En Turquie, les nationalistes au centre du jeu électoral

Les Turcs voteront ce dimanche 28 mai pour départager les deux candidats du second tour de l’élection présidentielle. L’extrême droite nationaliste, majoritairement favorable au président sortant, est bien placée pour faire basculer le scrutin.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et l’ultranationaliste Sinan Ogan, à Dolmabahce à Istanbul, le 19 mai 2023. © Press Office of the Presidency of Turkey/AFP

Publié le 26 mai 2023 Lecture : 3 minutes.

Pour son centenaire qu’elle fêtera en octobre, la République turque a vu fleurir le vote nationaliste qui porte l’opposition au président sortant Erdogan à surenchérir sur sa droite. Face à la grave crise économique et dans un contexte régional incertain (Syrie, Irak, guerre en Ukraine), « le nationalisme est consolateur, on s’y sent bien », résume l’historien français Étienne Copeaux, spécialiste du nationalisme turc qui évoque un « consensus obligatoire », un « catéchisme » consubstantiel à la nation forgée par Mustafa Kemal Atatürk.

Avec 49,5 % des voix au premier tour contre 44,9 % pour son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, Recep Tayyip Erdogan part en pole position pour le dénouement de l’élection présidentielle le 28 mai. Entre les deux tours, il a reçu le soutien du troisième homme, l’ultranationaliste Sinan Ogan, fort de ses 5,2 % de suffrages.

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« Peur du changement »

Pour les observateurs, qui pariaient sur un désir de renouveau dans le pays soumis à l’érosion continue des droits et des libertés, « la peur du changement et le besoin de sécurité et de stabilité l’ont emporté », comme l »explique le journaliste Can Dündar depuis son exil berlinois.

Cette tendance – qui n’est pas propre à la Turquie remarque-t-il aussi – se retrouve déjà au Parlement : le 14 mai, les formations nationalistes, dont le MHP allié au président Erdogan et le Bon Parti membre de la coalition d’opposition, ont raflé près du quart des voix. « Le nationalisme, c’est comme de l’air pulsé en permanence sur la Turquie », affirme Étienne Copeaux qui balaie toute contradiction avec l’islamisme politique prôné par Erdogan dans son ascension vers le pouvoir, depuis le milieu des années 1990 et la conquête de la mairie d’Istanbul.

Virage musclé

« La Turquie prétendument laïque est un mythe », estime-t-il en citant une antienne du MHP selon laquelle « on n’est pas Turc si on n’est pas musulman ». L’historien remarque aussi que, même s’il a semblé égratigner le dogme de la laïcité établi par Mustafa Kemal à la fondation de la République, en autorisant les femmes à porter le foulard dans la fonction publique, ou en convertissant en mosquées d’anciennes églises – dont Sainte-Sophie à Istanbul – le chef de l’État « n’a jamais rejeté complètement la statue du Commandeur ». Menderes Çinar, professeur de sciences politiques à l’université Baskent d’Ankara, souligne la « percée régulière du nationalisme en parallèle à l’islamisme depuis les années 1990 », accompagnée d’une érosion tout aussi constante des partis du centre.

Face à cette vague, Kemal Kiliçdaroglu, qui préside le CHP social-démocrate fondé par Mustafa Kemal, est contraint à un virage musclé sur sa droite pour résister. Depuis le 14 mai, il n’a de cesse de durcir son discours. Le poing qui martèle l’emporte sur les cœurs avec les doigts qui ponctuaient ses discours. En témoignent ses sorties véhémentes sur les 3,4 millions de réfugiés syriens qu’il promet de renvoyer « dans les deux ans ». « Nous ne transformerons pas la Turquie en un dépôt de migrants », a-t-il martelé cette semaine à Antakya (sud), frontalière de la Syrie et dévastée par le séisme du 6 février.

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Kiliçdaroglu a même reçu l’onction du xénophobe Ümit Özdag qui affirme qu’en cas de victoire, il deviendra son ministre de l’Intérieur, déclenchant le malaise parmi les électeurs kurdes. Traité de « terroriste » par le camp Erdogan et accusé de collusion avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en raison du soutien de la principale formation pro-kurde, le HDP, Kiliçdaroglu se retrouve acculé. Mais si sa contre-attaque « est logique, elle risque de lui faire perdre toute crédibilité », relève Menderes Çinar.

Le HDP a quand même décidé de lui réaffirmer son soutien, par volonté d’en finir avec « le pouvoir d’un seul homme ».

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(avec AFP)

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