Entre afro-optimisme et afro-pessimisme, où va réellement le continent ?
« Je sais que l’on parle beaucoup du potentiel de ce continent, mais franchement, je n’y croyais guère… » Entre afro-optimisme béat et afro-pessimisme, où placer le curseur ?
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 19 février 2018 Lecture : 4 minutes.
Paris, mi-février. Un dîner entre amis dans un restaurant à la mode. Autour de la table, des chefs d’entreprise, pour la plupart dans l’immobilier ou la finance, un avocat qui connaît assez bien l’Afrique et un homme politique français, aujourd’hui sénateur. Il est relativement jeune, promis à un bel avenir et… de droite. Après les amabilités d’usage, il me demande ce que je fais dans la vie.
Je lui explique par le menu détail les activités de Jeune Afrique Media Group. Il dit avoir vaguement entendu parler de l’hebdomadaire. Pas plus tard qu’il y a deux semaines, d’ailleurs, quand on lui a envoyé l’éditorial consacré à Robert Bourgi, qu’il connaît pour l’avoir croisé avec François Fillon.
Arrive le tour de l’événementiel et du Africa CEO Forum, organisé cette année les 26 et 27 mars, à Abidjan. Je déroule le laïus de présentation. Incontournable rendez-vous des principaux décideurs, acteurs économiques, industriels et financiers du secteur privé africain, plus d’un millier de participants, etc. Le sénateur manque d’avaler de travers. « Ah bon ? Je ne savais pas que l’Afrique était à ce niveau de développement ! »
Éternelle litanie d’épouvantails
Vous l’aurez compris, pour mon interlocuteur, qui connaît en revanche la Chine ou le Bhoutan sur le bout des doigts, l’Afrique est terra incognita.
Le débat sur la réalité du potentiel africain ne cesse de rebondir
« Je sais que l’on parle beaucoup du potentiel de ce continent, a-t-il cru bon de préciser, mais franchement, je n’y croyais guère. Il faut dire que quand on lit les journaux… » Et d’égrener l’éternelle litanie d’épouvantails généralement servis : immigration, islam radical, vieux despotes, guerres, maladies, économies balbutiantes, ethnicisme, etc.
À sa décharge, de sommets en conférences, de rapports d’institutions internationales en ouvrages d’« experts », le débat sur la réalité du potentiel africain ne cesse de rebondir. Après des décennies de clichés cantonnant le continent à une terre marginalisée en proie aux affres du désespoir vint, vers la fin des années 2000, le temps d’une autre Afrique, elle aussi fantasmatique, « nouvelle frontière du développement ».
Mais la chute des cours des matières premières et la croissance en berne de certains États, conjuguées à des situations politiques préoccupantes, notamment en Afrique centrale, ont douché les ardeurs de nombreux afro-optimistes béats. Pas facile, dans ces conditions, de se faire un avis.
Dynamique réelle
Alors, où va réellement notre continent ? Le taux de croissance moyen a certes faibli, notamment à cause de la baisse des recettes pétrolières des pays producteurs d’hydrocarbures et de minerais.
Il ne s’agit ici ni de claironner en pensant que tout va bien. Mais de simplement constater que la dynamique est réelle
Mais ailleurs, en Éthiopie, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Rwanda, en Tanzanie, en Éthiopie ou au Kenya, pour ne citer qu’eux, le taux de croissance ferait pâlir d’envie la vieille Europe. Ses moteurs demeurent en tout cas intacts : démographie, développement des marchés et des services financiers, émergence de classes moyennes (et supérieures), urbanisation, amélioration du secteur agricole, de l’industrialisation ou de la transformation locale des matières premières.
Il ne s’agit ici ni de claironner en pensant que tout va bien dans le meilleur des mondes, ni de faire l’autruche. Mais de simplement constater que la dynamique est réelle.
Ajoutons à cela l’extraordinaire révolution numérique et tous les talents africains, dont personne ne parle jamais, qui l’exploitent à merveille en faisant preuve d’une créativité débordante, palliant une multitude de freins et d’écueils jadis insurmontables.
La seule question qui vaille
Pour en revenir au potentiel lui-même, il est loin d’être une vue de l’esprit. À la fin du siècle, l’Afrique représentera 40 % de la population de la planète, comme l’Asie (l’Europe, elle, 4 %…). Elle abrite 60 % des terres arables, encore largement sous-exploitées ! Et recèle le tiers des réserves minières et énergétiques. L’eau, ressource majeure s’il en est, y est disponible à profusion.
Les sociétés civiles sont de plus en plus exigeantes. Touchez-en un mot à Yahya Jammeh ou à Robert Mugabe
La seule question qui vaille, c’est de savoir si ce potentiel sera bien exploité ou non. On en revient à la gouvernance et à tout ce qui a trait à la démocratie, donc à notre responsabilité à tous : élections, contrôle des dirigeants et contre-pouvoirs, État de droit, défense de l’intérêt général, préservation de l’environnement… Là aussi, la dynamique est perceptible.
Les sociétés civiles, par exemple, sont de plus en plus exigeantes et acceptent de moins en moins les comportements d’hier. Touchez-en un mot à Yahya Jammeh ou à Robert Mugabe. Oui, l’Afrique peut être chic ! Cela ne dépend que de nous, et non de ce qu’on lui impose. D’ailleurs, notre sénateur compte s’y rendre très prochainement.
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