[Édito] Maroc : M6 et le mammouth

En Afrique du Nord où 46% des moins de 30 ans se disent prêts à quitter définitivement leur pays, le roi du Maroc a fait de la jeunesse et de l’éducation sa priorité, proposant une thérapie de choc globale.

Mohammed VI lors du lancement du programme « Al Hoceima, ville phare de la Méditerranée », à Tétouan, en octobre 2015. © MAP

Mohammed VI lors du lancement du programme « Al Hoceima, ville phare de la Méditerranée », à Tétouan, en octobre 2015. © MAP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 2 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Au cœur de la torpeur estivale, le discours-programme sur la jeunesse et l’éducation prononcé le 20 août par le roi Mohammed VI, suivi de l’adoption de mesures afférentes par un conseil des ministres convoqué le même jour, est passé quasi inaperçu hors du royaume.

À tort, bien sûr, nul n’étant censé ignorer que le fiasco collectif des politiques éducatives au Maghreb est la matrice de tous les maux, de l’émigration clandestine au terrorisme en passant par la perte du sens de la citoyenneté via le chômage de masse.

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M6, que ce sujet passionne, est parti d’un constat d’échec : l’école marocaine est devenue, dit-il, « une machine à fabriquer des légions de chômeurs ». Dans un pays où près de deux jeunes sur trois sont en situation de décrochage scolaire et où 27 % des 16-25 ans n’ont pas d’emploi fixe (42 % en zone urbaine), un tel bilan se devait d’être publiquement déposé. À condition, évidemment, d’identifier les remèdes appropriés pour sortir de ce marasme.

Ceux qu’a définis le souverain, et qui pour l’essentiel visent à résorber le problème structurel de l’inadéquation entre la formation et le marché du travail, sont certes classiques mais éprouvés, avec leur batterie de mesures incitatives en faveur des filières induisant un taux élevé d’accès à l’emploi. Pour M6, il s’agit de faire correspondre les besoins des entreprises, qui sont nombreuses à ne pas pouvoir recruter dans certains métiers faute de profils adéquats, à l’apprentissage des étudiants, trop souvent embarqués dans des voies sans issue.

« Péril jeune »

Conscient du fait qu’une simple remise à niveau de la formation professionnelle ne saurait, à elle seule, conjurer le « péril jeune », Mohammed VI place ces remèdes dans le cadre d’une thérapie de choc globale puisqu’il s’agit de rien de moins que de mettre en œuvre « une réforme véritable et irréversible du système de l’éducation nationale » au Maroc.

Scolarisation gratuite et obligatoire pour les enfants de 4 à 16 ans (au lieu de 15 ans précédemment) ; maîtrise exigée de la langue amazighe pour les bacheliers ainsi que de deux langues étrangères (français, anglais, espagnol…), sachant que l’arabe demeure le vecteur de base de l’enseignement ; instauration du principe d’une « nouvelle école ouverte à tous » au sein de laquelle seront encouragés « la pensée critique », « l’esprit de pluralisme » et « la créativité », mais aussi l’attachement des élèves aux « symboles nationaux » et à la patrie…

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Le projet de loi-cadre, qui doit être soumis au Parlement en octobre, est, on le voit, à la mesure des ambitions du monarque, lequel a tenu à faire savoir qu’il veillerait personnellement à ce que ce dispositif ne soit pas enterré. Pour qui connaît les pesanteurs marocaines, cette dernière précision n’est pas inutile.

Du collège à la caserne, le fil rouge de M6 est le même : la jeunesse

Annoncée également le 20 août, la réintroduction du service militaire d’un an pour les jeunes, hommes mais aussi femmes (une vraie nouveauté), est sans doute la décision royale qui a suscité le plus de réactions. Les internautes marocains excellant dans l’art de la critique systématique, révélatrice d’un état d’esprit nihiliste de plus en plus répandu chez les jeunes Maghrébins, les commentaires sceptiques se sont aussitôt multipliés sur le thème de l’embrigadement d’une classe d’âge tentée par la siba (« dissidence »), ou sur le coût présumé exorbitant de la conscription d’environ 300 000 personnes chaque année. Or il ne s’agit pas de cela, mais d’un réalignement du Maroc sur la pratique de ses voisins maghrébins, d’un palliatif au désœuvrement, d’un réapprentissage des valeurs de la citoyenneté et… d’un codicille de la grande réforme de l’éducation, l’accent étant mis sur la formation professionnelle des conscrits. Du collège à la caserne, le fil rouge de M6 est le même : la jeunesse à qui, dit-il, « nous devons offrir du concret, donner espoir et confiance en son avenir ».

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Le roi, certes, ne détient pas de baguette magique et les résultats de cet aggiornamento éducatif ne sont pas pour demain. Mais au moins a-t-il pris ce que Claude Allègre appelait « le mammouth » par les défenses et tenté de mettre en pratique le célèbre aphorisme du petit père Hugo : « Qui ouvre une école ferme une prison. »

Il est plus que temps, en effet. Réalisé il y a trois mois par l’institut Gallup dans les cinq pays d’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte), un sondage fait froid dans le dos : 46 % des 15-29 ans se disent prêts à « quitter définitivement » leur pays, avec cette précision : plus le degré d’instruction est élevé, plus le désir d’émigrer sans retour l’est aussi.

Il y a belle lurette, il est vrai, que le système éducatif ne joue plus, dans cette région du monde, son rôle de moteur du développement, au point de se transformer en son contraire : une spirale d’échecs répétés à l’infini. Face à un malade en état comateux, ce qu’a prescrit M6 le 20 août n’est pas un énième placebo, mais une transfusion totale. Qui songerait à lui reprocher cette audace ?

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