Liberia : George Weah entre dans le vif du sujet

Pour le nouveau président du Liberia, George Weah, le plus dur reste à faire. Et s’il veut tenir ses promesses, il va devoir sélectionner les membres de son équipe avec soin.

Après la proclamation des résultats du second tour, le 29 décembre, à Monrovia. Sur l’affiche de campagne, à côté de l’ex- footbal000leur George Weah , sa colistière, Jewel Howard-Taylor. © SEYLLOU/AFP

Après la proclamation des résultats du second tour, le 29 décembre, à Monrovia. Sur l’affiche de campagne, à côté de l’ex- footbal000leur George Weah , sa colistière, Jewel Howard-Taylor. © SEYLLOU/AFP

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Publié le 23 janvier 2018 Lecture : 8 minutes.

George Weah au siège de Jeune Afrique, le 16 mai 2017. © Cyrille Choupas pour JA
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Liberia : George Weah peut-il réussir ?

Pour le nouveau président du Liberia, George Weah, le plus dur reste à faire. Et s’il veut tenir ses promesses, il va devoir sélectionner les membres de son équipe avec soin.

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La fièvre s’est emparée de la nuit moite de Monrovia. Dans le quartier général de George Weah, ce 27 décembre, les téléphones ne cessent de sonner. Depuis la veille, chacun des appels venus des 5 390 bureaux de vote du pays où le parti a envoyé ses militants confirme la tendance. Il est à peine plus de 18 heures lorsque ses proches se décident à aller voir le candidat pour lui annoncer la nouvelle : c’est désormais certain, le gamin aux pieds d’or va devenir président. « Il n’a pas dit un mot. Je pense qu’il était heureux, mais il était surtout stupéfait. Je crois vraiment qu’il n’en revenait pas », confie un membre de son équipe de campagne.

Le lendemain, lorsque la commission électorale officialisera les résultats, un tourbillon d’ivresse s’emparera des rues de la capitale. Le plus célèbre enfant du pays, l’unique footballeur africain à avoir été récompensé par le Ballon d’or, a fait du rêve libérien une réalité. Alors qu’il avait échoué à remporter la présidence en 2005 et la vice-présidence en 2011, cette fois sa victoire a été nette. Mais elle vient de loin. Un an plus tôt, peu nombreux étaient ceux qui croyaient encore en Mister George.

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« La plupart de ses anciens soutiens avaient quitté le navire, son parti était désorganisé et réputé violent. Dans les palais présidentiels de la région, beaucoup de nos contacts étaient sceptiques et, surtout, nous n’avions pas un sou », relate l’un de ceux qui ont suivi l’ancien footballeur. Weah a englouti sa fortune d’attaquant star dans ses précédents combats politiques. Il a même été contraint de vendre certaines des nombreuses villas qu’il possède à Accra, Abidjan, Miami, New York ou Paris.

Soutien financier

Dès le début, la campagne est ainsi faite de bouts de ficelle, et l’équipe constituée de beaucoup d’amateurs qui vivent là leur première course à la présidentielle. Il y a les amis de longue date : d’anciens footballeurs bien sûr, comme les Ivoiriens Sekou Coulibaly et Youssouf Fofana, mais aussi des connaissances plus récentes, dont Ousmane Bamba, l’un des piliers de cette aventure électorale, homme d’affaires ivoirien bien connu à Abidjan.

Son nom avait noirci les colonnes des journaux début 2017 lorsqu’il avait été incarcéré pendant deux mois. Soupçonné d’avoir détourné 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros), il avait crié au complot et au règlement de comptes politique. Fin 2016, ce membre du Rassemblement des républicains (RDR) du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) s’était en effet présenté contre le candidat de son propre parti aux législatives ivoiriennes.

Désormais au côté de Weah, il gère notamment l’argent de la campagne. Avec son cousin éloigné, un économiste ivoirien, il passe ses soirées à rédiger des courriers et des demandes d’audience tous azimuts. Grands patrons, footballeurs, politiques, des dizaines de personnes sont sollicitées. Mister George a besoin de soutien financier autant que d’appuis politiques.

