Boko Haram et le risque d’une guerre de religion au Nigeria

Les craintes d’une guerre de religion se font de plus en plus grandes au Nigeria après les attaques contre la communauté chrétienne du pays le 24 décembre et l’explosion d’un bombe artisanale dans une école coranique ce mercredi. Le gouvernement peine à établir une stratégie efficace face à la secte islamiste Boko Haram, dont l’organisation est opaque mais qui semble soutenue à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

16 juin 2011 Un attentat-suicide prend pour cible le QG de la police à Abuja. © Afolabi Sotunde/Reuters

16 juin 2011 Un attentat-suicide prend pour cible le QG de la police à Abuja. © Afolabi Sotunde/Reuters

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Publié le 28 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

La secte islamiste Boko Haram va-t-elle réussir à détruire le fragile équilibre qui règne au Nigeria ? La question mérite d’être posée après les attentats du 24 décembre qui ont fait une quarantaine de morts, dont 35 dans une église catholique près de la capitale fédérale, Abuja. D’autant que la situation ne cesse de se dégrader.

De violents affrontements entre combattants de la secte islamiste et forces de sécurité la semaine dernière ont condit au déplacement de quelque 90 000 personnes dans la ville de Damaturu, dans le nord-est du Nigeria, a indiqué mercredi le coordinateur de l’Agence nationale de secours pour la région nord-est, Ibrahim Farinloye.

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Revendiquée par la secte islamique, les attaques du 24 décembre, dont la violence et la portée symbolique ont particulièrement choqué le monde entier, ne sont en fait que les dernières d’une longue série. Elles soulignent néanmoins l’incapacité du gouvernement nigérian à mettre fin aux agissements de Boko Haram (qui signifie « l’éducation occidentale est un péché », en langue haoussa, majoritairement parlée dans le nord du Nigeria).

Un véhicule incencié lors de violences le 4 novembre 2011 à Damaturu.

© AFP

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Forte répression

La secte mène des actions depuis les années 2000. Les autorités nigérianes ont dans un premier temps pris cette menace à la légère. Puis face à la multiplication des attaques ont décidé d’employer la manière forte. En 2009, une forte répression fait 800 morts, dont Mohammed Yusuf, le leader de la secte.

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Mais Boko Haram survit au cataclysme. Voire en sort même renforcée. Car la stratégie du gouvernement est de plus en plus critiquée. L’armée est accusée de violences dans le nord et la répression a abouti à « écarter beaucoup de gens des forces de sécurité et à les rapprocher des fauteurs de troubles », explique Chidi Odinkalu de l’ONG Open Society Justice Initiative.

Mais les appels au dialogue et les tentatives de négociation du gouvernement se heurtent à l’opacité d’une organisation dont on sait peu de choses car elle prend bien soin de dissimuler la structure de sa direction pour ne pas risquer d’être décapitée.

Dynamique locale et internationale

De plus, le cas Boko Haram répond à une double dynamique, internationale et locale. Internationale, car les liens de la secte avec Aqmi et les shebabs somaliens sont aujourd’hui avérés. Une partie de ses militants auraient été formé auprès de ces organisations et les actions menées par ses adeptes démontrent des ressources tant humaines que matérielles provenant vraisemblablement d’une aide extérieure.

Locale, car Tundé Fatundé, professeur à l’université de Lagos et éditorialiste au Guardian, doute « que la secte soit financée par des étrangers ». Pour lui, Boko Haram « est financée par des membres de la classe politique du nord du Nigeria, qui se cache derrière ce mouvement terroriste ». En jouant avec le feu ?

Si l’on ne connaît la secte que par le prisme de son unique revendication officielle (instaurer un État islamique pur et dur), son objectif non avoué serait également de fragiliser le pouvoir d’Abudja. Son but est de montrer que « l’État nigérian n’existe pas et qu’il ne peut pas garantir la sécurité de ses citoyens». Sa violence, un « prétexte pour rendre Jonathan Goodluck incapable aux yeux de la communauté internationale et de l’opinion publique nigériane », assure Tundé Fatundé.

L’action de Boko Haram serait alors l’expression d’un conflit plus profond entre un sud chrétien détenteur du pouvoir économique et un nord musulman où la charia a progressivement été appliquée depuis 2000, et qui n’a pas accepté la victoire de Goodluck à l’élection présidentielle d’avril 2011. En effet, selon un accord tacite au sein du parti majoritaire, un musulman aurait dû succéder au nordiste Yar Adua, l’ancien président du pays mort en 2010 avant la fin de son mandat.

Incompétence

Défait lors de la dernière présidentielle et principal opposant du président nigérian, Muhammadu Buhari, originaire du nord, a accusé lundi le gouvernement d’incompétence, critiquant la lenteur de sa réponse et son indifférence face aux attentats. Le Nigeria rique-t-il de sombrer dans la guerre civile ? Difficile à dire.

Si la division nord-sud, entre musulmans et chrétiens existe, elle est à relativiser : la mixité religieuse existe, et de millions de chrétiens vivent au nord. En outre, les actions de Boko Haram visent également les musulmans m’adhérant pas à leurs préceptes. Reste que si Muhammad Sa’ad Abubakar, le plus haut responsable musulmans du pays, a tenu mardi à « assurer à tous les Nigérians qu’il n’y a aucun conflit entre les musulmans et les chrétiens, entre l’islam et la chrétienté », les tensions se font de plus en plus grandes.

Mercredi, sept personnes dont six enfants ont été blessées dans l’explosion d’une bombe artisanale lancée depuis une voiture dans une école coranique de Sapele (État du Delta, au sud du Nigeria). « Nous craignons que la situation puisse dégénérer en guerre de religion, et que le Nigeria ne soit pas capable d’y survivre », s’est inquiété lundi Saidu Dogo, responsable de Christian Association of Nigeria (CAN), qui représente la communauté chrétienne du nord du Nigeria.

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