Christophe de Margerie

Entré chez le géant pétrolier français il y a plus de trente ans, le nouveau directeur général a l’avantage de se trouver en terrain connu. Portrait.

Publié le 19 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Petites lunettes rondes cerclées d’acier, crâne dégarni, moustache grisonnante qui rebique : le style bonhomme de Christophe de Margerie, directeur général de Total depuis le 14 février, tranche avec celui de son prédécesseur, le très classique Thierry Desmarets. De par son allure, et peut-être aussi de par son goût assumé pour le whisky, d’aucuns lui trouvent un côté british. C’est d’ailleurs à un quotidien britannique que « Big Moustache », comme on le surnomme chez Total, a choisi de faire part de ses desseins stratégiques pour le géant pétrolier dont il vient de prendre la barre. « Un jour, nous participerons certainement à cette aventure », a-t-il déclaré dans le Financial Times du 5 février à propos du nucléaire.
Il arrive systématiquement en retard, y compris lors d’un dîner avec le ministre de l’Énergie du Qatar, aux pieds duquel il s’agenouille le lendemain, en public, pour se faire pardonner. Il tutoie facilement ses collaborateurs, ne mâche pas ses mots, ne goûte pas les mondanités et se plaît à expliquer qu’il a choisi Total pour des raisons de proximité avec son domicile. « Atypique », « anticonformiste » : ces adjectifs reviennent souvent sous la plume des portraitistes du nouveau patron de la première entreprise européenne – avec une capitalisation de 130,5 milliards d’euros – et quatrième compagnie pétrolière au monde (par sa production). Mais s’il n’est pas passé, comme la plupart des grands patrons français, notamment son prédécesseur, par l’incontournable École polytechnique, Christophe de Margerie n’est pas pour autant un Richard Branson, l’autodidacte fondateur de Virgin. Petit-fils de Pierre Taittinger, qui a donné son nom au célèbre champagne, ancien élève d’une école huppée de Neuilly (banlieue ouest de Paris) et diplômé de l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP, comme l’ex-Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin), l’héritier champenois est un produit de la tradition française : sa famille remplit une page du Who’s Who, l’annuaire de « ceux qui comptent » en France, il s’est marié à l’hôtel Crillon, place de la Concorde, et possède une résidence secondaire en Normandie.
Quand il entre chez Total, en 1974, le jeune diplômé a 23 ans. Trente-trois ans plus tard, le désormais quinquagénaire est toujours là. Il a petit à petit gravi les échelons, au rythme des rapprochements, avec le belge PetroFina, puis avec Elf Aquitaine. Sa légitimité, qui fait l’unanimité, est acquise à l’intérieur même de la maison. Pour commencer, sa formation destine celui qui a préféré le pétrole au champagne a des fonctions financières : département du budget, financement des filiales exploration-production, trésorerie, direction financière. Jusqu’en 1992, sa carrière n’a guère la couleur du pétrole. Mais cette année-là, un virage le plonge dans l’or noir, le « cur de métier » de Total : il devient directeur pour le Moyen-Orient. Et, trois ans plus tard, directeur général de la zone. Un poste stratégique, le groupe tirant (aujourd’hui) 20 % de sa production de la région. Alors, Margerie se fait diplomate, sillonne le Golfe et excelle, dit-on, dans les négociations avec ses partenaires arabes. « Il faut savoir écouter quelqu’un pendant un quart d’heure sans dire un mot. Et avoir aussi une discussion indépendante du business », explique-t-il à l’hebdomadaire Le Point. En 1999, il touche à un autre nerf de la guerre : l’« exploration-production », dont il devient directeur général. L’ambassadeur poursuit ses tournées, mondiales cette fois-ci, et Total augmente le nombre de ses permis. Si différent soit-il de Thierry Desmarets, PDG depuis 1995, il entretient avec lui d’excellentes relations. Il se profile tout naturellement comme son successeur, mais sera « seulement » directeur général. Lors de l’intronisation, le 14 février, Total en profite pour modifier la structure de sa direction, dissociant la fonction de président du conseil d’administration, que continue d’occuper Thierry Desmarets, et celle de directeur général.
Avec le pouvoir viennent les décisions stratégiques. La raréfaction de l’or noir et son corollaire, le nationalisme pétrolier des pays producteurs, obligent les majors à se diversifier. Pourquoi pas dans le nucléaire, a donc déjà laissé entendre le nouveau directeur général. Plus immédiatement, ce dernier devra redorer le blason de son groupe, passablement terni, dans l’opinion publique, par diverses enquêtes en cours (voir encadré) et par le scandale de l’Erika, le navire pétrolier dont le naufrage, en 1999, avait provoqué une marée noire : un directeur de Total et trois sociétés du groupe sont assis sur le banc des accusés au procès qui s’est ouvert à Paris, deux jours avant l’intronisation de Christophe de Margerie.
Les résultats insolents de la compagnie, s’ils ont de quoi réjouir les actionnaires, alimentent également la polémique : en 2006, Total a réalisé un bénéfice net de 12,6 milliards d’euros, en hausse de 5 % par rapport à 2005, pour un chiffre d’affaires consolidé de 153,8 milliards, en progression de 12 %. Les responsabilités du nouveau directeur général, et les risques de la fonction, sont à la hauteur des profits.

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