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Tournée

Dès le début de l’année 2017, l’ancien attaquant se lance ainsi dans une vaste tournée. Entouré de plusieurs hommes d’influence français, il se rend par deux fois à Paris, mais aussi en Israël. À l’occasion d’un forum sur la sécurité, il rencontre plusieurs ministres, dont Tzipi Hotovely, la vice-ministre des Affaires étrangères, ainsi que des chefs d’entreprises spécialisées dans l’agriculture, un secteur que le candidat promet de développer s’il est élu. Grâce à son nom et à ses anciens exploits sportifs, il parvient à ouvrir de nombreuses portes.

Un temps vendeur de chewing-gums et de cartes téléphoniques, il parle l’anglais dépouillé du peuple, moins celui des élites

En Afrique, le Ghanéen Nana Akufo-Addo est le premier chef d’État à le recevoir, début 2017. Quelques mois plus tard, Ali Bongo Ondimba l’accueille à Libreville. Le courant passe bien entre le président gabonais, fan de football, et l’ancien attaquant. Au Sénégal, Weah voit Macky Sall, dont il est proche depuis 2014 – les deux hommes ont à l’époque été présentés par Aliou Sall, le frère du président sénégalais.

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Le candidat libérien s’entretient également avec le dirigeant congolais Denis Sassou Nguesso, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré ou encore le Nigérien Mahamadou Issoufou. Il sait qu’il doit convaincre de son sérieux et donner des gages.

Bidonville

Depuis plusieurs années, ses adversaires raillent le niveau intellectuel de ce fils des quartiers pauvres de la capitale. Né dans une chiche maison du bidonville de Gibraltar, le Ballon d’or 1995 a usé ses crampons sur les terrains de terre battue avant de fouler les plus belles pelouses européennes. Un temps vendeur de chewing-gums et de cartes téléphoniques, il parle l’anglais dépouillé du peuple, moins celui des élites.

Pour troquer son maillot de footballeur contre un costume d’homme politique, Weah est retourné à l’école et a décroché un diplôme de management en Floride en 2011. En 2014, il gagne encore en respectabilité grâce à sa facile victoire aux sénatoriales, lors desquelles il l’emporte avec 78 % des voix dans le comté de Montserrado face à Robert Sirleaf, le fils de la présidente.

Pourtant, les doutes subsistent. Alassane Ouattara rechigne à rencontrer le candidat. Finalement, il accepte de le voir deux fois, mais les entretiens ne sont pas des plus chaleureux. « Ils ne sont pas du même monde, ils ont du mal à parler la même langue », estime un proche de l’ancien footballeur. Le président ivoirien se préoccupe surtout du sort d’Ellen Johnson-Sirleaf et demande à Weah, comme plusieurs de ses homologues, de s’engager à ne pas inquiéter la présidente sortante s’il est élu.

La Prix Nobel de la paix sait qu’elle n’est pas à l’abri des ennuis : en 2009, la Commission Vérité et Réconciliation libérienne a recommandé de l’écarter de toute fonction officielle pendant trente ans pour avoir soutenu, un temps, l’ex-chef de l’État Charles Taylor.

Soutiens Sulfureux

La présidence Weah sera-t-elle placée sous le règne de l’impunité ? Ses alliances sont en tout cas sulfureuses. Début 2017, c’est l’ancienne épouse de Taylor que Weah choisit comme colistière. Jewel Howard-Taylor est un personnage trouble. Si elle s’est toujours défendue d’avoir joué un rôle dans la présidence sanglante de son mari, condamné en 2012 à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité, elle a pourtant été bien plus qu’une première dame à son côté.

« Nous savions que cela détériorerait notre image, mais nous n’avions pas le choix. Très mal vu en Occident, Taylor a encore de très nombreux partisans dans le pays. Et Jewel est une femme compétente, éduquée, très influente dans le comté de Bong, où elle est sénatrice. Si nous voulions nous assurer la victoire, nous devions nous rapprocher d’elle », assure un membre de l’équipe de campagne de George Weah.

Le chef de l’État et la vice-présidente, Jewel Howard-Taylor (à dr.), au siège du CDC, le 30 décembre, à Monrovia. © Chongyoon Nah/Anadolu Agency/AFP

Le chef de l’État et la vice-présidente, Jewel Howard-Taylor (à dr.), au siège du CDC, le 30 décembre, à Monrovia. © Chongyoon Nah/Anadolu Agency/AFP

Ce ticket fait pourtant grincer des dents les chancelleries occidentales, les représentants français et américains font part de leur inquiétude à l’équipe du candidat. Pour rassurer, celui-ci rappelle son parcours. Résidant hors du pays pendant les guerres civiles qui ont ravagé le Liberia de 1989 à 2003, il est l’un des rares acteurs politiques exempts de tout soupçon.

