Économie

Affaire Eni-Shell au Nigeria : accusé de corruption, le patron d’Eni joue son avenir à la barre

Claudio Descalzi, qui risque huit ans de prison, nie toute action illégale lors d’une transaction au Nigeria. Le dirigeant de la major italienne présente sa défense dans l’un des plus importants procès pour corruption de l’histoire de l’industrie pétrolière.

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Mis à jour le 21 septembre 2020 à 11:34

Claudio Descalzi est le directeur général du groupe italien ENI, actif dans une quinzaine de pays africains. © ENI/Flickr

Le procès pour corruption – très médiatisé – mettant en cause les majors pétrolières Eni et Shell à propos de leur acquisition du permis pétrolier nigérian OPL 245 entre dans sa phase finale lundi 21 septembre à Milan, avec les plaidoiries de la défense.

À la barre vont se succéder des personnalités économiques et politiques phares en Italie pour une affaire nigériane qui remonte au début des années 2000 et constitue l’un des plus importants dossiers pour corruption du monde pétrolier.

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Du côté du management, ce sont Claudio Descalzi, le PDG actuel d’Eni, et son flamboyant prédécesseur Paolo Scaroni, figure de Cofindustria, le patronat italien, qui sont mis en cause. Non moins connue, Paola Severino, ex-garde des sceaux italienne dans le gouvernement de Mario Monti, de 2011 à 2013, assurera la défense personnelle de Claudio Descalzi.

L’avocat pénaliste Nerio Dioda, figure du barreau de Milan, s’occupera quant à lui de la défense de la firme italienne, dont les liens avec l’État et l’establishment italiens sont solides.

1,1 milliard de dollars

La justice milanaise, qui a ouvert le procès au printemps 2018, soupçonne que la majeure partie des fonds versés en 2011 par les groupes Eni et Shell pour l’acquisition au Nigeria de la licence d’exploration du bloc pétrolier offshore OPL-245 aient été des pots-de-vin.

Il est question de près d’1,1 milliard de dollars sur une transaction totale de 1,3 milliard de dollars. Le patron d’Eni et le groupe qu’il dirige nient les accusations de corruption portées contre eux.

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Pour autant, le procureur Fabio De Pasquale a requis le 21 juillet des peines exemplaires à l’encontre des dirigeants des deux compagnies pétrolières et de plusieurs intermédiaires nigérians, italiens et russes : huit ans de prison contre Claudio Descalzi et Paolo Scaroni ; sept années et trois mois de prison pour Malcolm Brinded, ex-patron de la branche exploration-production de Shell ; et dix ans de réclusion à l’encontre du Nigérian Dan Etete, ex-ministre du Pétrole.

Réquisitions lourdes

De Pasquale, qui fut l’un des procureurs phares de l’opération « mani pulite » (mains propres) ciblant la corruption politique en Italie dans les années 1990, n’y est pas allé de main morte : la peine requise contre Claudio Descalzi atteint la durée maximale de réclusion encourue par un dirigeant d’entreprise pour acte de corruption internationale dans le droit italien.

En cas de condamnation, l’avenir de Claudio Descalzi, dont le mandat à la tête d’Eni a été renouvelé en mai 2020 pour trois années malgré le procès en cours, pourrait s’assombrir. Descalzi est lui-même arrivé aux manettes d’Eni après la condamnation de son prédécesseur, Paolo Scaroni, en avril 2014, pour les dégâts à l’environnement provoqué par l’électricien Enel, qu’il pilotait auparavant. Les mêmes causes pourraient avoir les mêmes effets.

Contexte politique italien

Tout dépendra essentiellement de la position du gouvernement italien – actuellement piloté par Giuseppe Conte, du Mouvement 5 étoiles – et de la situation politique italienne. L’État ne détient que 30% des parts d’Eni mais dispose d’un poids décisif dans la nomination des dirigeants du groupe, et en particulier de son PDG.

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« Jusqu’à présent, en dépit des affaires de transparence et de gouvernance, les gouvernements nationaux ou régionaux successifs quelle que soit leur coloration politique – parti démocrate, 5 étoiles, ainsi que la Ligue du nord, puissante à Milan – se satisfaisaient de la situation économique d’Eni, que Descalzi a réorganisé et remis à flot, alors que le groupe était en difficulté avant son arrivée », analyse Antonio Tricarico, de l’ONG de transparence économique italienne Re Common, qui suit cette affaire depuis près d’une décennie.

Qui pour succéder à Descalzi en cas de condamnation ?

Une autre donnée devrait entrer en ligne de compte. Il sera difficile pour le gouvernement italien de trouver un successeur à Claudio Descalzi.

« Moins politique que son prédécesseur, cet ingénieur de formation a le soutien de la plupart des opérationnels, et ses rares détracteurs sont soit d’anciens proches de Scaroni – qui n’est guère plus en odeur de sainteté – soit des personnes qui ont été progressivement marginalisées, en témoignent les sorts du professeur Luigi Zingales, administrateur nommé par le gouvernement Renzi, qui a quitté ce poste en 2015, et de Karina Litvack, également administratrice, en charge du développement durable et de la gestion des risques, qu’on n’entend guère plus », poursuit Antonio Tricarico.

Après les plaidoiries de la défense, prévues pour durer plusieurs semaines, ce familier des arcanes de la justice italienne estime que le tribunal de Milan devrait rendre sa décision à la toute fin de l’année 2020.