-elles une alternative ou un complément ?

« Un chemin de mille kilomètres commence par un premier pas », dit-on.

Pour sortir de cette expectative, où l’on ne fait que parler d’un plan Marshall sans jamais s’enhardir à faire le premier pas pour le réaliser, je soumets aux dirigeants africains et européens l’idée suivante :

Une institution continentale africaine, la BAD, qui regroupe des Africains, des Européens et d’autres pays (1), existe depuis des décennies. Son siège est précisément à Abidjan et son objet est le développement du continent. Son directeur général actuel, le Nigérian Akinwumi Adesina, élu en 2015, a déclaré qu’il s’était donné une priorité : l’électrification de l’Afrique.

L’examen de l’exécution de ce plan

Pourquoi l’Union africaine et l’Union européenne ne chargeraient-elles pas de concert la BAD et la BERD, ou toute institution financière européenne mieux indiquée, de déléguer à une commission paritaire d’experts, qu’elles auront choisis, la mission d’élaborer ce nouveau plan Marshall en quelques mois ? Et de le faire adopter en déterminant les moyens financiers et humains de sa mise en œuvre.

Si cela se faisait, les prochains sommets Afrique-Europe auraient à leur ordre du jour une session consacrée à l’examen de l’exécution de ce plan.

Et si le départ était donné en 2018, l’Afrique entrerait enfin dans la première décennie de son décollage.

1. Participent au capital de la BAD les vingt-sept pays (non africains) suivants : Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Corée, Danemark, Émirats arabes unis, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Inde, Italie, Japon, Koweït, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie.

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