Weah embauche aussi une lobbyiste aux États-Unis, chargée de défendre ses intérêts auprès du secrétariat d’État et du Congrès. Il envoie une lettre de félicitations à Donald Trump dès son élection. Ses efforts paient. Après le premier tour, alors que la Cour suprême a suspendu l’organisation du second à la suite de recours déposés par les candidats arrivés deuxième et troisième, la représentation américaine appelle « au respect des délais constitutionnels ».

Beaucoup s’interrogent sur l’influence qu’auront ces figures peu fréquentables sous la présidence de Mister George

Même le ralliement de l’imprévisible Prince Johnson, arrivé troisième au premier tour, n’entame pas la bienveillance des chancelleries. Célèbre pour avoir ordonné l’assassinat de l’ex-président Samuel Doe, en 1990, le milicien est certes encombrant. Mais, devenu sénateur du comté de Nimba, le deuxième le plus peuplé du pays, il est indispensable aux yeux de l’équipe de Weah. Celle-ci est en effet convaincue que le native ne parviendra pas à obtenir le soutien d’autres candidats majeurs, tous descendants d’Africains-Américains.

Lucidité

Mais ces soutiens ont un prix. Désormais, beaucoup s’interrogent sur l’influence qu’auront ces figures peu fréquentables sous la présidence de Mister George. Au côté de la nouvelle vice-présidente, ceux qui prenaient les décisions pendant la campagne se comptent sur les doigts de deux mains. Nathanaël McGill, le président de la Coalition pour le changement démocratique (CDC), l’ancien ambassadeur Wendell McIntosh, ou encore la sénatrice Munah Pelham sont de ceux-là, tous assurés de jouer un rôle de premier plan durant les prochains mois.

« Weah va maintenant devoir faire preuve de lucidité et d’une grande humilité. Il doit prendre conscience de ses propres limites et chercher des conseillers techniques de haut niveau. S’il veut bien gouverner, il devra savoir bien s’entourer, et dans le même temps se méfier de tous ceux qui chercheront à le manipuler », estime Mathias Hounkpé, politologue spécialiste du Liberia au sein de l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa).

Le plus dur reste à faire

Depuis la victoire, les sollicitations sont incessantes. Footballeurs retraités avides de pouvoir, anciens politiques ou diplomates, les propositions de collaboration se multiplient. Selon certaines sources, Tony Blair et Goodluck Jonathan se sont manifestés. Weah hérite en effet d’un pays où tout – ou presque – reste à construire, des routes au système de santé.

Face aux défis qui l’attendent, l’ancien attaquant va avoir besoin de bien plus qu’un coup de pied magique pour continuer à faire rêver les Libériens

Si Ellen Johnson-Sirleaf est parvenue à maintenir la paix après quatorze années de guerres civiles qui ont fait plus de 150 000 victimes, elle laisse un État en grande difficulté économique. L’épidémie d’Ebola, en 2014, couplée à la chute des prix des matières premières, a rendu le Liberia exsangue. Nulle en 2015, la croissance, qui repose essentiellement sur la production de caoutchouc et l’exploitation de minerais, repart lentement. Avec 64 % de la population au-dessous du seuil de pauvreté selon le Programme alimentaire mondial, le pays reste en mauvaise posture et est toujours gangrené par une corruption généralisée.

Autant de fléaux auxquels Weah a promis de s’attaquer dans une feuille de route pavée de bonnes intentions, inspirée des Objectifs du millénaire pour le développement des Nations unies, mais qui reste très imprécise. Est-ce pour cela qu’il a refusé tous les débats télévisés pendant la campagne ? Nul ne sait quelle politique il va mener ni comment il compte tenir ses promesses.

Face aux défis qui l’attendent, l’ancien attaquant va avoir besoin de bien plus qu’un coup de pied magique pour continuer à faire rêver les Libériens. « Nous étions prêts à gagner, mais nous ne sommes pas encore prêts à gouverner », reconnaît un proche du nouveau président.

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