« Afropolitain », drôle de vocable !

C’est un terme apparu à l’orée des années 2010. Ce néologisme, qualifiant une identifié supposée, pose question, dans la mesure où il assigne l’individu africain comme une exception dans un monde globalisé.

Sur la corniche, à Dakar, en 2014 (image d’illustration).

Sur la corniche, à Dakar, en 2014 (image d’illustration).

KATIA TOURE_perso

Publié le 1 février 2018 Lecture : 3 minutes.

Tiens, l’Africain cosmopolite n’existe pas ! Celui qui habite et traverse le continent, celui qui voyage en dehors de ses frontières et brasse moult cultures, est désigné par un terme qui me laisse perplexe : « afropolitain ». Une contraction des termes « afro » et « cosmopolitain » [anglicisme dérivé de cosmopolitan], qui fait partie de ces appellations permettant d’inscrire l’individu africain comme une exception, voire comme une anomalie dans un monde globalisé. À croire que l’Afrique ne fait pas partie de ce monde-là.

Un raisonnement qui ne passe pas

En soi, je pourrais aisément m’attacher à la définition portée par le philosophe et théoricien du post-colonialisme Achille Mbembe. Mais le raisonnement ne passe pas. Selon lui, l’afropolitanisme est la construction d’une Afrique urbaine qui se constitue comme une entité traversée par de nouvelles formes de connexions. Tant et si bien qu’elle invente « une culture éminemment créole, une forme de cosmopolitisme », mêlant des apports externes et des créations qui lui sont propres.

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Pour en arriver à cette conclusion, l’essayiste s’en tient, justement, aux migrations entre trois mégalopoles africaines en ébullition : Johannesburg, Lagos et Kinshasa. La belle affaire ! Un état de fait des plus évidents et auquel l’Afrique n’aurait pu échapper !

>>> A LIRE – Achille Mbembe : « Le futur afropolitain s’invente ici », en Afrique du Sud

D’ailleurs, lors d’un récent séjour à Bamako, je me suis rendu compte qu’il en allait de même entre la capitale malienne, Dakar ou Abidjan. Et là, je me suis dit : ces Bamakois sont profondément… cosmopolites ! Les qualifier d’afropolitains ne m’a jamais traversé l’esprit et pour cause, l’Afrique urbaine, connectée et mondialisée n’a pas à être pensée au moyen d’un propos distinctif, d’une classification particulière.

« Dialectique de l’euphorie »

Et quand on traverse les frontières du continent, le terme « afropolitain » revêt un aspect fantasmé propre à cette « dialectique de l’euphorie », théorisée par l’essayiste sénégalais Felwine Sarr et qui domine les discours sur l’Afrique et sa diaspora.

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Dans un essai intitulé Qu’est-ce qu’un afropolitain ?, la romancière britannique Taiye Selasi, originaire du Ghana et du Nigeria, argue que les afropolitains, qu’elle définit comme des cosmopolitains aux racines africaines (on aura tout lu !), ne sont pas des citoyens du monde mais des Africains du monde. Des Africains du monde qui, pour mieux l’habiter, devraient visiblement s’inscrire à part… Sacré paradoxe.

L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie est de ceux qui sautent au plafond face à ce type de précepte. Elle clame, et je partage son avis, qu’elle est tout simplement africaine et se dit fatiguée par l’emploi d’un mot qu’elle juge curieux à bien des égards. Et cela parce qu’« il inscrit les Africains en dehors de l’histoire générale de l’humanité dès lors qu’ils voyagent ou se retrouvent dans les capitales du monde ». Merci !

Être afropolitain traduit mon désir d’aller vers l’autre, d’interroger mon identité culturelle au sein d’un monde globalisé

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Et que dire de la dimension marketing de son usage, qui illustre l’essor d’une société fortement consumériste dans bien des capitales africaines… comme ailleurs. Nombre de médias africains ou de la diaspora ont par exemple choisi de s’octroyer cette dénomination comme pour définir une ligne éditoriale tendance, branchée, lifestyle et… multiculturelle.

Si le photographe ivoirien Ananias Léki Dago reconnaît les travers de ce concept, il fait partie de ces artistes qui continuent de s’y attacher dur comme fer. Celui-ci est au cœur de son œuvre : « Être afropolitain traduit mon désir d’aller vers l’autre, d’interroger mon identité culturelle au sein d’un monde globalisé mais surtout d’affirmer l’existence d’une Afrique libre et pleine de promesses. Quand on est africain et que l’on cherche à se déplacer, on se retrouve face à des contraintes géopolitiques et administratives qu’un Européen ne connaîtra jamais. Aussi, se dire afropolitain permet de se libérer de cet état de fait, de s’inscrire et se faire entendre dans le monde. Je le considère comme un acte de bravoure. »

Mais n’est-ce pas là partir à la recherche d’une forme de valorisation de son identité à l’échelle d’un monde auquel on appartient de facto ? Les Africains n’en ont pas besoin. Ils n’ont rien à prouver.

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