Comment sortir Kenya Airways de la crise

Concurrencée par les groupes du Golfe et les transporteurs low cost en Afrique de l’Est, la compagnie Kenya Airways a annoncé une nouvelle fois des pertes.

« Fierté de l’Afrique » selon son slogan, Kenya Airways a perdu de sa superbe © Boeing.com

« Fierté de l’Afrique » selon son slogan, Kenya Airways a perdu de sa superbe © Boeing.com

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 8 août 2016 Lecture : 4 minutes.

« Fierté de l’Afrique » selon son slogan, Kenya Airways a perdu de sa superbe. Après une mauvaise saison 2014-2015 marquée par de nettes pertes 25,7 milliards de shillings kényan (près de 230 millions d’euros), le transporteur a annoncé le 21 juillet, un résultat encore plus mauvais pour 2015-2016, avec 26 milliards de shillings de pertes nettes, et ce malgré une hausse de 5% de ses revenus en un an.

Propriété de l’Etat kényan (29% des parts) mais aussi du groupe Air France-KLM (26%), la compagnie pilotée depuis décembre 2014 par Mbivi Ngunze bat de l’aile.

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Contexte difficile et forte concurrence

Cheick Tidiane Camara, patron du cabinet spécialisé Ectar, voit deux causes principales à ces mauvais résultats : « Premièrement, la situation sociopolitique difficile du Kenya. Attentats, insécurité dans le nord et dans l’est du pays, tensions intérieures qui subsistent depuis les élections de 2007… Cette conjoncture affecte grandement le secteur touristique, pilier économique du pays, et donc, par ricochet, le secteur aérien. Deuxièmement, l’intensification de la concurrence en Afrique de l’Est, avec l’offensive des groupes du Golfe sur cette zone et la forte agressivité commerciale de la grande compagnie publique voisine, Ethiopian Airlines. »

Le développement des transporteurs low cost Fly540 (du groupe britannique Lonrho), basé à Nairobi, et FastJet (lancé par Stelios Haji-Ioannou, le fondateur d’EasyJet), implanté à Dar es-Salaam, représente également une menace pour Kenya Airways.

Kenya Airways a élaboré pas moins de 24 stratégies parallèles afin de dégager 300 millions de dollars d’économies.

Le coût élevé du carburant face à un système monétaire défaillant

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À ces explications contextuelles, les analystes de Genghis Capital, à Nairobi, ajoutent plusieurs points critiques sur les plans opérationnel et financier. Dans une note sur Kenya Airways datant de janvier, ils pointent d’abord la mauvaise gestion des coûts de carburant, du fait de la conclusion de contrats à terme signés quand les cours du baril de pétrole étaient encore hauts.

Courant jusqu’en 2017, ils empêchent la compagnie de bénéficier de la chute des prix des carburants, dont le prix a été divisé par deux depuis la fin de 2014. Une situation aggravée par la dépréciation du shilling kényan, qui a perdu 15 % de sa valeur face au dollar pendant l’année 2015, alors que le carburant, mais aussi la plupart des contrats de maintenance technique, sont libellés dans cette monnaie de référence.

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Autre point noir, selon Genghis Capital : un système de tarification et d’émission de billets peu performant, du fait d’une faible diversification de l’offre commerciale selon les saisons et les types de clientèles, notamment professionnelles.

Des mesures de sauvetage

Selon les spécialistes du secteur, Kenya Airways a pourtant les moyens de se relever. « Sur le plan opérationnel, la compagnie était jusqu’en 2014 plus performante que ses rivales africaines, y compris Ethiopian Airlines », rappelle Cheick Tidiane Camara.

Selon lui, Mbuvi Ngunze et ses troupes peuvent obtenir une renégociation de leurs contrats à terme sur les carburants, à l’image d’Air Mauritius, qui, confronté au même problème, a pu faire entendre raison à ses partenaires financiers.

« Quant à l’amélioration du système de tarification, la compagnie pourrait s’appuyer sur l’expertise reconnue de son actionnaire Air France-KLM, qui dispose d’outils de yield management [optimisation du remplissage des avions et des revenus qu’ils génèrent] parmi les plus sophistiqués du monde », ajoute le patron d’Ectar.

Pour inverser la tendance, la direction de Kenya Airways, appuyée par les cabinets McKinsey et Seabury, a élaboré pas moins de 24 stratégies parallèles afin de dégager 300 millions de dollars d’économies (environ 270 millions d’euros) entre mi-2015 et fin 2016. Parmi celles-ci, un plan de réduction du personnel de près de 600 salariés – soit 15 % de la masse salariale.

Intensifier son ouverture au reste de l’Afrique

Par ailleurs, de nouvelles têtes, disposant d’une plus grande expérience à l’international, devraient arriver dans les prochaines semaines aux directions marketing et financière du groupe – deux départements fortement critiqués par une commission d’enquête du Sénat kényan.

Pour tous les observateurs interrogés, au-delà de ces réformes structurelles déjà entamées, Kenya Airways a encore une carte à jouer sur le continent, même si la concurrence s’y intensifie. Genghis Capital invite la compagnie à continuer d’accroître sa présence dans les pays encore épargnés par l’offensive des groupes aériens du Golfe. Une suggestion qui semble avoir été entendue par Mbuvi Ngunze.

Lors de la présentation des résultats 2015-2016, le directeur général du groupe a reconnu une trop forte exposition de la compagnie à la conjoncture économique kényane et, par conséquent, la nécessité de continuer d’ouvrir des lignes en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, notamment pour mieux résister en période de crise à domicile.

Ethiopian Airlines en profite

Pendant que Kenya Airways est dans le rouge, Ethiopian Airlines, son principal concurrent dans la région, se porte bien. En 2015, le taux de remplissage de ses avions s’est élevé à 72 % (soit huit points de plus que la compagnie kényane), et le groupe, piloté par Tewolde GebreMariam, a affiché un bénéfice net de 3,53 milliards de birrs (environ 150 millions d’euros) pour l’exercice 2014-2015.

Dotée d’un sens certain de l’opportunisme, la compagnie éthiopienne – que certains accusent d’être en situation de quasi-monopole sur les déplacements des fonctionnaires de l’Union africaine à Addis-Abeba – cherche à attirer chez elle les pilotes de Kenya Airways, avec l’aide de cette dernière.

En avril, la compagnie kényane a en effet envoyé une circulaire à ses pilotes de Boeing 777-200ER pour leur demander de se porter candidats à un transfert temporaire de trois ans vers sa rivale éthiopienne. Objectif : alléger sa masse salariale, le temps que ses finances reprennent des couleurs.

Une stratégie à double tranchant. Car, grâce à ces pilotes, Ethiopian Airlines sera en mesure d’ouvrir plus rapidement de nouvelles liaisons en Afrique… et ainsi de damer le pion à Kenya Airways.

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