Lamine Guirassy : « Soit nous continuons de nous défendre, soit c’est la fin des radios privées en Guinée »

Ces dernières semaines, les autorités guinéennes ont multiplié les mesures de rétorsion à l’égard des médias ou des journalistes. Une situation qui préoccupe Lamine Guirassy, le fondateur et directeur général de la radio Espace FM, suspendue une semaine en novembre sur ordre du gouvernement.

La police déployée à Conakry, en octobre 2015. © Youssouf Bah/AP/SIPA

La police déployée à Conakry, en octobre 2015. © Youssouf Bah/AP/SIPA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 7 décembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Des journalistes molestés par des gendarmes, d’autres poursuivis en justice, des radios suspendues ou menacées de fermeture par le président Alpha Condé… Depuis quelques semaines, le malaise est palpable parmi les professionnels des médias guinéens, qui s’alarment pour la liberté de la presse dans leur pays – 101e sur 180 dans le dernier classement mondial établit par Reporters sans frontières (RSF).

La radio Espace FM, une des radios privées les plus écoutées du pays, a été l’une des premières visées. Du 3 au 9 novembre, son antenne a été suspendue pour avoir, selon la Haute autorité de la communication (HAC), diffusé des « informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité de la nation, au moral des forces armées et à l’ordre public ».

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Face à cette pression accrue, Lamine Guirassy, fondateur d’Espace FM et PDG du groupe Hadafo Médias – qui comprend une autre radio à Conakry et trois stations relais à l’intérieur du pays -, se dit aujourd’hui « très inquiet ».

Pourquoi votre radio, Espace FM, a-t-elle été suspendue pendant une semaine début novembre ?

Parce que nous aurions tenu des propos irrévérencieux à l’égard de l’armée dans notre émission « Les Grandes Gueules » du 1er novembre, date qui correspond à la fête des forces armées de Guinée. Nous n’avions fait que reprendre des informations connue de tous, qui avaient même été débattues à l’Assemblée nationale. Mais dès le lendemain nous avons subi une suspension de notre antenne pour sept jours.

N’y avait-il rien à faire pour empêcher cette suspension ?

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La HAC a saisi le ministère de la Communication, qui a immédiatement suspendu notre radio. Nous avons attaqué cette décision devant la Cour constitutionnelle, mais malheureusement nous avons été déboutés.

Un président doit se contrôler lorsqu’il est en colère

Le 25 novembre, Alpha Condé a menacé de fermeture tous les médias qui donneraient la parole à Aboubacar Soumah, le secrétaire général adjoint du Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG), qui mène une grève depuis plusieurs semaines. Que lui répondez-vous ?

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Je pense qu’un président ne doit pas réagir comme il l’a fait, il doit se contrôler lorsqu’il est en colère. Nous sommes dans un État de droit et non dans un royaume. Certains lui ont rapporté des informations erronées au sujet de la presse qui l’ont mis très en colère. Il a donc convoqué les patrons de presse et a affirmé qu’il n’hésiterait pas à fermer une radio si elle donnait la parole à Aboubacar Soumah.

Au fond, comme le disait son ancienne directrice de campagne, le plus grand problème d’Alpha Condé est son téléphone : n’importe qui a accès au président et peut lui dire n’importe quoi.

Le pouvoir ne sait plus où donner de la tête. Il désigne donc des bouc-émissaires

Comment interprétez-vous ce durcissement des autorités vis-à-vis des médias ?

Le pouvoir ne sait plus où donner de la tête. Il désigne donc des bouc-émissaires : les médias, et en particulier les radios et les télévisions indépendantes, qui sont jugées trop dérangeantes et qu’il voudrait fermer depuis un long moment. Soit nous continuons de nous défendre, soit c’est la fin des radios privées en Guinée.

Directeur d’Espace FM depuis 2008, vous avez pourtant exercé sous la junte de Moussa Dadis Camara…

Jamais nous n’avons connu une telle pression, même au temps de Dadis. C’est vous dire à quel point nous vivons une situation inquiétante. La liberté de la presse n’a jamais été autant menacée en Guinée qu’au cours des dernières années. En 2018, nous aurons des élections communales, puis une présidentielle en 2020. Que se trame-t-il à l’approche de ces échéances ? Voilà la question qu’il faut se poser.

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