Burkina Faso : Thomas Sankara, un mythe bien vivant

Vingt-quatre ans que Thomas Sankara, le leader de la révolution burkinabè, a été assassiné. Le temps a passé, mais le mythe est bien vivant. Et les héritiers politiques, toujours plus nombreux…

Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabè, a été assassiné le 15 octobre 1987. © DR

Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabè, a été assassiné le 15 octobre 1987. © DR

Publié le 26 octobre 2011 Lecture : 5 minutes.

Vingt-quatre ans après sa disparition, le 15 octobre 1987, que reste-t’il de Thomas Sankara ? Des centaines de milliers de tee-shirts et de posters à son effigie, quelques irréductibles qui tentent de faire éclater la vérité sur l’assassinat de celui qui, de 1983 à 1987, dirigea la révolution burkinabè, des sites internet relayant ses mémorables discours, un vent de nostalgie toujours aussi fort sur l’ensemble du continent et une tombe sur laquelle se réunissent chaque année ses fidèles… et des partis politiques. Beaucoup de partis politiques.

Combien sont-ils au juste, à se dire sankaristes ? « Neuf », estime dans un premier temps Bénéwendé Sankara, le chef de file de l’opposition (sans aucun lien de parenté) et président de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (Unir/PS). Avant de se reprendre : « Non, peut-être dix… Je ne sais plus. Il y a des partis qui se disent sankaristes, mais qu’on ne voit jamais sur le terrain. Ils n’existent que sur le papier. Et encore, on en annonce d’autres ! » Il en rirait presque, cet ancien membre du Comité de défense de la révolution (CDR) de l’université de Ouagadougou, qui a créé son propre parti en novembre 2000, après une scission au sein de la Convention des partis sankaristes (CPS) qui était née seulement six mois plus tôt… et avant que certains de ses compagnons, parmi lesquels Jean-Hubert Bazié, ne le quittent à leur tour pour fonder la Convergence de l’espoir.

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Au sein de la mouvance sankariste, la division semble être la caractéristique la mieux partagée. Certes, ce courant ne déroge pas à la règle nationale : on compte dans le pays pas moins de 163 partis. « Il y en a peut-être un tiers qui se réclame du socialisme. Et pourtant, on ne leur reproche pas de ne pas cheminer ensemble », remarque Bénéwendé Sankara, qui assure que l’unité « ne doit pas être une obsession ». Mais comme le constate un journaliste burkinabè, cela fait tache quand on proclame n’avoir qu’une idole (Thomas Sankara) et qu’un adversaire (le président Compaoré).

Galaxie sankariste

« Cela fait vingt ans que l’on assiste à ces déchirements », peste Jonas Hien, président de la Fondation Thomas Sankara pour l’humanité, une ONG visant « la promotion du bien-être social » selon les préceptes de « Tom Sank ». Dès l’avènement du multipartisme en 1991, on comptait plusieurs tendances. Depuis, elles n’ont cessé d’essaimer au gré des divergences personnelles. « Tous les leaders de ces partis se connaissent. Chacun reproche à l’autre ses défauts. Il y a entre eux très peu de différences idéologiques, seulement des querelles de chefs », constate Bruno Jaffré, qui a écrit la biographie de Sankara et mène depuis Paris le combat pour que justice lui soit rendue. Bénéwendé Sankara en convient : « Fondamentalement, nous défendons tous le même programme, basé sur les discours de Sankara » (lire encadré).

Beaucoup de partis, peu de différences idéologiques, mais de vraies querelles de chefs.

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Et pourtant : faire un détour par la galaxie sankariste relève du parcours labyrinthique. Il y eut, dans le passé, le MTP, le BSB, le FS, le Craus… Aujourd’hui, il y a le Front des forces sociales (FFS), l’Union panafricaine sankariste/Mouvement progressiste (UPS/MP), le Parti pour l’unité nationale et le développement (Pund), le Conseil national pour la renaissance/Mouvement sankariste (CNR/MS)… Le dernier-né, le Parti républicain pour l’indépendance totale (Prit-Lannayan), a vu le jour le 2 octobre. Son leader, El hadj Mamadou Kabré, est un transfuge de l’Unir/PS de Bénéwendé Sankara. Il en est parti pour, dit-il, « contribuer au renforcement de la démocratie au Burkina ». En 2008, il déclarait pourtant ceci : « Il faut que les uns et les autres cessent de se disputer le leadership afin qu’on aille vers l’unité qui se dessine. »

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Demandez le programme

Comment adapter les discours de Sankara au Burkina de 2011 ? « Sur le plan économique, c’est assez simple. Nous reprenons toutes ses idées », explique Bénéwendé Sankara. Consommer local, prioriser l’agriculture, donner toute leur place aux femmes… Mais d’un point de vue politique, « c’est plus compliqué à inventer », convient Bruno Jaffré. Les Comités de défense de la révolution (CDR) ne pourraient plus aujourd’hui diriger la vie des citoyens comme en 1985. « L’État d’exception, on le condamne. Nous défendons des valeurs démocratiques – l’intégrité, la justice sociale, l’homme au centre du développement –, et nous mettons en avant la légalité et la lutte contre la corruption », affirme M. Sankara. Mais pour Augustin Loada, « on ne sait plus vraiment ce que signifie aujourd’hui le sankarisme. C’est devenu une feuille de vigne ». R.C.

« Les Burkinabè ne savent plus vraiment qui est qui », regrette Jonas Hien. Lui et d’autres ont bien tenté de réunifier les sankaristes en 2007 et 2008, mais ils ont fini par jeter l’éponge. « Chacun campe sur ses positions, regrette-t-il. C’est dommage. Ça affaiblit le mouvement car cela décourage pas mal de citoyens de s’engager en politique. » De voter, même : sur 138 députés, on ne dénombre que 6 sankaristes à l’Assemblée, dont 5 issus de l’Unir/PS. « Ils ne sont même pas capables de s’entendre pour les présidentielles », moque un cadre du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré. L’année dernière, sur six candidats, deux étaient issus de ce courant : Bénéwendé Sankara (6,34 % des suffrages) et l’ancien compagnon de lutte de « Tom Sank », Boukary Kaboré, dit le Lion (2,31 %). Quant au FFS de Norbert Tiendrébéogo, il soutenait Hama Arba Diallo (8,21 %), un candidat non sankariste.

Plan marketing

Dans son petit studio devenu le QG des contestataires, Smockey, le rappeur en vogue chez les jeunes, ardent défenseur de la parole sankariste, en veut à ces politiciens qui utilisent la figure de son idole « comme un plan marketing ». Selon lui, la plupart sont issus de partis fantoches qui n’ont rien à voir avec la révolution. « C’est pour ça que la jeunesse s’en détourne », assène-t-il, même s’il reconnaît que Sankara « est un mythe qu’il est difficile d’incarner aujourd’hui ».

Là se trouve le paradoxe des sankaristes. « Avec internet, Sankara n’a jamais été aussi populaire chez les jeunes, et pas seulement au Burkina », assure Smockey. Sur la Toile, on ne compte plus les sites et les forums qui lui sont consacrés. À Ouagadougou, « un jeune qui a 24 ans connaît mieux Sankara qu’un adulte de 50 ans », admet Bénéwendé Sankara. Mais ces jeunes-là ne votent pas, observe le juriste Augustin Loada, et « les anciens ont fait leur deuil de la révolution ».

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