Soudan : « L’armée a tout intérêt à garder la mainmise sur les affaires politiques »

En place depuis août 2019, le gouvernement de transition a annoncé qu’une tentative de coup d’État avait été déjouée, le 21 septembre, mais selon Marc Lavergne, chercheur du CNRS, plusieurs zones d’ombre demeurent.

Le Premier ministre soudanais Abdalla Hamdok, à la tête du gouvernement de transition, lors d’une réunion du cabinet, à Khartoum le 21 septembre 2021. © AFP

Le Premier ministre soudanais Abdalla Hamdok, à la tête du gouvernement de transition, lors d’une réunion du cabinet, à Khartoum le 21 septembre 2021. © AFP

Publié le 27 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Que s’est-il passé le 21 septembre à Khartoum ? Les autorités soudanaises affirment que ce jour-là, « un groupe d’officiers des forces armées et de civils issus de l’ancien régime » aurait tenté de renverser le Conseil souverain, l’organe qui dirige le pays depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019, et de prendre le pouvoir. 

Quelques heures plus tard, les autorités ont annoncé avoir repris le contrôle de la situation et pointé un doigt accusateur vers les partisans de l’ancien président. Le projet était « bien préparé », si l’on en croit les déclarations faites par le Premier ministre soudanais, Abdallah Hamdock, lors d’un discours télévisé.

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L’attaque serait partie de la caserne d’Al-Shajara, situé au sud de la capitale, et avait comme objectif premier la prise du bâtiment des médias d’État. Onze officiers et plusieurs soldats ont été arrêtés, a précisé l’armée. Le flou demeure pourtant sur ce « complot ». Est-ce le résultat de luttes d’influence ou d’ingérences extérieures ? La transition démocratique peut-elle aller à son terme ? Éléments de réponse avec Marc Lavergne, chercheur au CNRS. 

Jeune Afrique : Comment interpréter cette tentative de prise de pouvoir par la force ? 

Marc Lavergne : La situation est assez confuse, mais cet épisode montre qu’il existe des clivages au sein de l’armée et des services de sécurité. Au Soudan, il existe aussi un « État profond », incarné par le National Intelligence and Security Service (NISS), les puissants services secrets dont le rôle dans cette affaire reste, à mon sens, à déterminer.  

Sitôt cette tentative connue, les États-Unis ont mis en garde contre toute velléité « d’ingérence extérieure ». À qui pensent-ils ? 

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Immédiatement après la chute d’Omar el-Béchir, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont pris fait et cause pour un pouvoir militaire au Soudan. Les deux premiers cités ont pour objectif le maintien des troupes soudanaises au sein de l’opération « Restaurer l’espoir », déclenchée en 2015, qui vise à mater la rébellion houthiste au Yémen. Du côté du régime d’al-Sissi, il existe une crainte que la victoire d’un pouvoir civil ne fasse tâche d’huile dans la région. Encore aujourd’hui, ces trois pays épaulent l’armée soudanaise, financièrement et matériellement. Ils pourvoient par exemple les officiers de voitures et de logements, un train de vie auquel ils sont habitués depuis trente ans.

Selon moi, ces pays ne veulent pas d’un Soudan démocratique, pas plus que l’armée, qui tire profit de l’économie du pays et dont le budget n’est pas supervisé par le ministère des Finances. L’armée a tout intérêt à garder la mainmise sur les affaires politiques du pays. 

Quand bien même il y aurait des nostalgiques d’el-Béchir, celui-ci est politiquement mort et aucun retour en arrière n’est possible

Ce qui s’est  passé la semaine dernière est-il lié, d’une manière ou d’une autre, aux difficultés économiques et sociales que connaît le Soudan ?

Au sein du Conseil souverain, les rôles sont, en principe, répartis comme suit : à l’armée, la gestion sécuritaire du pays ; aux civils, le soin de résorber la dette et de trouver des financements pour soulager l’économie du pays, qui est exsangue. Mais le coût de la vie ne fait qu’augmenter et la qualité des infrastructures ne s’améliore pas. D’où les critiques émanant des militaires à l’égard des civils qui siègent au Conseil souverain. Mais il ne faut pas s’y tromper. Quand bien même il y aurait des nostalgiques d’el-Béchir, celui-ci est politiquement mort et aucun retour en arrière n’est possible.   

Quel lien peut-on faire entre cet évènement et l’annonce du transfert d’Omar el-Béchir, qui est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, devant la Cour pénale internationale (CPI) ? 

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Il est emprisonné dans son pays et c’est vrai que son transfert à La Haye pourrait gêner un certain nombre de personnes au sein de l’appareil militaire. Beaucoup de ceux qui étaient en poste lors de la guerre du Darfour, qui a commencé en 2003, sont encore là aujourd’hui et ils peuvent craindre un déballage public. Mais même si l’ancien président conserve des partisans, un retour au pouvoir est inenvisageable.  

La gestion du Conseil de transition vous paraît-elle satisfaisante ?

Comme son nom l’indique, cet organe est chargé d’assurer le passage à un régime démocratique à la suite de près de trois décennies de la dictature. Mais il s’agit d’une transition démocratique qui n’en n’est pas une car, dans les faits, le calendrier n’est pas respecté. Beaucoup de mesures annoncées ont été repoussées sine die. La fin de la transition a été repoussé en 2024 alors qu’initialement, ce devait être en 2022.

Il y a par ailleurs une véritable opposition entre les cinq militaires et six civils qui composent le Conseil. À titre d’exemple, le numéro deux, le général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », a accusé les civils de l’organe d’être derrière ce putsch manqué. Sans doute est-ce une réponse à l’appel d’Abdallah Hamdok qui, en février 2020, avait demandé à « restructurer les institutions militaires et sécuritaires ». 

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